La pratique du vote obligatoire: un droit ou une obligation?
La pratique du vote: un droit ou une obligation?
Danielle Gaudet, June 30. 2016
Facilitatrice – Sara Staino, 15 novembre 2006
Question initiale:
J’aimerais en savoir davantage sur la pratique du vote obligatoire.
Plus précisément, j’aimerais savoir :
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Quels sont les principaux arguments invoqués pour ne pas percevoir le vote comme un droit que le citoyen peut choisir d’exercer, mais plutôt comme une responsabilité civique obligatoire pouvant entraîner des sanctions aux non-votants?
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Combien de pays à travers le monde ont présentement recours à ces dispositions de vote?
Citation tirée de l’Encyclopédie ACE sur le vote obligatoire :
« De nombreux pays résolvent le problème de participation électoral en ayant recours au vote obligatoire : l’Australie, la Belgique, la Grèce et de nombreux autres pays en Amérique Latine.
Beaucoup d’autres pays, au contraire, le rejettent par principe. Bien que le vote obligatoire soit probablement tout aussi compatible avec tout autre système électoral, son utilisation peut être considérée en parallèle avec les autres enjeux liés à la participation électorale. »
Hyperliens menant à des ressources connexes
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Voter Turnout Project par International IDEA (projet de participation électorale)
La réponse du facilitateur du réseau :
En ce qui concerne votre première question, la plupart des gouvernements démocratiques perçoivent la participation aux élections fédérales comme un droit inhérent à la citoyenneté alors que certains considèrent également qu’il s’agit une responsabilité civique du citoyen. Dans certains pays où l’exercice du droit de vote est considéré comme un devoir, le vote aux élections est devenu obligatoire et s’est vu réglementé dans les constitutions nationales et dans les lois électorales.
D’ailleurs, certains pays
vont jusqu’à imposer des sanctions aux non-votants.
Le vote obligatoire n’est pas un nouveau concept. Parmi les premiers pays à avoir introduit le vote obligatoire, on compte la Belgique en 1892, l’Argentine en 1914 et l’Australie en 1924.
Il existe également des pays, tels que l’Italie, le Venezuela et les Pays-Bas qui, à une certaine époque, imposaient le vote obligatoire avant d’éventuellement l’abroger.
Les partisans du vote obligatoire : Les défenseurs du vote obligatoire affirment que les décisions prises par des gouvernements élus démocratiquement sont plus légitimes lorsqu’un plus grand nombre d’électeurs participent aux élections. Ils affirment également que le vote, qu’il soit exercé volontairement ou non, a un effet éducatif sur les citoyens. De plus, les partis politiques peuvent tirer des avantages financiers du vote obligatoire puisqu’ils n’ont pas à user de leurs ressources pour convaincre les électeurs de se rendre aux urnes.
Enfin, si la démocratie se définit par un gouvernement élu par la population, cela comprend l’ensemble de la population. Par conséquent, il incombe donc à tous les citoyens d’élire leurs représentants.
Les opposants au vote obligatoire : Le principal argument contre le vote obligatoire est qu’il ne concorde pas avec la liberté que l’on associe à la démocratie. Le vote n’est pas une obligation intrinsèque et son application par la loi serait une atteinte à la liberté des citoyens associée aux élections démocratiques. Il peut également décourager l’éducation politique des électeurs puisque lorsque les gens sont contraints de participer, ils réagissent à ce qu’ils considèrent être une source d’oppression.
Un gouvernement est-il véritablement plus légitime si le taux de participation élevé est obtenu à l’encontre de la volonté des électeurs? De nombreux pays à capacité financière restreinte ne seraient peut-être pas en mesure de justifier les dépenses que le maintien et l’application des lois engendrent. De plus, il est prouvé que forcer la population à se rendre aux urnes entraîne une augmentation du nombre de votes nuls et blancs par rapport aux pays qui ne disposent pas de lois sur le vote obligatoire.
Une autre conséquence du vote obligatoire est la possibilité d’avoir un nombre élevé de votes « aléatoires ». Les électeurs qui votent contre leur gré peuvent élire un candidat au hasard, notamment le premier de la liste du bulletin de vote. Ces électeurs se fichent du candidat pour lequel ils votent, tant que le gouvernement est satisfait du fait qu’ils ont accompli leur devoir civique. Quel effet cette catégorie de votes aléatoires impossible à mesurer a-t-elle sur le gouvernement élu démocratiquement?
Quant à votre deuxième question, un chiffre représentant le nombre exact de pays qui pratiquent le vote obligatoire est purement arbitraire. La vérification de la présence ou de l’absence de lois sur le vote obligatoire dans les constitutions est beaucoup trop simpliste. Il serait beaucoup plus utile d’analyser le vote obligatoire comme étant un éventail de degrés allant d’une loi symbolique, mais plutôt impuissante à un gouvernement qui effectue un suivi systématique pour chaque non-votant et lui impose des sanctions.
