L’éducation peut sembler bien loin du rôle traditionnel des organismes de gestion électorale qui consiste en la préparation et en la conduite des activités logistiques nécessaires à la tenue d’élections. Cependant, l’éducation représente un secteur de plus en plus important pour ces organismes étant donné qu’un lien direct les unit; « pour qu’une élection soit réussie et démocratique, les électeurs doivent comprendre leurs droits et leurs responsabilités, et doivent de plus être bien informés et renseignés pour être en mesure de remplir des bulletins de vote correctement et de vraiment participer au processus électoral. »[i] Dans les situations d’après-conflit, les défis et les occasions peuvent être encore plus difficiles. À vrai dire, le fait de ne pas fournir l’information nécessaire à la participation des électeurs aux élections de manière suffisante et au moment opportun « peut, par omission, constituer une restriction déraisonnable à l’exercice des droits électoraux. »[ii]
Lorsqu’il est question d’éducation dans le contexte des processus électoraux, il existe deux concepts liés bien que différents. D’abord, il y a la notion d’« éducation des électeurs » qui fait référence à ce que font les organismes de gestion électorale lorsqu’ils informent les électeurs à propos de la manière de s’y prendre en ce qui concerne les aspects techniques d’une élection, incluant l’inscription et le vote. Il y a ensuite la notion d’« éducation civique », qui a souvent un sens plus large, car elle vise de son côté à parfaire les connaissances de la population en ce qui concerne les principes et les caractéristiques du gouvernement, par exemple, son système politique.
Le but des campagnes d’éducation civique et d’éducation des électeurs n’est souvent pas uniquement d’informer, mais également d’encourager directement l’intensification générale de l’engagement dans les élections et l’augmentation du taux de participation, bien que certaines lois électorales interdisent formellement la poursuite de ce genre d’objectifs. Il est essentiel que les campagnes d’éducation civique et d’éducation des électeurs respectent les principes d’objectivité, de transparence, d’égalité, de pluralisme et de neutralité des autorités électorales. Certains systèmes juridiques sont munis d’une interdiction formelle quant à l’utilisation de campagnes d’éducation électorale et civique pour diriger les électeurs vers un candidat ou un parti politique en particulier. Dans un tel cadre, l’une des fonctions des organismes de gestion électorale est de réguler les campagnes d’éducation électorale et civique menées par le gouvernement, et ce, afin d’empêcher la mise en œuvre d’actions empreintes de partialité, comme des gestes qui pourraient porter préjudice à l’intérêt public ou la fonction normale des services publics.
Alors que les processus électoraux sont de plus en plus institutionnalisés et respectueux des règlements, l’éducation des électeurs acquiert de l’importance parmi l’ensemble des activités des organismes de gestion électorale. Les programmes d’éducation des électeurs visent tous les électeurs, mais une attention particulière devrait être portée aux groupes d’électeurs historiquement marginalisés ou désavantagés étant donné que « ces mesures spéciales ne risquent habituellement pas d’être considérées comme discriminatoires puisqu’elles contribuent à la réalisation d’un des devoirs de l’État, soit protéger les droits des groupes qui souffrent ou qui ont souffert de discrimination. »[iii] De plus, tels programmes sont souvent spécifiquement consacrés aux groups affichant de faibles taux de participation, comme les jeunes.
Un solide programme d’éducation des électeurs est fondamental pour garantir la libre participation des électeurs admissibles au vote lors d’élections tenues en bonne et due forme. Par contre, cette initiative « est plus efficace lorsqu’elle est liée à un programme d’éducation qui met les élections en contexte au bénéfice des électeurs et qui donne une explication du but des élections, des questions qui s’y rattachent et de leur signification. » [iv] Le principal canal par lequel s’exprime l’éducation civique est le système scolaire qui prépare les jeunes, bien avant l’âge de voter, en leur inculquant des concepts qui prendront toute leur importance au moment de voter.
Le fait d’informer et d’éduquer les électeurs a également comme effet de faire augmenter le taux de participation aux élections. Bien que la participation électorale soit un phénomène très complexe et comportant de nombreuses variables, comme l’affirme Élections Canada dans le site Web de la Semaine canadienne de la démocratie 2012, « des études réalisées au Canada, aux États-Unis et en Australie révèlent que l’éducation civique influence positivement les principaux facteurs associés à la participation électorale, comme les connaissances politiques, l’intérêt pour la politique, les attitudes, la participation civique et l’intention de voter. »[v] Ainsi, l’éducation au sein de la culture démocratique devient de plus en plus nécessaire. Cela exige la construction d’une culture politique où tous les membres d’une communauté, à partir d’un jeune âge, devraient apprendre et assimiler les valeurs démocratiques que les citoyens doivent partager et transmettre. Conséquemment, en plus des acteurs sociaux ordinaires qui jouent un rôle éducatif, par exemple la famille, les écoles et les lieux de rencontre, les autorités électorales devraient elles aussi jouer un rôle important.
Au moment où les organismes de gestion électorale se donnent un rôle de plus en plus important dans l’éducation civique et électorale, il est bien sûr primordial qu’un financement adéquat soit prévu afin que les activités offertes répondent aux besoins et soient maintenues au fil des ans. Par exemple, dans certaines provinces du Canada, le financement nécessaire aux programmes d’éducation des électeurs est expressément obtenu par l’intermédiaire de ponctions directement effectués au Trésor public sans qu’un vote ait se tienne sur la question. Cependant, dans toutes les instances soumises à des considérations budgétaires, il s’avère utile que les efforts des organismes de gestion électorale soient appuyés par des initiatives similaires de la part des médias publics et privés, des partis politiques et des organisations internationales et non gouvernementales.[vi] Les organismes de gestion électorale doivent toutefois prendre l’initiative puisqu’ils sont les seuls habilités à communiquer des informations techniques, crédibles et non partisanes aux électeurs au moment opportun et selon les besoins.
Un autre moyen d’améliorer l’efficacité sur cette question est de partager les leçons retenues et les meilleures pratiques. À ce propos, une étude internationale sur l’éducation civique, la Civic Education Study (CIVICED), a été menée en 2012 sous l’égide d’International IDEA et de l’Université de Montréal au Canada. L’étude se fonde sur des questionnaires qui ont été remplis par des spécialistes de l’éducation civique dans plus de 35 pays afin de mettre sur pied une base de données qui servira de ressource pour les chercheurs, les décideurs, les professeurs et les universitaires aux quatre coins du monde.[vii]
De plus en plus, les cadres juridiques reconnaissent le rôle des organismes de gestion électorale en ce qui concerne l’éducation des électeurs. Non seulement les autorités électorales ont-elles les compétences techniques pour améliorer l’éducation des électeurs, mais elles sont également intrinsèquement obligées de contribuer à cet ambitieux projet qui se traduira peut-être plus tard en participation politique.
[i] ONU, Women & Elections, p, 56.
[ii] Patrick Merloe, Promoting Legal Frameworks for Democratic
Elections, p. 15.
[iii] DRI et The Carter Center, Strengthening International Law, p. 39.
[iv] ONU, Women & Elections, p. 60.
[v] Elections Canada, « L'impact de l'éducation civique sur la participation électorale.» Site Web de la Semaine canadienne de la démocratie 2012.
[vi] ONU, Women & Elections, p. 59.
[vii] Elections Canada, « L'impact de l'éducation civique sur la participation électorale.»