i. Exigences
Le droit au « suffrage universel met l’accent sur le caractère inclusif et non discriminatoire du groupe de personnes à qui l’on accorde le droit de vote.» [i] Sur ce point, le droit international est clair et net (ICCPR s.25): « tous les citoyens doivent jouir du droit de vote et du droit à l’éligibilité sans discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la propriété, la naissance ou un autre statut.» [ii] Conséquemment, ce droit doit être promulgué dans le cadre du plus haut niveau juridique, la Constitution par exemple. On doit concevoir le droit de vote comme un droit constitutionnel primordial au sein de toute démocratie constitutionnelle.
Cependant, le droit international est clair: des limites au droit de vote peuvent être appliquées, pourvu que ces limites soient raisonnables et objectives [iii] et ne soient pas appliquées arbitrairement. La Constitution comme les lois peuvent règlementer les autres exigences auxquelles les électeurs doivent satisfaire pour avoir droit au vote.
À ce chapitre, il existe des exigences communes, notamment, la citoyenneté, la résidence, l’âge et certaines situations particulières, comme celles des détenus, des personnes ayant des incapacités mentales, des militaires actifs et des policiers.[iv] Toutefois, il est clair que d’autres exigences ne sont pas forcément discriminatoires.
ii. La limitation du droit de vote
Les personnes ont le droit de vote et le droit à l’éligibilité. Cela dit, ces droits peuvent être limités sous certaines conditions qui doivent être établies dans des règlements.
- Premièrement, puisqu’il est question de limitation des droits fondamentaux, un principe essentiel doit être respecté: chacune des limites imposées aux droits fondamentaux doit préalablement être établie dans la loi.
- De plus, les lois qui restreignent les lois fondamentales doivent être interprétées au sens strict et de la manière la plus restreinte possible. Le raisonnement par analogie ne constitue pas une méthode valide d’interprétation lorsque les droits fondamentaux sont en jeu.
- Le maintien des droits fondamentaux doit primer sur toutes les autres considérations. En ce qui concerne les questions électorales, les interprétations en faveur de la pleine participation des citoyens ont préséance sur les autres.
- Elles doivent être appliquées de manière non discriminatoire. Autrement dit, dans des situations identiques, les mêmes limites seront appliquées, sans aucune considération personnelle, quelle qu’elle soit.
- Les limites au droit de vote doivent viser l’atteinte d’un processus électoral libre et démocratique. Les limites imposées au droit de vote et au droit à l’éligibilité sont justifiées tant et aussi longtemps qu’elles contribuent à l’amélioration du droit de vote et du droit à l’éligibilité d’un point de vue collectif.
Il doit exister une autorité indépendante habilitée à encadrer les décisions relatives aux limites imposées aux droits fondamentaux. Habituellement, cette autorité peut faire partie de l’autorité électorale ou relever du pouvoir judiciaire du gouvernement. Toute limite imposée aux droits fondamentaux doit faire l’objet d’une révision judiciaire. Voici quelques exemples de restrictions inacceptables du droit de vote: «celles fondées sur la “race”, le sexe, la religion, l’origine ethnique, l’appartenance politique (passée), la langue, la littératie, la propriété ou le pouvoir de payer des droits d’inscription.» [v]
Néanmoins, des limites raisonnables au droit de vote ont été établies dans le droit international.
1. Citoyenneté
Habituellement, la citoyenneté présuppose l’existence d’un lien juridique entre une personne et l’État. Ce lien représente une exigence électorale qui ne date pas d’hier. Faire partie d’une communauté politique permet aux citoyens de participer aux affaires publiques.
La nationalité et la citoyenneté ne vont pas nécessairement de pair: cette distinction est importante dans les États où les habitants et les citoyens possèdent différentes nationalités en raison de contextes historiques, culturels et politiques différents. En outre, il est également important de souligner que la citoyenneté présuppose souvent d’avoir atteint l’âge adulte. Une caractéristique qui fait d’un État ce qu’il est réside dans son degré de souveraineté et, pour posséder cette caractéristique, il est nécessaire de savoir qui peut être considéré comme un citoyen. Cela est habituellement établi dans la Constitution et dans les lois. On doit y définir précisément qui est considéré comme un citoyen sur la base du lieu de naissance, de l’âge et d’autres critères. Par conséquent, on doit établir les autres exigences relatives à l’obtention de la nationalité ou de la citoyenneté: le statut au pays, la relation entre le pays étranger et le nouveau pays, l’état matrimonial, la parentalité, les liens juridiques avec certains citoyens et ainsi de suite.
Ainsi, on peut affirmer que la citoyenneté est un concept juridique et non pas politique; autant la Constitution que les lois de chaque pays déterminent les exigences relatives à la citoyenneté. Dans certains pays, la citoyenneté n’est pas suffisante pour avoir le droit de vote, particulièrement quand la citoyenneté a été obtenue autrement que par la naissance. Normalement, dans ce genre de cas, pour voter, il faut avoir habité un certain temps dans le pays où l’élection a lieu.
La relation entre la citoyenneté et le droit de vote est moins directe qu’autrefois, parfois pour des raisons historiques et culturelles ou alors pour d’autres raisons comme la migration ou les exigences issues des traités internationaux.