Cet éventail signifie que certains pays ont des lois officielles régissant le vote obligatoire, mais qu'ils ne les appliquent pas et n’en ont pas l’intention. De nombreuses raisons sont possibles :
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Les lois ne sont pas toutes créées pour être appliquées. Certaines lois ne servent qu’à énoncer la position du gouvernement concernant la responsabilité du citoyen. Les lois sur le vote obligatoire ne comprenant aucune sanction pourraient se classer dans cette catégorie. Même si le gouvernement n’applique pas ces lois ou s’il n’existe aucune sanction officielle pour l’abstention aux élections, ces lois pourraient tout de même avoir un effet sur les citoyens. Par exemple, en Autriche, le vote n’est obligatoire que pour deux régions, où les sanctions ne sont que faiblement appliquées. Or, ces deux régions présentent un taux de participation plus élevé par rapport à la moyenne de participation dans l’ensemble du pays.
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Une autre raison possible pour ne pas appliquer les lois pourrait être la complexité et les ressources nécessaires pour le faire. Les pays ayant des budgets limités ne peuvent faire de l’application des lois sur le vote obligatoire une priorité. Ils espèrent néanmoins que cette loi incite les citoyens à participer.
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Peut-on considérer qu’un pays pratique le vote obligatoire si les lois le régissant sont ignorées et n’ont aucune incidence sur les habitudes électorales des électeurs? Peut-on dire qu’un pays pratique le vote obligatoire s’il n’existe aucune sanction pour l’abstention au vote? Et qu’en est-il des pays où les sanctions ne sont appliquées que rarement ou jamais? Et si la sanction est négligeable?
Beaucoup de pays, qu’ils le veuillent ou non, laissent les non-votants s’en tirer impunément. Par exemple, dans de nombreux pays, il est nécessaire de voter que si vous êtes un électeur inscrit. Il n’est cependant pas obligatoire de s’inscrire, ce qui peut alors inciter les citoyens à ne pas le faire. Dans de nombreux cas, comme pour l’Australie, les citoyens peuvent éviter des sanctions en présentant une excuse valable pour leur abstention au vote le jour de l’élection.
Les diverses formes que prend le vote obligatoire dans différents pays permettent de percevoir le vote obligatoire non comme une loi présente ou absente de la législation, mais comme une étude du degré et de la manière dont les gouvernements forcent les citoyens à voter.
Le tableau ci-dessous présente tous les pays qui appliquent une loi sur le vote obligatoire. La première colonne indique le nom du pays, la deuxième affiche le type de sanctions que le pays en question impose aux non-votants et la troisième contient l’information sur la mesure dans laquelle les lois sont appliquées dans la pratique.
Les numéros inscrits dans la colonne type de sanctions représentent les différents types de sanctions suivants :
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L’explication : le non-votant doit fournir une raison légitime pour justifier son abstention au vote afin d’éviter des sanctions supplémentaires, le cas échéant.
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L’amende : le non-votant est passible d’une amende dont le montant varie selon le pays, par exemple, 3 francs suisses (CHF) en Suisse, entre 300 et 3000 schillings autrichiens (ATS) en Autriche, 200 livres chypriotes (CYP) en Chypre, 10-20 pesos argentins (ARS) en Argentine, 20 Sols péruviens (PEN) au Pérou, etc.
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Le risque d’emprisonnement : le non-votant est passible d’emprisonnement comme sanction, cependant nous ne connaissons aucun cas documenté d’emprisonnement. Cela peut également se produire dans des pays comme l’Australie où les amendes sont communes. Dans les cas où le non-votant ne paie pas ses amendes après se l’être fait rappeler ou après avoir refusé à maintes reprises, la Cour peut lui imposer une peine d’emprisonnement, généralement considérée comme une peine pour non-paiement plutôt que pour abstention au vote.
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Violation des droits civils ou privation du droit de vote : Par exemple, en Belgique, il est possible que le non-votant soit privé de son droit de vote après s’être abstenu à au moins quatre élections dans une période de 15 ans. Au Pérou, l’électeur doit conserver comme preuve de vote une carte électorale tamponnée durant les quelques mois suivant l’élection. Ce cachet est nécessaire pour obtenir des services et des biens de certaines charges publiques. À Singapour, les non-votants sont radiés du registre des électeurs jusqu’à ce qu’ils fassent la demande d’être inscrits et qu’ils soumettent une raison valable pour ne pas avoir voté. En Bolivie, après avoir voté, les électeurs reçoivent une carte en guise de preuve de participation. Si les électeurs ne pouvaient pas montrer cette preuve de participation au cours des trois mois suivant les élections, ils ne recevraient pas leur salaire par l’entremise de leur banque.
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Autre : Par exemple, les non-votants pourraient avoir de la difficulté à dénicher un emploi dans le secteur public en Belgique ou à renouveler leur passeport ou leur permis de conduire en Grèce. Au Mexique ou en Italie, il n’existe aucune sanction officielle, mais plutôt des sanctions arbitraires ou sociales. Bien qu’elles ne soient officialisées d’aucune façon, en Italie, on les appelle des « sanctions inoffensives». Elles ont pour effet d’engendrer certaines difficultés, comme celle de trouver une place pour son enfant en garderie.
Les points de vue exprimés par le facilitateur du réseau ACE ne reflètent pas forcément ceux des organismes partenaires d’ACE.
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