Les médias jouent un rôle essentiel dans l’organisation d’élections démocratiques; en effet, « non seulement les médias fournissent-ils aux candidats une tribune pour exprimer leurs opinions politiques, mais elles diffusent également des informations aux électeurs et peuvent agir comme chiens de garde par rapport aux actions prises par le gouvernement. »[i] Des élections libres et justes ne signifient pas seulement que les citoyens peuvent voter dans de bonnes conditions, mais également que des informations pertinentes au sujet des partis politiques, des candidats et du processus électoral lui-même sont fournies afin que les électeurs soient en mesure de faire des choix éclairés. Par conséquent, la liberté de presse est très importante afin d’assurer la tenue d’élections démocratiques. (Note : Le texte dans ce chapitre considère plusieurs sources, mais il est largement basé sur l’article traitant du compte des votes dans la publication de l’International IDEA intitulée « International Electoral Standards: Guidelines for Reviewing the Legal Framework of Elections »).
Étant donné que les médias sont considérés comme les meilleurs instruments pour diffuser un message, ils sont devenus le centre d’attention, particulièrement en ce qui concerne les campagnes électorales. Cependant, bien que certaines mesures de régulation des médias soient justifiées, « les mesures juridiques appliquées au secteur des médias ne devraient toutefois pas être trop restrictives ni ralentir inutilement les activités des médias. Ces mesures devraient en outre être proportionnées et considérées comme “nécessaires dans une société démocratique”.»[ii]
En effet, les exemples récents montrent que la performance des partis politiques est devenue plus tributaire des moyens économiques que des outils idéologiques, les partis utilisant leur constante présence dans les médias de masse comme une stratégie efficace pour se faire voir et entendre du public, alors qu’ils s’efforcent d’obtenir la préférence des électeurs. Cela étant, il est extrêmement important que les activités des médias de masse en ce qui a trait à la politique et aux élections soient réglementées. La régulation des médias devrait garantir que le recours aux médias de masse comme la radio, la télévision ou Internet ne devienne pas source d’inégalités lors des élections. Il est crucial que le cadre juridique garantisse que tous les partis politiques et candidats aient accès aux médias et soient traités équitablement par les médias contrôlés par l’État ou lui appartenant et qu’aucune restriction excessive ne soit imposée au droit de libre expression des partis politiques et des candidats lors des campagnes électorales.
Certains partis politiques détiennent des journaux et même des stations de télévision, des médias qui jouent un rôle vital dans la diffusion de la campagne du parti aux électeurs. Là où il y a davantage de médias privés que de médias appartenant à l’État, la question de l’accès équitable des partis et des candidats se pose et doit conséquemment être règlementée. À la différence du cas des médias contrôlés par l’État, « il semble que, d’après le droit international, les médias privés ne sont soumis à aucune obligation de donner un accès égal aux adversaires électoraux. »[iii]
Il existe toutefois une norme internationale jugée raisonnable et applicable en ce qui concerne les médias privés. Si l’on permet la publicité politique, les médias privés doivent demander les mêmes tarifs à tous les partis et candidats, sans discrimination. Dans certains pays, la publicité politique payante est interdite, alors que dans d’autres, ce genre d’interdiction a été défini comme une atteinte injustifiable à la liberté d’expression. Quoi qu’il en soit, la publicité politique payante devrait toujours s’afficher comme telle et ne devrait pas être déguisée sous la forme de nouvelles ou de couverture médiatique. Le cadre juridique devrait proposer les deux garanties suivantes:
- Donnez à tous les partis politiques et candidats les garanties juridiques nécessaires pour leur permettre de concourir sur la base d’un traitement équitable devant la loi et les autorités de l’État.
