Jebeh Kawa
La création de la Commission électorale nationale (National Elections Commission, CEN) du Liberia figurait dans l’Accord général de paix qui a mis fin à 14 années de guerre civile en 2003. Cette commission a remplacé la Commission électorale [1], instituée avec deux autres commissions publiques autonomes par la Constitution nationale de 1986[2].
Au Liberia, le cadre juridique de conduite des élections de 2011 comprenait la Constitution, la loi électorale (modifiée par la loi de réforme électorale de 2004), les lois organiques relatives aux juridictions, la loi sur les partis politiques et les règlements et décisions de la CEN[3].
En sa qualité d’organe gouvernemental autonome, indépendant des pouvoirs de l’État, la commission a notamment pour pouvoirs et fonctions :
La CEN a modifié la loi électorale de 1986 en 2003 et en 2004. Elle a également publié plusieurs directives relatives à la conduite d’élections :
Le Conseil des commissaires de la CEN est composé de sept membres : un président, un coprésident et cinq commissaires. Chacun d’eux supervise les subdivisions politiques qui lui ont été attribuées, le président se chargeant de la région la plus peuplée. Les conditions d’accès à la fonction de commissaire sont simples : les candidats doivent être de citoyenneté libérienne, avoir au moins 35 ans, jouir d’une bonne réputation, n’adhérer à aucun parti politique et être originaire d’un comté qui n’est pas déjà représenté par un autre commissaire.
La CEN est dotée d’un directeur général, ainsi que d’un service juridique chargé de toutes les obligations légales liées à l’administration de la loi électorale. Des magistrats électoraux sont nommés dans les 15 subdivisions politiques du Liberia, plusieurs magistrats pouvant être nommés dans les régions les plus peuplées. Ces magistrats assurent la liaison entre la commission et le comté ou la circonscription qu’ils représentent pour toutes les questions électorales.
La commission nomme également les agents d’exécution du bureau central et dans les subdivisions politiques : directeurs de l’éducation civique, attachés aux partis politiques, techniciens auxiliaires, clercs, directeurs de scrutin, employés des bureaux de vote, etc[4].
D’autres responsabilités viennent s’ajouter aux fonctions principales de la CEN, à savoir :
Les sept commissaires de la NEC sont nommés par le président du Liberia, sur les conseils et avec l’aval du Sénat. Ils sont chargés de diriger les affaires de la commission pour une durée de sept ans, sous réserve d’une conduite professionnelle irréprochable. Le président nomme également, avec l’accord du Sénat, un directeur général dont la durée du mandat est laissée au bon vouloir du président.
En concertation avec le président de la Cour suprême du Liberia et le ministre de la Justice, la commission désigne et, avec l’accord du président de la République, nomme des conseillers juridiques et des agents de recherche qui exercent leurs fonctions aussi longtemps que le souhaite la commission. Les autres employés du service juridique sont nommés par la commission en fonction de leurs qualifications au sein de la fonction publique. Ils exercent également leurs fonctions aussi longtemps que le souhaite la commission.
Dans chaque comté ou circonscription, la commission nomme autant de magistrats électoraux que nécessaire, ainsi que des employés locaux qui sont habituellement recommandés par le magistrat de la circonscription. Les commissaires de la CEN nomment le personnel de soutien du bureau central.
La CEN soumet un budget annuel pour examen et accord au Bureau du budget du Liberia. Une fois le budget approuvé, les fonds sont versés en temps opportun, conformément aux dépenses prévues, sur un compte créé par la CEN. L’appui des donateurs internationaux a joué un rôle clé lors des élections nationales de 2005 et de 2011, quoiqu’à un degré moindre en 2011. La CEN n’a pas publié son rapport sur ces dernières élections. Toutefois, le budget estimé pour 2010-2011 s’élevait à plus de 38 millions USD, dont plus de 27 millions (70 %) provenaient de donateurs internationaux [6].
Lors du cycle électoral 2010-2011, les fonds destinés à l’intégration de l’égalité hommes-femmes étaient parfois réaffectés à des processus considérés plus déterminants pour la réussite des élections nationales, tels que l’inscription des électeurs, la formation du personnel de scrutin ou l’acquisition de technologies.
La CEN est tenue de publier chaque année une stratégie actualisée, ainsi qu’un plan annuel et des prévisions de financement pour l’année considérée, en accord avec le Bureau du budget. Elle doit également remettre des rapports annuels à l’Assemblée nationale et au président de la République concernant ses activités générales.
Elle a également l’obligation de publier un rapport annuel et un état des comptes faisant l’objet d’une vérification externe concernant ses activités et réalisations par rapport au plan annuel. Le rapport doit refléter les sources et l’utilisation faite des fonds octroyés par l’État libérien et par des tiers, ainsi que des autres ressources.
Les problèmes et les demandes font l’objet d’une évaluation, d’une enquête et d’une décision conformément aux règles et procédures établies par la CEN. Les questions délicates sont entendues par un agent d’audition principal (Chief Hearing Officer) à Monrovia, qui soumet ses recommandations aux commissaires de la CEN. Les autres questions sont examinées et jugées par un magistrat, assisté d’un agent d’audition local. Les décisions rendues par la CEN ou un magistrat sont publiées respectivement dans les locaux de la commission ou au bureau du magistrat. Les décisions d’un magistrat sont susceptibles d’appel auprès des commissaires de la CEN dans un délai de 72 heures.
