Après la Seconde
Guerre mondiale, la nouvelle République fédérale d'Allemagne a adopté un
système électoral qui combinait la représentation proportionnelle à scrutin de
liste et le scrutin majoritaire uninominal. Bien que les systèmes mixtes soient
maintenant de plus en plus populaires, le système allemand était unique lorsqu'il
a été instauré.
Puisque les systèmes
mixtes ont recours aux circonscriptions uninominales, on doit réviser les
limites des circonscriptions périodiquement afin de s'assurer que les
circonscriptions électorales sont relativement égales sur le plan de la
population. L'importance du processus de délimitation et l'influence qu'a
la carte électorale sur le résultat des élections varie selon que l’on utilise
ou non des sièges à liste de partis pour corriger les distorsions pouvant
apparaître entre le nombre de votes recueillis et le nombre de sièges remportés
dans les circonscriptions uninominales.
En Allemagne, les
sièges alloués dans la composante à liste de partis servent à compenser toute
potentielle distorsion du rapport entre sièges et votes générée au niveau des
circonscriptions électorales.[1] Ce type de système
électoral, que l'on appelle souvent « système mixte avec
compensation » (SMAC), a été adopté, au cours des dernières années, par de
nombreux pays, à savoir la Nouvelle-Zélande, la Hongrie, l'Italie, le Vénézuéla
et la Bolivie.
Dans d'autres pays
ayant recours aux systèmes mixtes, les sièges remportés par liste de partis ne
sont pas utilisés pour compenser les possibles distorsions provenant des
circonscriptions uninominales. Ils sont plutôt simplement ajoutés aux
sièges remportés au niveau des circonscriptions électorales. Le rapport entre
sièges et votes risque donc d'être distordu pour chacun des partis. Dans
ce type de système mixte, souvent appelé « système parallèle »,[2] le processus de délimitation des circonscriptions a
plus d'importance étant donné qu'il peut avoir un effet plus prononcé sur la
représentation des partis au sein du corps législatif.
Bien que l'Allemagne
ait recours au SMAC, le processus de délimitation a tout de même des
implications sur le résultat des élections. Cela s'explique par le fait
que l'allocation de sièges compensatoires (les sièges remportés par liste de
partis qui pallient les potentielles distorsions dans le rapport entre sièges
et votes) est effectuée au niveau des États (Länder) plutôt qu'au niveau
national. Étant donné que les États allemands varient en taille et sur le plan
des tendances politiques représentées, la mauvaise délimitation des
circonscriptions électorales peut mener à des mandats qualifiés
d'« excédentaires » (Überhangmandate). Dans de telles
situations, les partis forts possèdent plus de sièges directs (par SMU) qu'il
en a été alloué à l'État.
Système électoral
Le Parlement de la
République fédérale d'Allemagne est bicaméral : les membres de la chambre
basse, le Bundestag, sont élus directement, alors que la chambre haute,
le Bundesrat, est composée de représentants nommés par les États (Länder).
La composition du
Bundestag est fortement liée au SMAC, système qui combine des éléments du
scrutin majoritaire uninominal (SMU) et de la représentation proportionnelle à
scrutin de liste. Dans le cadre de ce système, la moitié des membres du
Bundestag sont élus directement dans des circonscriptions uninominales (Wahlkreisen)
et l'autre moitié l'est par scrutin de liste de partis.
Dans les
circonscriptions, on utilise le scrutin majoritaire uninominal (SMU) en vertu
duquel le candidat qui obtient le plus grand nombre de votes (même si le
pourcentage du candidat représente une majorité simple des votes) est
élu. Entre 1957 et 1987, il y avait 248 circonscriptions de ce type; de
1990 à 1998, il y en avait 328; et en 2002, le nombre a été ramené à
299. Ces circonscriptions sont réparties parmi les Länder,
proportionnellement à leurs populations.
Les sièges à liste de
partis sont alloués selon le pourcentage des suffrages exprimés en faveur de
chacun des partis. Par exemple, si un parti recueille 15 % des
suffrages exprimés, il reçoit 15 % des sièges au Bundestag.
