Le professeur Jega était le président de la Commission électorale du Nigeria de 2010 à 2015.
1. Dans quel contexte se sont tenues les
élections de 2015 au Nigeria?
De grandes attentes ont marqué la période antérieure aux élections
générales du Nigeria en mars 2015. Plus précisément, les gens s’attendaient à
ce que la Commission électorale nationale indépendante (INEC) se soit déjà améliorée lors des élections
précédentes. En effet, les citoyens désiraient une commission plus efficace,
capable d’accroître l’intégrité des élections du Nigeria. En raison de certains
événements survenus au Nigeria lors d’élections précédentes, les gens s’inquiétaient
de l’habileté de l’INEC à lutter contre la fraude et les votes multiples, et à élaborer
une liste électorale plus valable. Pour sa part, l’INEC a tenu compte de toutes
ces préoccupations tout en étant déterminée à y répondre. En effet, elle s’est
engagée à organiser des élections plus intègres dont les préparatifs ont
commencé très tôt, c’est-à-dire dès les élections générales d’avril 2011. Ces
préparatifs étaient axés sur le respect de l’engagement de l’INEC de mener des
élections améliorées au Nigeria. Voilà le contexte dans lequel se sont tenues les
élections de 2015.
2. Pour quelles raisons désiriez-vous
introduire un système d’inscription électorale biométrique?
Le système d’inscription électorale biométrique employé lors des
élections de 2015 n’était pas nouveau au Nigeria puisqu’il fut d’abord utilisé
lors des élections précédentes de 2011. Il fut introduit à l’époque, car l’INEC
a compris le lien étroit qui existe entre la qualité des élections, et
l’intégrité et la validité de la liste des électeurs. L’INEC était également
convaincue que le recours à la technologie biométrique, non seulement pour le
processus d’inscription des électeurs, mais également pour le maintien d’une
base de données des électeurs inscrits, contribuerait à améliorer la qualité
globale des élections au Nigeria. À l’époque, lorsque l’inscription électorale
biométrique fut terminée en janvier ou en février 2011, de nombreuses personnes
croyaient qu’il serait impossible d’utiliser ce système pour les élections qui
avaient lieu la même année en raison de la courte période de temps dont la
commission disposait. En effet, les élections devaient avoir lieu en avril
2011. Toutefois, l’INEC a pu effectuer l’inscription électorale biométrique
dans un délai de trois semaines, ce qui impliquait de fournir un dispositif de
capture de données à chacun des 120 000 bureaux de vote du Nigeria. Entre le
mois de février et de mars 2011, l’INEC a été en mesure de retirer près d’un
million de personnes inscrites plusieurs fois sur la liste électorale.
Pour les élections de 2015, nous avons utilisé un système
d’identification dactyloscopique (AFIS) pour procéder au retrait de nombreux
doublons de noms inscrits sur la base de données nationale. L’INEC a assuré que
cette technologie grandement utilisée pour correspondre à des empreintes
digitales et pour éliminer les noms de nombreuses personnes inscrites plusieurs
fois. Ce système nous a donc permis d’améliorer notre base de données nationale
mise en place en 2011 par l’INEC. Puisque ce système était exact à 95 %, nous
avons également pris des dispositions pour l’accompagner d’un système manuel de
vérification physique. Grâce à ce processus de vérification manuelle, l’INEC a
pu détecter et retirer encore plus de noms du registre. Au moment des
élections, l’INEC était convaincu qu’elle disposait du registre le plus exact
jamais employé aux élections nigériennes.
Néanmoins, nous étions également conscients des risques du vote multiple
et nous savions que nous devions l’empêcher. C’est la raison pour laquelle
l’INEC a émis une carte d’électeur permanente à tous les électeurs inscrits,
laquelle contient des renseignements démographiques et biométriques sur une
puce électronique. Lors des élections de 2015, nous avons ensuite eu recours
aux lecteurs de cartes à puces afin de vérifier et d’authentifier les électeurs
avant qu’ils n’aient le droit de voter. La combinaison des cartes d’électeurs
permanentes et des lecteurs de cartes a permis de prévenir le vote multiple.
3. Quels facteurs avez-vous considérés
avant de choisir un système?
Un point important était de savoir si le système technologique choisi
pourrait répondre aux défis uniques associés au système électoral nigérien.
Après avoir évalué les défis à relever, l’INEC a établi ses propres exigences
et spécifications pour un système technologique. Les exigences imposaient un
système robuste, qui pourrait assurer l’efficacité du processus électoral et en
promouvoir la transparence.