- Empêchez tout obstacle juridique ou administratif de nuire à l’accès aux médias, et ce, de façon non discriminatoire à l’égard de tous les partis et individus désirant participer au processus électoral.[iv]
Il est important qu’il y ait des dispositions juridiques claires visant à garantir la mise en œuvre de ces garanties avant et pendant les élections. Le processus servant à établir une formule ou un calendrier pour l’accès aux médias et garantir un traitement équitable pour une élection donnée ne devrait pas contenir d’ambigüités et ainsi favoriser l’application de ces mesures. Par exemple, la moitié du temps d’antenne pourrait être réparti également entre les partis et l’autre moitié pourrait l’être selon la proportion des votes obtenus lors de l’élection précédente ou le nombre de sièges détenus au Parlement. Puisque les débats politiques et certaines formes de campagnes politiques ont lieu également en dehors des périodes électorales, une disposition supplémentaire visant l’ouverture du dialogue pourrait être « d’obliger la mise à disposition de temps d’antenne gratuit à la radio et à la télévision publique pour les partis politiques, et ce, pas uniquement durant les périodes électorales. »[v]
L’accès des partis politiques et des candidats aux médias peut être réglementé par une loi du droit national s’occupant de l’information publique ou médiatique, et pas nécessairement dans la loi électorale. Les lois règlementant les médias peuvent uniquement contenir des dispositions générales quant à l’accès et délèguent le pouvoir de déterminer les détails de leur implantation à une entité administrative, par exemple, un comité spécialisé en matière de médias. Il existe diverses formes « pour ce genre d’entité de surveillance, par exemple, un modèle d’autoréglementation, un organisme de réglementation traditionnel responsable de superviser les activités des médias de manière permanente ou, parfois, une direction de l’organisme de gestion électorale lui-même. »[vi]
Quel que soit le modèle, le principe qui prime est celui voulant que l’organisme agisse avec indépendance, impartialité, transparence et cohérence.[vii]
Les règles sur l’accès et sur l’équité de traitement risquent d’être violées si les médias appartenant à l’État sont en mesure de favoriser un parti politique ou un candidat dans le cadre d’une soi-disant couverture médiatique et de prétendus forums de discussion ou éditoriaux. La loi devrait interdire la couverture partielle ou le traitement préférentiel dans les médias appartenant à l’État et prévoir les sanctions et les mécanismes correctifs pertinents. Ce genre de réglementation est nécessaire étant donné que « dans de nombreux pays, le parti au pouvoir domine les médias publics. Bien que l’émergence de médias indépendants ait eu pour effet de contester ce monopole, il y a toujours la perception que dans certains cas, les médias publics, lesquels recourent souvent à une couverture médiatique sensationnaliste et partiale, ne sont pas tenus responsables envers la population de manière satisfaisante. »[viii]
Le fait que les médias soient en constante évolution a également un impact significatif sur la conduite des campagnes électorales et sur la couverture qu’en font les médias. Il ne fait aucun doute que le droit international a eu du mal à suivre cette rapide évolution, mais il faut étudier certaines questions, par exemple « le fait que de l’information impartiale au sujet des élections et des candidats est disponible en ligne, le rôle et la réglementation des blogues et du journalisme non professionnel et citoyen en période électorale et, finalement, l’influence des nouveaux médias sur la réglementation du financement électoral. »[ix]
La tenue d’élections démocratiques n’est pas possible là où le cadre juridique électoral restreint ou met des barrières aux discours électoraux et à la libre expression. Très souvent, le cadre juridique des pays en transition démocratique censure les discours de campagne en imposant des sanctions contre les auteurs de discours publics jugés diffamatoires ou insultants envers une autre personne ou un adversaire politique, ce qui peut inclure les critiques adressées au gouvernement, à un représentant du gouvernement ou encore à un candidat. Ce genre de dispositions se retrouve non seulement dans la loi électorale et la loi sur les médias, mais également dans la Constitution ou dans le droit civil, criminel ou administratif. Toute disposition juridique règlementant la diffamation devrait se limiter au droit civil. Toute disposition, peu importe sa provenance juridique, imposant des sanctions de disqualification, d’emprisonnement ou une amende lorsqu’on critique ou « diffame » le gouvernement, un autre candidat ou un parti politique peut mener à des abus. Des restrictions posées à la liberté d’expression pourraient s’avérer contrevenir au droit international en matière de droits de la personne [x].
En outre, ces dispositions peuvent violer les garanties de liberté d’expression inscrites dans la Constitution d’un pays. On doit tenir compte de ces libertés lorsqu’on étudie les dispositions qui permettent la censure des candidats, des partisans ou des médias et qui entrent en contradiction avec les normes nationales et internationales. Les seules exceptions pourraient être l’interdiction ciblée de messages pouvant inciter à la haine religieuse ou raciale [xi] ou encore à la violence.
Les règlements et les limitations qui dressent des barrières et qui pénalisent la libre expression ne font pas que brimer les droits fondamentaux et la capacité de partis politiques et des candidats de communiquer directement avec les électeurs, mais aussi, « dans un environnement médiatique démesurément restrictif, les journalistes peuvent pratiquer l’autocensure dans le but d’éviter le harcèlement ou les sanctions provenant des autorités, limitant ainsi la quantité d’informations et la diversité d’opinions offertes aux électeurs. »[xii]
La conduite de sondages d’opinion et de sondage des votants, particulièrement quand leurs résultats peuvent influencer les intentions des électeurs qui n’ont pas encore voté, est une autre question qu’il faut étudier. Dans certains pays, on considère que toute limitation posée aux sondages d’opinion et aux sondages des votants constitue une atteinte à la liberté d’expression et est, par conséquent, inacceptable. En outre, dans certains pays, la publication des résultats de ces sondages est uniquement permise une fois que les bureaux de vote ont fermé. Toute disposition juridique posant des limitations déraisonnables ou disproportionnées à la liberté d’expression en période électorale devrait être modifiée ou supprimée du cadre juridique.