Chaque électeur vote
deux fois lors des élections du Bundestag. Le premier vote (Erststimme)
sert à l’élection d’un candidat individuel, pour la représentation d'une
circonscription électorale donnée. Le deuxième vote (Zweitstimme) est
fait en faveur d’un parti politique et détermine combien de sièges chaque parti
reçoit au Bundestag.[3]
Afin de s'assurer que
pour chaque parti le pourcentage résultant de l'addition des votes recueillis
au niveau des circonscriptions (premier vote) et ceux recueillis par liste de
partis (deuxième vote) équivale au pourcentage des votes recueillis par liste
de partis (deuxième vote), chaque parti reçoit des sièges selon sa part des
votes recueillis par liste de partis (deuxième vote). Le nombre de sièges
remportés dans les circonscriptions par un parti est soustrait du nombre total
de sièges alloué à ce parti, et les sièges manquants sont comblés par des
candidats provenant de la liste de partis.
Si un parti remporte
plus de sièges au niveau des circonscriptions que ce à quoi il a droit selon sa
part du vote de liste, le parti conserve ces sièges (mandats
« excédentaires » ou Überhangmandate), et la taille du Bundestag
est augmentée en conséquence. Toutes les élections récentes ont mené à des
mandats « excédentaires » : après les élections de 1990, le
nombre total de sièges au Bundestag est passé de 656 à 662; en 1994, 16
autres sièges ont été ajoutés, ce qui a porté le total à 672 sièges; en 1998,
les élections ont mené à 13 mandats « excédentaires » pour un total
de 669 sièges; et en 2002, malgré l'importante révision des limites des circonscriptions
effectuée afin de réduire le nombre total de sièges à 598 et d'éviter les
mandats « excédentaires », le nombre de sièges au Bundestag
était de 603 sièges, avec 5 sièges excédentaires.
Cadre légal régissant les délimitations
Au début du mandat de
chaque législature, le président de l'Allemagne, conformément à
l'Article 3 de la Loi électorale de l'Allemagne, forme une Commission des
circonscriptions électorales (CCE) permanente (Wahlkreiskommission). La
tâche de la Commission est de surveiller les changements démographiques
survenant dans les circonscriptions électorales et d'émettre des
recommandations au sujet de la révision des limites des circonscriptions à
effectuer, le cas échéant, pour pallier ces changements.
Organisme responsable
de la délimitation des circonscriptions La Commission des
circonscriptions électorales (CCE) est mise sur pied par le président allemand
au début de chaque législature. Elle est composée du président du Bureau
de statistique fédéral, d'un juge de la Cour administrative fédérale et de cinq
autres membres, habituellement de hauts fonctionnaires d'État.
Critères de
délimitation La CCE est tenue de respecter cinq règles lors du processus de
délimitation électorale, tel que défini dans l'Article 3 de la Loi
électorale fédérale. Ces règles sont les suivantes :
- Les frontières des Länder doivent être
respectées.
- Le nombre de circonscriptions dans chacun des
Länder doit, autant que possible, correspondre à sa proportion de la
population.
- La population d'une circonscription ne devrait
pas s'éloigner du quotient de population de plus de 15 %. Lorsque
l'écart est supérieur à 25 %, les limites des circonscriptions
doivent être révisées.
- Chaque circonscription doit former une zone
géographiquement cohérente.
- Dans la mesure du possible, les limites des
communes, des arrondissements et des villes-arrondissements doivent être
respectées.
La Commission doit
achever son rapport et le présenter au ministère de l'Intérieur dans un délai
de 15 mois. Le rapport de la Commission contient le nombre d'habitants de
chaque circonscription électorale et des recommandations concernant
l'allocation des sièges et les changements des limites. La CCE présente
plusieurs propositions de redistribution offrant ainsi au Parlement plus d'une
option s'il décide de procéder à un redécoupage des circonscriptions.
Participation
d'autres groupes La CCE publie un rapport enrichi des idées de
nombreux autres groupes, incluant des membres du ministère de l'Intérieur qui
participent aux réunions de la CCE. La Commission communique avec les
fonctionnaires responsables des procédures électorales dans chacun des Länder.
De plus, chacun des Länder a l'occasion de faire connaître sa position
au sujet de toute recommandation de la Commission.
Le rôle du Parlement Le Parlement décide
de procéder ou non à un redécoupage et décide également des plans qu'il faut
adopter. Après avoir pris connaissance et discuté du rapport de la CCE, le
Parlement vote sur ses recommandations. À moins que les écarts de
population soient supérieurs à 33 %, le Parlement n'est pas tenu
d'accepter aucune des recommandations de la CCE. En fait, le Parlement a
souvent opté pour le statu quo.