4. Quels sont les effets de la confiance
en l’indépendance de l’organisme de gestion électorale sur la nouvelle
technologie?
La confiance est extrêmement importante. En effet, une commission
électorale possède la responsabilité d’être honnête et de gagner la confiance
des citoyens. Au Nigeria, l’INEC a tenu une série de réunions avec une
multitude d’intervenants, y compris des partis politiques et des groupes de la
société civile. Ces rencontres nous ont permis de profiter de l’occasion pour communiquer
avec d’autres intervenants et se sont avérées essentielles aux efforts de
l’INEC pour renforcer la confiance des citoyens. Ces rencontres sont très
importantes.
5. Comment avez-vous obtenu l’appui des
partis politiques, des Organisations de la société civile (OSC), etc.? À quel
moment et de quelle façon les consultations se sont-elles déroulées?
Dans le cadre de sa préparation aux élections de 2015, l’INEC a commencé
a rencontré des intervenants très tôt. Entre l’année 2011 et les élections de
2015, nous avions des réunions avec des intervenants, en particulier avec les
représentants des partis politiques enregistrés chaque trimestre, c’est-à-dire
tous les trois mois. Ces réunions ont permis à l’INEC de faire part de leurs
idées et de leurs plans pour les prochaines élections. C’est lors de ces
réunions que l’INEC a présenté aux intervenants les nouvelles technologies
qu’elle a employées pour les élections et que ces derniers ont donné leur appui
à l’INEC. Nous avons également démontré le fonctionnement de cette technologie
et expliqué la procédure ainsi que les lignes directrices à l’intention de l’utilisation
des lecteurs de cartes le jour du scrutin. Nous avons aussi effectué des démonstrations
publiques, des essais et de la sensibilisation auprès du public.
À l’approche des élections, les réunions avec les intervenants se sont faites
plus fréquentes. Ces réunions se sont tenues avec des partis politiques, plus
précisément avec des présidents et des secrétaires, et ce une fois par mois avant
les élections. Elles ont contribué à renforcer la confiance et à favoriser un
consensus sur les questions clés relatives aux élections. Cependant, il y avait
des cas où les partis politiques semblaient s’opposer à certaines décisions
qu’ils avaient appuyées lors de réunions précédentes. Par exemple, ce fut le cas
du lecteur de carte. À l’approche des élections, l’un des partis politiques
était contre le lecteur de carte même si son utilisation avait été appuyée lors
des réunions. Cependant, l’INEC, sachant que le changement d’esprit du parti
était purement politique et en tant que l’organisme juridiquement chargé de
prendre de telles décisions, a procédé à l’emploi de cette technologie de
lecteur de cartes pour les élections.
Puisqu’il y avait de vastes consultations, de nombreux intervenants, en
particulier les groupes de la société civile impliqués dans le processus,
comprenaient la situation et savaient exactement ce que l’INEC faisait. Dans la
plupart des cas, c’était ces groupes qui défendaient l’INEC, les arrangements
conclus et les plans élaborés pour les élections. En outre, l’inclusion maximise la participation
des autres, ce qui contribue à réduire les risques d’erreurs. La confiance
mutuelle, favorisée par un processus inclusif, contribuera également à faire en
sorte que même en cas d’erreurs, les gens sont plus portés à manifester leur
appui et à comprendre la situation.
6. Quels ont été les forces et les enjeux
lors de l’introduction du système que vous avez utilisé?
L’introduction
de systèmes technologiques; le système d’inscription électorale biométrique; le
système d’identification dactyloscopique; le PVC et le lecteur de cartes,
lequel était une nouveauté, avaient pour force d’éliminer les risques de
fraude, ce qui a accru la confiance dans le processus électoral. De plus, ce
système a permis le renforcement de la collecte et de la mise en mémoire de
l’information. Grâce à ce système, l’INEC a pu établir des bases de données au
niveau national et étatique, lesquelles ont reçu les compliments de deux
centres de reprise après une catastrophe. Le lecteur de cartes pouvait
transmettre de l’information des bureaux de vote jusqu’à la base de données
nationale maintenue par l’INEC.
Toutefois,
l’emploi de la technologie engendre ses propres défis dont certains sont dus
aux infrastructures du Nigeria. En raison d’une alimentation électrique
insuffisante, l’INEC a dû recourir à des génératrices pour charger les lecteurs
de cartes dans les régions éloignées. Un autre défi provient du fait que la
technologie n’est pas largement fabriquée au Nigeria. Il fallait donc obtenir
des fournisseurs de technologie qui se conformeraient aux spécifications de
l’INEC. Le Programme des Nations Unies pour le développement a assisté l’INEC à
cet égard. Ce programme a aidé à assurer la qualité en en veillant à ce que les
fournisseurs respectent les spécifications élaborées par l’INEC. La dépendance
envers ces fournisseurs est un autre défi éventuel qui pourrait survenir,
particulièrement en ce qui concerne les pièces de rechange, les licences, les
logiciels, etc.