En partant du cadre juridique, on devrait étudier l’idée d’établir un régime spécifique pour la conduite de sondages d’opinion en période électorale. L’objectif de la réglementation encadrant de tels sondages est d’empêcher des groupes politiques et des partis de manipuler l’électorat par l’intermédiaire de sondages d’opinion qui pourraient influer sur le résultat des élections. Les mesures les plus répandues à cet égard sont:
- La définition des exigences permettant la conduite de sondages d’opinion et la diffusion publique de leurs résultats. Par exemple, le cadre juridique exige souvent la divulgation du nom de la maison qui a effectué le sondage, la date, la méthodologie employée, la taille de l’échantillon et d’autres caractéristiques techniques comme la marge d’erreur et les caractéristiques de l’échantillon;
- Conformément à ce qui précède, le cadre juridique accorde des pouvoirs spéciaux à l’administration électorale quant au contrôle de la diffusion des résultats des sondages d’opinion, habituellement en incluant la possibilité d’imposer des mesures correctives aux médias;
- L’interdiction de publier des résultats de sondages d’opinion un certain nombre de jours avant le jour du scrutin. Bien que l’application d’une telle interdiction soit difficile étant donné la portée mondiale des médias de masse, l’administration électorale est normalement habilitée à imposer des mesures correctives si les exigences juridiques ne sont pas satisfaites.
Une autre manière de sonder l’opinion du public est l’outil que l’on appelle « sondage des votants », lequel a été utilisé pour la première fois en Israël. À la différence des sondages d’opinion, les sondages des votants ne se fondent pas sur les intentions de vote, mais plutôt sur les réponses d’électeurs venant de voter et choisis au hasard. Toutefois, contrairement aux résultats électoraux préliminaires, lesquels sont recomptés et vérifiés après la fermeture des bureaux de vote, les sondages des votants sont uniquement basés sur les affirmations des électeurs, d’où le problème de la fiabilité. Bien qu’on puisse supposer que les électeurs dans les démocraties établies n’ont pas de raison de cacher leur choix ou de mentir à ce sujet, surtout lorsqu’on sait qu’il n’y a aucune obligation de répondre, en pratique, ils le font régulièrement. En effet, les sondages des votants ne sont pas parvenus à prédire les résultats électoraux dans de nombreux pays européens. Par conséquent, on peut s’attendre à ce que le degré de fiabilité des sondages des votants soit encore plus faible dans les pays en phase de transition, où les craintes des citoyens peuvent être fondées.
Les sondages des votants peuvent donc mener à la publication de données inexactes, créer de la confusion et nuire à l’acceptation des résultats par les vaincus, particulièrement dans les pays en transition. De plus, leur compatibilité avec le principe du vote secret n’est pas certaine. L’efficacité des sondages des votants est même remise en question dans les démocraties établies où les systèmes de compte rapide basés sur les nouvelles technologies permettent la publication de résultats préliminaires exacts et parfaitement fiables en très peu de temps. En résumé, les sondages des votants peuvent nuire au processus électoral dans les pays en transition politique et, dans tous les cas, ils sont chers et peu fiables.
Non seulement est-il important de réglementer l’allocation de temps d’antenne dans les médias, mais également d’encadrer d’autres questions comme l’égalité de la couverture médiatique des campagnes électorales et la diffusion de sondages pendant certaines périodes, puisque ces questions peuvent avoir des effets nuisibles en ce qui a trait à l’équité de la compétition électorale.
[i] DRI et The Carter Center, Strengthening International Law, p. 37.
[ii] Commission européenne, Manuel d’observation électorale de l’Union européenne, p. 54.
[iii] DRI et The Carter Center, Strengthening International Law, p. 38.
[iv] International IDEA, International Electoral Standards, p. 61-62.
[v] OSCE, Guidelines for Reviewing a Legal
Framework for Elections, p. 19.
[vi] Commission européenne, Manuel d’observation électorale de l’Union européenne, p. 56.
[viii] SADC et EISA, Principes de Gestion, de Surveillance et d’Observation des Elections dans les Pays de la SADC, p. 18.
[x] International IDEA, International Electoral Standards, p. 63.
[xi] Commission européenne, Manuel d’observation électorale de l’Union européenne, p. 54.
[xii] OSCE, Election Observation Handbook, p. 64.