Il existe certaines grandes catégories de traditions juridiques qui différencient les systèmes selon le pays ou l’époque. Ces traditions sont partagées par un certain groupe ou encore par des systèmes entiers et rendent possible l’identification de différentes familles juridiques. Autrement dit, si l’on comprend la tradition juridique dans laquelle s’inscrit un système juridique donné, on arrive à distinguer différentes familles juridiques. Cependant, bien qu’un système juridique national puisse appartenir à une famille juridique bien définie, en même temps, dans la législation au niveau local ou communautaire, un autre système juridique appartenant à une tradition juridique différente peut exister. En effet, « il est difficile d’identifier un pays dont la tradition juridique est pure et exempte d’influences provenant d’autres systèmes. Pour des raisons historiques, ainsi que des raisons d’influences politiques et économiques, les systèmes juridiques des pays sont souvent le résultat d’un amalgame de différents systèmes juridiques, incorporant des éléments de différentes traditions. » [i]
Le Canada représente un bon exemple de cette situation : son système national appartient à la tradition de la common law, alors que le système juridique de la province de Québec appartient à la tradition du droit civil. On trouve d’autres exemples parmi les pays d’Amérique latine qui comptent des populations autochtones et dont les systèmes nationaux appartiennent à la famille du droit civil et où, en même temps, dans des territoires plus restreints, le droit coutumier s’applique, incluant ce qui concerne les questions électorales.
Il y a effectivement plusieurs familles juridiques issues d’une origine ou d’un passé commun, d’institutions similaires, d’une même famille linguistique ou de concepts communs, d’une similarité de l’origine des législations, de l’ensemble des procédures et des méthodes et techniques employées par les juristes, ainsi que de principes philosophiques, économiques ou politiques qui façonnent chaque système juridique.
Connaître la famille à laquelle appartient chaque système juridique national est utile pour élargir la perspective de l’institution ou du processus électoral, ainsi que pour en arriver à une compréhension plus complète et plus fiable des différences existant entre les systèmes juridiques.
Puisque l’étude doit tenir compte de la famille à laquelle appartient le système et considérer le contexte culturel, économique, politique et social, l’exercice de traduction de la terminologie peut être problématique lorsqu’on cherche à comprendre, expliquer ou comparer les institutions, instruments ou processus électoraux de certains pays.
Les familles du droit romano-germanique, droit civiliste ou droit civil sont issues du droit romain (les Douze Tables, le Corpus Iuris Civile, le Corpus Iuris Canonici) et ont été largement influencées par le droit canonique. De plus, elles ont été enrichies grâce aux contributions des commentateurs et des « post-commentateurs » ainsi que grâce au travail de juristes provenant d’universités latino-germaniques. C’est ainsi que le ius commune a été créé. Plus tard, par l’intermédiaire de processus de codification à l’aide desquels plusieurs codes civils, commerciaux, criminels ou de procédures ont été élaborés, la structuration de législations nationales menant à la création de constitutions s’est poursuivie. Dans cette tradition juridique, le développement du droit civil et la codification des dispositions juridiques fondées sur la justice et l’égalité ont été privilégiés. Les pays scandinaves et latino-américains, plusieurs pays africains qui étaient des colonies européennes et de nombreux pays d’Europe continentale appartiennent fondamentalement à cette famille juridique.
La famille de la common law est née durant le 11e siècle en Angleterre. Cette tradition juridique a été largement diffusée dans la majorité des pays anglophones. Elle se caractérise par la création de dispositions juridiques issues de décisions judiciaires. Autrement dit, le système respecte le précédent jurisprudentiel en vertu duquel un cas donné reçoit la même solution juridique qu’un cas passé similaire. Par conséquent, en opposition aux familles qui privilégient la création de lois par le pouvoir législatif, la législation est plutôt un produit du travail des juges. En général, on retrouve le Royaume-Uni et certains pays africains, américains et océaniens appartenant au système juridique du Commonwealth dans cette famille juridique. La plupart de ces pays appliquent la loi anglaise et reconnaissent le monarque du Royaume-Uni comme chef d’État. Les États-Unis constituent un autre exemple de cette famille.
Puisqu’ils ne partagent pas une même tradition juridique, les systèmes religieux ne représentent pas une famille juridique. La seule constante est la nature religieuse ou philosophique de la législation, là où législation et religion sont des quasi-synonymes. Dans les différents systèmes qui appartiennent à cette tradition, l’applicabilité de ce mélange de règles de conduite se limite à certains sujets, comme dans le droit hindou ou brahmanique, appliqué dans de vastes régions en Inde ou dans le droit juif, préservé par les communautés juives orthodoxes éparpillées dans plusieurs pays. Cependant, il existe un nombre important de pays où la vaste majorité des citoyens pratiquent l’Islam et partagent sa tradition et sa culture juridique. En conséquence, il est possible de les rattacher à la famille musulmane.
Ces notions sont utiles lorsque l’on considère le cadre juridique d’un pays donné et, en particulier, dans les sections à venir, lorsque l’on étudie le rôle de l’aperçu juridique et judiciaire.
[i] Information for Development Program and International Telecommunications Union. “Snapshot of Different Legal Traditions.” Site internet de ICT Regulation Toolkit.