Habituellement, lorsque des dispositions ne sont pas établies dans la loi, les étrangers peuvent voter aux élections municipales. Une raison importante justifie cela : les étrangers qui sont au pays de plein droit participent à la vie quotidienne au même titre que tout citoyen. De plus, les élections municipales n’ont pas une portée politique très grande. Le Traité sur l’Union européenne de 1992, par exemple, promeut le droit de vote et le droit à l’éligibilité pour les élections locales dans tous les pays de l’Union européenne. On trouve des précédents similaires au Danemark, en Suède et en Norvège. Le cas du Royaume-Uni est assez intéressant; là-bas, les citoyens de la république d’Irlande et du Commonwealth ont également le droit de voter aux élections britanniques.
De même, il est important de mentionner l’encadrement de l’élection des membres du Parlement européen, qui a lancé de nombreuses initiatives qui sont maintenant établies (voir L’élection des membres du Parlement européen). Les citoyens européens ont le droit de vote quel que soit leur lieu de résidence et ils sont aussi éligibles si leur nom apparaît sur un bulletin de vote d’un pays européen différent du leur.
Plusieurs conflits peuvent émerger des règles entourant la nationalité. C’est ce qui est arrivé dans certaines des anciennes républiques soviétiques (voir Les minorités privées du droit de vote et les difficultés d’être considéré comme un citoyen russe). La restriction de la citoyenneté aux personnes venant de certains pays, d’un point de vue historique comme culturel, a limité le droit de vote de plusieurs.
2. Résidence
Le lieu de résidence d’une personne peut être pertinent en ce qui a trait au droit de vote, et ce, de deux manières. D’abord, les citoyens étrangers peuvent avoir le droit de vote aux élections locales d’un pays étranger et ils peuvent même obtenir la citoyenneté du pays où ils résident. Deuxièmement, le fait de vivre dans un pays étranger peut avoir un effet négatif sur les droits de vote des résidents étrangers.
Le lieu de résidence est très important pour les élections locales ou régionales et peut également être très important pour l’inscription électorale. Dans certains cas, particulièrement dans des démocraties établies, les citoyens peuvent voter aux élections régionales ou nationales de l’étranger. Dans ce cas, les lois électorales leur permettent de faire parvenir leurs votes par la poste, de voter dans les consulats ou de voter dans d’autres lieux, comme c’est le cas pour les soldats ou les diplomates vivant à l’étranger. Il existe toutefois certains pays où ce n’est pas le cas. Le vote hors territoire est très important pour les pays touchés par des migrations massives et importantes.
Certaines réalités peuvent rendre non pertinente la question du lieu de vote. Au Costa Rica, par exemple, le vote peut être effectué à des distributeurs automatiques. Mentionnons toutefois que l’endroit où les électeurs vivent est très important pour déterminer le territoire électoral (pas le bureau de vote) dans lequel leur vote sera comptabilisé. La liste électorale comporte des frontières claires séparant les circonscriptions électorales, ce qui est primordial pour déterminer dans quelle circonscription le vote de l’électeur sera comptabilisé.
3. Âge
L’âge requis pour pouvoir voter a suivi l’évolution qui a mené à l’application universelle du droit de vote. Par le passé, l’âge de voter ne correspondait pas à l’âge de la responsabilité criminelle. À vrai dire, les électeurs (environ 25 ans) étaient plus âgés que les criminels qui purgeaient leur peine. Les femmes avaient des âges de voter différents des hommes. Toutefois, la grande majorité des pays ont établi que les personnes âgées d’au moins 18 ans sont des citoyens et qu’ils ont le droit de vote.
Habituellement, l’âge de voter est établi dans la Constitution étant donné que cela concrétise une limitation des droits fondamentaux. Bien que les pays n’aient pas tous les mêmes règles en ce qui concerne l’âge à partir duquel une personne peut être considérée responsable criminellement, il existe une tendance universelle selon laquelle l’on associe les droits civils et l’âge adulte à l’âge de 18 ans.
4. Autres exigences
D’autres restrictions au droit de vote sont appliquées aux prisonniers reconnus coupables d’un délit et purgeant une peine, aux personnes ayant des incapacités mentales, aux militaires actifs et aux policiers. Dans le cadre juridique, on devrait faire en sorte de s’assurer que ces limitations sont réduites aux maximum et qu’elles sont appliquées proportionnellement. En fait, la tendance «est d’élargir le droit de vote, par exemple, en exigeant une procédure judiciaire pour déterminer qu’une personne n’a pas la capacité de faire un choix électoral éclairé, en permettant aux personnel militaire et policier de voter et en limitant les restrictions du droit de vote à ceux qui ont été reconnus coupables de crime, conformément au principe de proportionnalité de la peine en rapport avec la nature du crime commis.» [vi]
[i] Commission européenne et NEEDS, Compendium, p. 11.
[ii] DRI et The Carter Center, Strengthening International Law, p. 29.
[iv] Patrick Merloe, Promoting Legal Frameworks for Democratic
Elections, p. 12.
[v] OSCE, Election Observation Handbook, p. 60.
[vi] Patrick Merloe, Promoting Legal Frameworks for Democratic
Elections, p. 12.