L’emploi
de la technologie est également très coûteux. Cependant, dans le cas du
Nigeria, les gens, y compris les intervenants, manifestaient un engagement
général de tenir des élections crédibles. Ce fut très utile puisque les gens
voyaient les coûts engendrés comme des dépenses nécessaires et valables à
l’amélioration des élections au pays dans une quête nationale pour renforcer la
démocratie.
7. Quels étaient les défis lors de la
mise en œuvre du système?
Les
défis lors de la mise en œuvre du système étaient en grande partie liés aux
infrastructures. L’alimentation électrique insuffisante, la couverture des
services Internet limitée et la faible connectivité de réseau mobile ont fait
de l’utilisation d’un système technologique particulièrement difficile. En
raison de la connectivité limitée dans certaines régions éloignées, la
transmission des informations des bureaux de vote jusqu’à la base de données
nationale a été difficile. L’INEC, qui avait prévu ces enjeux, a pris les
dispositions adéquates pour y remédier. Entre autres, nous avons pris des
dispositions pour installer des ensembles de production d’énergie.
8. Quelles réformes doivent être
apportées au système avant les prochaines élections?
Toute
technologie requiert des mises à jour. Avant les prochaines élections, l’INEC
doit mettre le registre à jour, elle doit également examiner la technologie de
lecteur de cartes employée pour les élections de 2015. Je crois que la
commission actuelle est consciente de ces besoins et déploie les efforts pour y
répondre.
9. Que conseilleriez-vous aux autres
commissions électorales qui envisagent la mise en place d’un système de liste électorale
biométrique?
J’encourage
tous les organes de gestion électorale africains à mettre en place des listes
électorales biométriques, elles sont meilleures que l’inscription manuelle et
les systèmes de balayage de marqueurs optiques. L’inscription électorale
biométrique permet de mener des élections intègres, efficaces et transparentes.
Néanmoins,
les organismes de gestion électorale doivent s’adapter à l’utilisation des
systèmes de liste électorale biométrique et à la technologie en général.
Lorsque ce n’est pas le cas, ils peuvent devenir dépendants de la technologie
et des fournisseurs. Comme il existe de nombreux fournisseurs de technologie,
les organes de gestion électorale doivent chercher ceux qui favorisent une
utilisation adaptée de leur technologie.
10. Quelles questions les OGE ou les fournisseurs
devraient-ils[EC1] se poser s’ils envisagent la mise en
place de nouvelles technologies?
J’encourage
tous les OGE à se poser des questions sur les enjeux suivants :
a.
Quelles sont les spécifications [EC2] de
l’équipement ou des appareils technologiques? Cette question est extrêmement
importante lorsque, contrairement au cas du Nigeria, l’OGE n’a pas élaboré ses
propres spécifications à l’avance. Il se pourrait également que l’OGE n’ait pas
la capacité de les élaborer. Dans de tels cas,
il devrait se concentrer sur les spécifications de la technologie et
s’assurer de très bien les connaître.
b.
Il est également important de s’informer
des droits
de permis[EC3] ,
des droits de propriété et des conditions d’utilisation. Certaines dispositions
permettent aux fournisseurs d’augmenter leurs frais au fil du temps. L’OGE
devrait s’assurer de connaître les conditions exactes des droits de licence et
de propriété.
c.
Il faut également penser au transfert
de technologie. L’OGE doit s’informer des dispositions mises en place pour former
le personnel afin qu’il ne dépende pas des « experts » étrangers. En
ce sens, il est primordial que l’OGE prenne des dispositions pour que les
membres de l’Unité technologie de l’information et de la communication (TIC)
soient formés sur le fonctionnement et
l’utilisation des appareils et systèmes technologiques, sur leur entretien,
etc.
d.
L’OGE doit également s’informer des
dispositions de soutien technique. Cet aspect est extrêmement important,
surtout lorsqu’il est question d’introduire un nouveau système. Dans ce
contexte, l’OGE doit s’assurer que le fournisseur peut fournir un système de
soutien solide, au cas où un problème surviendrait lors de l’utilisation du
système, et qu’il est prêt à le faire. Ainsi, on remédierait aux problèmes et
aux lacunes dans les plus brefs délais.