Réforme du processus de redécoupage en Allemagne
La Commission, lors
du processus de révision qu’elle a entrepris en 1995, a proposé d'apporter des
changements majeurs au processus de redécoupage des circonscriptions. Ces
propositions de changement s'appuyaient sur de nombreuses raisons :
1. L'allocation des
circonscriptions n'avait pas changé depuis 1980 dans les Länder de
l'ouest, et depuis 1990 dans Länder de l'est, bien que des changements
démographiques majeurs se soient produits. Le Parlement n'a pas seulement
rejeté les recommandations de redistribution de 1983, 1987, et 1990, mais
également la proposition de carte électorale de la CCE pour une Allemagne
unifiée en 1994. Le Parlement avait tendance à approuver seulement les
recommandations de la CCE qui étaient requises par la loi, c'est-à-dire lorsque
l'écart de population était supérieur à 33 %.
2. Les élections parlementaires
de 1994 ont généré seize sièges excédentaires, alors que celles de 1998 ont
produit treize autres sièges excédentaires. Plusieurs facteurs
mènent à l'apparition de sièges excédentaires, mais l'une des principales
raisons réside dans le déséquilibre de la distribution des circonscriptions
électorales dû aux changements démographiques substantiels qui se produisent
dans les Länder.
3.
Le 31 décembre 1994, la
population de trois circonscriptions s'écartait de plus de 33 % de la
moyenne. Plusieurs autres frôlaient aussi cette limite.
4. Les réformes
territoriales entreprises avant 1994 dans les nouveaux Länder ont également
rendu nécessaire la révision des limites des circonscriptions.
5. En outre, en juin
1995, le Bundestag a décidé de réduire la taille du Parlement d’un
maximum de cent sièges dès la 15e législature (2002).
Finalement, une
Commission de réforme (Reformkommission zur Größe des Deutschen Bundestages)
a été mise sur pied en septembre 1995 avec le mandat de produire des
recommandations. La Commission était composée de 20 membres du Bundestag
(le parti au pouvoir, la CDU/CSU, occupait 11 sièges à la Commission), et de 14
experts (plusieurs d'entre eux étaient d'anciens membres du Bundestag).
La tâche de la
Commission de réforme était d'élaborer des recommandations sur toutes les
questions ayant à voir avec la réduction du nombre de sièges du Bundestag,
incluant les problèmes de délimitation des circonscriptions électorales et de
mandats excédentaires, ainsi que nombre d'autres questions connexes.
Le 17 juin 1997, le
président de la Commission de réforme, Hans-Ulrich Klose, a présenté les
recommandations finales au Bundestag. Ces recommandations ont mené à des
changements dans la législation électorale en ce qui a trait à la délimitation
des circonscriptions :
- Le nombre de sièges au niveau des
circonscriptions au Bundestag est passé de 328 à 299.
- Le nombre de circonscriptions électorales
allouées à chaque État devait, autant que possible, être proportionnel à
la population relative de chacun des États.
- L'écart de population permis a été
réduit : auparavant, les écarts de population de 25 % étaient
permis, et ce n'était que lorsqu'ils atteignaient 33 % que les
limites des circonscriptions devaient être révisées en vertu de la loi. La
législation électorale exige maintenant que la population des
circonscriptions ne s'écarte pas du quotient de population de plus de
15 %, et si l'écart dépasse 25 %, les limites des
circonscriptions doivent être revues.
Allocation des sièges par États : Avant et après
la diminution du nombre de sièges du Bundestag
Le tableau ci-dessous
présente l'allocation des sièges au niveau des circonscriptions pour chaque
État, avant et après la diminution du nombre de sièges au Bundestag (de
328 à 299).