Les décisions rendues par les commissaires de la CEN en cas de demande sont susceptibles d’un recours auprès de la Cour suprême du Liberia au plus tard 48 heures après publication de la décision. Lorsque les résultats définitifs des élections ont été annoncés, il est possible de saisir la CEN, dont les décisions peuvent être contestées devant la Cour suprême. Le pouvoir judiciaire examine et juge les demandes relatives au processus électoral faisant l’objet d’un appel auprès de la Cour suprême [7].
Grâce à la formation continue, les agents électoraux exercent habituellement leurs fonctions avec compétence, à l’exception des questions de genre (voir ci-dessous).
Les médias sont soumis au code de conduite du Syndicat de la presse du Liberia (Press Union of Liberia, PUL) en ce qui concerne la couverture des élections. Les journalistes libériens continuent de travailler avec la CEN et ses partenaires en participant à des ateliers de renforcement des capacités [8]. La seule disposition législative relative à l’accès de la CEN aux médias pendant les périodes de campagne électorale est l’article 10.21 de la loi électorale, en vertu duquel « les partis politiques ont également la possibilité d’utiliser, sans que ce droit puisse leur être refusé, tout bâtiment public ou toute structure semblable qui serait nécessaire et approprié à l’usage prévu », sous réserve qu’il en ait fait la demande « en temps opportun [9]». La CEN n’est pas habilitée à réglementer directement le libre accès des partis politiques aux médias publics.
La CEN entretient, par le biais d’agents de liaison, de nombreuses relations avec les parties prenantes au processus électoral : les partis politiques, les candidats, les entités exécutives de l’État, le Parlement, le système judiciaire, les contrôleurs électoraux, les observateurs électoraux citoyens et internationaux, les médias, les électeurs, les ONG, les organisations communautaires, les donateurs ou les organismes d’assistance électorale. Elle conclut de nombreux partenariats, accords et ententes qui sont cruciaux pour le bon déroulement des élections, comprenant notamment des ateliers de formation et de diffusion des informations, des codes de conduite et des protocoles d’accord.
Lors des exercices électoraux, les relations entre la CEN, les partis politiques et les médias se sont tendues à plusieurs reprises, en raison de l’impression de parti pris que donnait le comportement de la commission. Le président de la CEN a présenté sa démission en octobre 2011 à la suite de fortes pressions exercées par le principal parti de l’opposition, qui soupçonnait un manque d’impartialité de la part du président à l’égard du candidat sortant.
Le soutien financier et logistique demeure un enjeu crucial du bon fonctionnement de la commission, y compris pour le renforcement des capacités du personnel et l’éducation civique.
Les structures centrales et satellites de la CEN comportent une division de la technologie et une division des télécommunications. La première repose habituellement sur une équipe allégée qui est renforcée en période électorale.
Des technologies telles que les panneaux solaires pour l’alimentation électrique à distance, les antennes paraboliques pour la transmission des données et les téléphones portables se sont révélées essentielles, lors des élections de 2011, pour garantir la présentation des résultats électoraux en temps et en heure.
La structure de la CEN facilite l’organisation fructueuse des élections nationales, ainsi que le maintien de la stabilité politique (et donc sociale et économique) grâce à l’impression de fiabilité qu’elle inspire au public (et aux partis). D’après la Fondation Carter, « tout au long des élections de 2011, la CEN a démontré sa compétence technique et son efficacité dans l’administration d’élections crédibles et conformes aux normes internationales [10]». Il est néanmoins essentiel de procéder à une réforme électorale afin de remédier aux failles qui ont provoqué des contentieux majeurs, de mettre en place une formation continue et uniforme du personnel de la commission et de faciliter la diffusion d’informations au grand public, aux électeurs, mais aussi aux partis politiques, aux médias et autres parties prenantes. Cela permettrait de pérenniser les résultats actuels.
La CEN a officialisé ses efforts de prise en compte des questions de parité hommes-femmes en créant un Bureau du genre (Gender Office) en 2010. Cette initiative coïncidant avec la période la plus importante du cycle électoral, ses actions ont visé en externe à renforcer la participation des femmes dans tous les aspects des élections, notamment concernant leurs candidatures, leur inscription électorale et leur passage aux urnes.
Lors du cycle des élections nationales de 2011, la culture de travail de la CEN était encore fortement majoritairement masculine à tous les échelons de l’organisation, à l’exception du Conseil des commissaires. Un examen des membres de la CEN révélait que ce dernier était composé à 47 % de femmes (trois sur sept commissaires), tandis que le directeur exécutif et les directeurs exécutifs adjoints (cinq personnes) étaient tous des hommes. Sur les 14 directeurs, seules deux étaient des femmes (14 %). Elles représentaient par ailleurs 27 % des agents et superviseurs (21 sur 78 personnes) et 11 % du reste du personnel (27 femmes sur 239 employés[11]).Les données relatives au personnel de scrutin n’ont pas été ventilées par sexe.
