Les élections législatives qui se sont déroulées en Égypte entre novembre 2011 et février 2012 démontrent l’importance fondamentale du cadre juridique pour la conduite d’élections en bonne et due forme et pour la transition démocratique. Les élections à la chambre basse, l’Assemblée du peuple (AP), se sont d’ailleurs soldées par une révision judiciaire des lois électorales et plus tard par une décision ayant pour effet de ne pas tenir compte de ces élections.
À la suite d’une période de manifestations populaires et, le 11 février 2011, de la démission du président Hosni Moubarak, le Conseil suprême des forces armées (CSFA), une institution militaire égyptienne, a pris le pouvoir en tant qu’autorité de transition et a suspendu la Constitution. Le Parlement a été dissous et des élections ont été annoncées pour l’Assemblée du peuple ainsi que pour la chambre haute, le Conseil consultatif (CC). Des élections présidentielles allaient suivre. De plus, une Assemblée constituante (AC) serait établie avec le mandat de rédiger une nouvelle Constitution.
Le système électoral établi par la Loi sur l’Assemblée du peuple (LSAP) en octobre 2011 prévoit que l’AP soit élue d’après un système mixte selon lequel les deux tiers des 498 sièges sont pourvus selon le système de représentation proportionnelle à liste de parti fermée (RP) et l’autre tiers selon un système majoritaire de deux élus par circonscription (sièges de candidats individuels ou CI). Toutefois, en vertu de ce système, les candidats de partis avaient le droit de participer aux élections individuelles et, en réalité, cela a fait que les candidats des partis politiques pouvaient concourir pour tous les sièges au Parlement, alors que les candidats individuels pouvaient uniquement le faire pour le tiers des sièges.[i] C’est cette disposition qui aura finalement entraîné le rejet des élections de l’AP.
Après avoir observé les élections de l’AP, le Centre Carter a indiqué que bien qu’il y ait eu des défauts dans le cadre juridique, des violations électorales et des faiblesses dans l’administration, « les résultats semblent être une représentation plutôt fidèle du désir des électeurs.» [ii] Cependant, les restrictions juridiques imposées sur les candidats individuels en comparaison avec celles posées sur les candidats des partis ont eu pour effet que seulement 15 % des sièges de candidats individuels ont été remportés par des candidats non affiliés à un parti. [iii]
Les élections de l’AP ont été contestées devant les tribunaux en employant l’argument voulant qu’il était inconstitutionnel que des candidats de parti puissent concourir pour des sièges de candidats individuels, mais que des candidats individuels ne puissent pas concourir pour des sièges de parti. Le 14 juin 2012, la Cour constitutionnelle suprême (CCS) a jugé que les élections à l’AP étaient nulles en invoquant trois articles inconstitutionnels de la LSAP et un du décret 123/2011. L’élément essentiel que la CCS a jugé inconstitutionnel est que la LSAP était discriminatoire en ce qu’elle permettait aux candidats de parti de concourir pour des sièges de candidats individuels, mais qu’elle ne permettait pas aux candidats individuels de concourir pour des sièges de parti. [iv]
À seulement quelques jours du deuxième tour du vote présidentiel, le CSFA a adopté un décret, dissolvant ainsi l’AP. Une fois élu en juin 2012, le président Mohamed Morsi a tenté sans succès, le 8 juillet, de restaurer l’AP de manière intérimaire en annulant le décret initial du CSFA. Par conséquent, de nouvelles élections pour l’AP devaient être organisées.
Par la suite, en septembre 2012, la Cour administrative suprême (CAS) a tranché en faveur du maintien de la décision de la CCS de dissoudre l’AP, mais le débat politique s’est poursuivi. Un conseiller juridique du Freedom and Justice Party, parti qui détenait la majorité relative à l’AP alors dissoute, a décrit la décision comme une « catastrophe dans l’histoire judiciaire de l’Égypte », alors que d’autres, incluant l’ancien candidat à la présidence Amr Moussa, ont appelé au respect des décisions judiciaires. [v]
Fait important, le rejet des élections de l’AP, le différend avec le président et la controverse politique qui en ont découlé sont des évènements qui ont tous pu survenir malgré l’état de transition qui prévalait. Cela semble en grande partie attribuable au rôle des juges « et à l’existence des tribunaux bien établis et bien respectés en Égypte. »[vi] Les tribunaux semblent également déterminés à faire face aux critiques comme l’a fait la CCS lorsqu’elle a répondu en dénonçant « l’interférence inacceptable dans les travaux de la cour, insistant sur le fait que tous les verdicts de la cour étaient fondés sur la légitimité constitutionnelle et réfutant les accusations d’être politiquement partial. »[vii]
Il est intéressant de mentionner que les élections au CC sont également contestées devant les tribunaux sur la base des mêmes dispositions qui avaient été jugées inconstitutionnelles dans le cas des élections de l’AP. Cela porte à croire qu’« on peut s’attendre à ce qu’une décision similaire à celle concernant les élections de l’AP soit rendue dans ce dossier. »[viii] Si les contestations sont reçues de la même manière, de nouvelles élections seraient donc également nécessaires pour le CC.