États
|
2002
|
1998
|
Bade-Wurtemberg (circonscriptions 259 à 295)
|
37
|
37
|
Bavière (circonscriptions 215 à 258)
|
44
|
45
|
Berlin (circonscriptions 76 à 87)
|
12
|
13
|
Brandebourg (circonscriptions 56 à 65)
|
10
|
12
|
Brême (circonscriptions 54 et 55)
|
2
|
3
|
Hambourg (circonscriptions 19 à 24)
|
6
|
7
|
Hesse (circonscriptions 169 à 189)
|
21
|
22
|
Mecklembourg-Poméranie-Occidentale (circonscriptions
12 à 18)
|
7
|
9
|
Basse-Saxe (circonscriptions 25 à 53)
|
29
|
31
|
Rhénanie-du-Nord-Westphalie (circonscriptions 88 à
151)
|
64
|
71
|
Rhénanie-Palatinat (circonscriptions 200 à 214)
|
15
|
16
|
Sarre (circonscriptions 296 à 299)
|
4
|
5
|
Saxe (circonscriptions 152 à 168)
|
17
|
21
|
Saxe-Anhalt (circonscriptions 66 à 75)
|
10
|
13
|
Schleswig-Holstein (circonscriptions 1 à 11)
|
11
|
11
|
Thuringe (circonscriptions 190 à 199)
|
10
|
12
|
Historique du redécoupage en Allemagne
La CCE présente des
recommandations relatives au redécoupage environ tous les quatre
ans. Voici les actions qu'a prises le Parlement sur les recommandations de
la CCE :
- Premier rapport de la CCE en 1958 : le
Parlement n'a entrepris aucune action.
- Rapport de 1962 : le Parlement a accepté
les recommandations.
- Rapports de 1966 et 1970 : le Parlement a
entrepris des actions d'une ampleur limitée.
- Rapport de 1973 : la CCE a recommandé une
redistribution des sièges entre les États, ce qui a été rejeté par le
Parlement. Cependant, le Parlement a accepté le redécoupage à l'intérieur
des limites des États, en partie seulement.
- Rapport de 1978 : les recommandations de
la CCE ont été acceptées en partie.
- Rapport de 1982 : aucune recommandation
importante proposée par la CCE n'a été acceptée puisque le Parlement a été
dissous. Deux changements ont été effectués en raison d'écarts de
population qui excédaient 33 %.
- Rapport de 1984 : les recommandations de
redistribution des circonscriptions émises par la CCE ont été acceptées en
partie.
- Rapport de 1988 : les chiffres du
recensement n'étant pas disponibles, seuls des changements mineurs ont été
effectués.
- Rapport de 1992 : les recommandations de
la CCE n'ont pas été acceptées, sauf pour des changements de limites
rendus nécessaires en raison d'écarts de plus de 33 % et d'un
redécoupage majeur à Berlin.
- Rapport de 1996 : la plupart des seize
États n'ont pas accepté les changements proposés par la CCE. Berlin a reçu
une nouvelle circonscription électorale, le
Mecklembourg-Poméranie-Occidentale a perdu un siège et la Basse-Saxe a
reçu un siège. Un certain nombre de limites ont été révisées en Hesse en
raison d'écarts qui excédaient 25 %.
- Rapport de 1999 et rapport additionnel de 2000 :
d'importantes révisions des limites ont été effectuées afin de réduire à
299 le nombre de circonscriptions électorales.
- Rapport de 2003 : en raison des
mouvements démographiques, la CCE a proposé que la Thuringe et le
Schleswig-Holstein perdent chacun un siège, et que la Bavière et la
Basse-Saxe gagnent chacune un siège. Les gouvernements de la Thuringe et
de la Basse-Saxe ont cependant rejeté la proposition.
Conclusion
En Allemagne, le
processus de délimitation est encadré par des obligations légales fortement
enracinées. Certaines conditions forcent des changements et la marge de
manoeuvre politique est limitée. La CCE est un organisme indépendant et
elle doit se conformer à une série de règles lorsqu'elle présente des
recommandations en vue d'un redécoupage, laissant peu de place au
« gerrymandering ».
Cependant, les
gouvernements des Länder, particulièrement s'ils risquent de perdre un
siège, n'aiment pas particulièrement les révisions des limites des
circonscriptions. Les députés sont aussi susceptibles de s'opposer aux
changements des limites des circonscriptions puisque cela pourrait rendre
difficile leur réélection, ce qui se traduirait aussi par la perte d'un siège
pour leur parti. Le Parlement n'accepte donc généralement que les changements
statutaires et, dans la mesure du possible, préfère le statu quo.
Allemagne : Population des
circonscriptions électorales et écarts de population
[1] Par exemple, si un
parti politique devait recueillir 55 % des suffrages exprimés lors
d'élections parlementaires mais ne remporter que 45 % des sièges au niveau
des circonscriptions uninominales, des sièges compensatoires lui seraient
alloués de sorte que le pourcentage de sièges détenus par ce parti représente
55 % de l'ensemble des sièges parlementaires.
[2] Les systèmes parallèles sont répandus dans les pays
de l'ancienne Union Soviétique.
[3] Les partis politiques élaborent une liste de partis
pour chacun des Länder.