En décembre 2013, la CEN n’avait pas encore instauré de politique officielle relative à la parité hommes-femmes. Un projet en ce sens est toutefois à l’étude auprès du comité directeur de la commission. Il prévoit :
La planification opérationnelle des élections de 2011 ignorait les besoins particuliers des femmes employées sur le terrain. Par exemple, plusieurs sites comptant du personnel féminin pour les exercices électoraux (inscription des électeurs, scrutin) n’étaient pas équipés de toilettes adaptées.
La direction de la CEN a montré sa ferme volonté de promouvoir l’égalité des sexes dans la conduite de ses opérations électorales extérieures. Une aide budgétaire et logistique modeste a été apportée pour soutenir les divers projets destinés à promouvoir la participation égale des femmes et des hommes à l’élection, malgré la rude concurrence d’autres processus électoraux pour l’allocation des ressources. En un peu plus d’un an, le Bureau du genre a organisé au moins cinq exercices majeurs visant à promouvoir l’égalité des sexes, auxquels s’ajoutent des campagnes d’information, le renforcement des capacités des candidats potentiels et des employés du Bureau du genre et des consultations des parties prenantes (dont les médias et les partis politiques). Ces initiatives ont fortement influencé le niveau de participation des femmes aux exercices électoraux.
Dans le cadre des programmes du Bureau du genre, la CEN a mis au point et diffusé différents supports pour promouvoir l’égalité des sexes et la sensibilité à cette question, tels que des panneaux d’affichage, des prospectus, des T-shirts, des spots pour la radio et la télévision ou des programmes spéciaux.
Jusqu’en 2011, seul le personnel du Bureau du genre était formé activement et régulièrement aux principes de la parité hommes-femmes, avec notamment la formation BRIDGE Genre et élections ou les ateliers du PNUD sur la gestion d’élections de transformation sensibles à la problématique hommes-femmes, malgré de nombreuses propositions visant à former l’ensemble de l’organisation. En raison des activités électorales en cours (inscription des électeurs, référendum, scrutin), la formation du personnel général de la CEN en la matière ne faisait pas partie des priorités.
À un certain point du cycle électoral 2010-2011, les magistrats ont dû enregistrer le ratio hommes-femmes des personnes inscrites sur les listes électorales et des électeurs. Aucune donnée de ce genre n’a cependant été enregistrée concernant le personnel temporaire de la CEN dans les bureaux de vote. Toutefois, les données recueillies n’ont pas été utilisées pour rendre compte de l’intégration de l’égalité des sexes dans la planification opérationnelle de l’organisation.
Le Bureau du genre de la CEN a engagé plusieurs campagnes d’information, ainsi que des consultations et ateliers avec des partis politiques et des OSC, afin d’améliorer la participation politique des femmes au processus électoral en 2010-2011, notamment :
La CEN a vivement encouragé la création d’un projet de loi sur des quotas hommes-femmes auprès de l’Assemblée nationale libérienne en mai 2011. Le Bureau du genre a soutenu les OSC et les organisations communautaires de femmes en participant aux manifestations devant le Sénat et en étant présent au Sénat lors de la présentation du projet de loi. Celui-ci a été bloqué par la haute chambre, tout comme sa version modifiée, et n’a jamais atteint la Chambre des représentants. En l’absence d’une loi imposant un quota hommes-femmes, la CEN se heurte aux difficultés habituelles de la mise en œuvre de quotas volontaires, avec les objections qui y sont associées, à savoir leur caractère purement symbolique et leur principe discriminatoire envers les hommes.
Notes
[1] 1. REPUBLIQUE DU LIBERIA, Nouvelle loi électorale (septembre 1986, révisée en 2003 et 2004)
[2] COMITE NATIONAL CONSTITUANT, Constitution de la République du Liberia, Monrovia : République du Liberia, 1986
[3] FONDATION CARTER, National Elections in Liberia Final Report [Rapport final sur les élections au Liberia], 2011
[4] Nouvelle loi électorale, Section 2.9 : pouvoirs et devoirs
[5] Ibid.
[6] PNUD Liberia, Project Document Support to the 2010–2012 Liberian Electoral Cycle [Document de projet sur l’appui au cycle électoral 2010-2012 du Liberia], Monrovia : PNUD, 2010
[7] IFES, Elections in Liberia 8 November Presidential Run-off Election Frequently Asked Questions [Questions fréquentes sur le second tour de l’élection présidentielle libérienne du 8 novembre], Monrovia : IFES, 2011
[8] Site Internet de la CEN, http://www.necliberia.org/other.php?&7d5f44532cbfc489b 8db9e12e44eb820=NTI0, consulté le 31 octobre 2013
[9] REPUBLIQUE DU LIBERIA,Nouvelle loi électorale, Section 10.21 : liberté de circulation dans le pays et utilisation des structures publiques par les partis politiques (septembre 1986, révisée en 2003 et 2004)
[10]FONDATION CARTER, 2011
[11]Données recueillies par le Bureau des ressources humaines de la CEN en mai 2011