L’AC fait elle-même l’objet de nombreuses contestations judiciaires quant à sa validité. Initialement, en vertu de la Déclaration constitutionnelle, l’AC devait achever sa proposition constitutionnelle avant le 11 décembre 2012, après quoi un référendum aurait lieu dans un délai de quinze jours. En octobre 2012, les contestations juridiques ont été transmises pour décision à la CCS, ce qui pourrait influer sur le calendrier de la réforme constitutionnelle ainsi que sur la date des élections législatives.
Mises ensemble, les contestations juridiques ont un effet considérable sur le cadre juridique:
Ces facteurs signifient qu’il demeure difficile de prédire avec assurance de quelle manière les prochaines étapes de la transition en Égypte se dérouleront. Néanmoins, quel que soit l’avenir du processus d’élaboration de la Constitution, à un certain moment dans un futur plutôt rapproché, il sera nécessaire de réviser la Loi sur l’Assemblée du peuple (LSAP). Cela aura potentiellement pour effet de rouvrir l’épineuse question du système électoral.[ix]
Le rôle du pouvoir judiciaire dans l’interprétation du cadre juridique demeure fondamental et, dans le cas de l’Égypte en particulier, « la nation étant de plus en plus polarisée et la méfiance entre les islamistes et les autres groupes étant en pleine croissance, le pouvoir judiciaire de l’Égypte a émergé en tant que dernier arbitre pour régler la plupart des conflits. »[x]
Cette étude de cas confirme également le fait que le cadre juridique n’existe pas en vase clos; les révisions du système électoral « n’ont pas été effectuées dans un environnement statique, mais plutôt dans un environnement où les rôles et les pouvoirs des divers acteurs politiques, gouvernementaux et civils étaient constamment remis en question et redéfinis. »[xi]
[i] International
Foundation for Electoral Systems (IFES), ”Elections in Egypt: Implications of Recent
Court Decisions on the Electoral Framework.” (Washington,
D.C.: IFES Briefing Paper, August, 2012), p. 3.
[ii] The Carter
Center, Carter Center Election
Witnessing Mission: Egypt 2011/2012 Parliamentary Elections. Preliminary Report
on all Three Phases of The People’s Assembly Elections (Atlanta, GA:
News, The Carter Center, January, 2012), p. 1.
[iii] IFES, ”Elections in Egypt: Implications of Recent
Court Decisions on the Electoral Framework.”, p. 3.
[iv] Democracy
Reporting International (DRI), “What Electoral System for
Egypt?” (Briefing Paper
32, Democracy Reporting International, October 2012), p. 2.
[v] Egypt Independent Website. “Administrative court upholds ruling to
dissolve Parliament.” Edited translation from Al-Masry Al-Youm, September
23, 2012.
[vi] The Carter
Center, Carter Center Election Witnessing
Mission: Egypt 2011/2012 Parliamentary Elections. Preliminary Report on all
Three Phases of The People’s Assembly Elections, p. 15.
[vii] MSN News
Website, “Egypt court refuses reinstatement of dissolved
lower house of parliament.” September 23, 2012.
[viii] IFES, ”Elections in Egypt: Implications of Recent
Court Decisions on the Electoral Framework.”,p. 3.
[ix] DRI, “What Electoral System for Egypt?”, p. 1.
[x] The Guardian. “Egypt constitution decision
referred to country's highest court.” October 23, 2012.
[xi] IFES, ”Elections in Egypt: Implications of Recent
Court Decisions on the Electoral Framework.”, p. 10.