On peut définir la notion de campagne électorale comme l’ensemble des activités organisationnelles et de communication menées par les candidats ou les partis politiques dans le but d’attirer l’attention et le vote des électeurs. La campagne électorale commence souvent véritablement lorsque les candidats sont annoncés officiellement. Cette période se caractérise par l’organisation de vives campagnes politiques par les candidats ou les partis politiques.[i]
Cette période est critique dans le cadre d’élections démocratiques et repose sur les droits fondamentaux de liberté d’expression, d’association, de réunion pacifique et de mouvement. L’importance des campagnes électorales est reconnue par le droit international:
La libre communication d’informations et d’idées entre les candidats et leurs partisans est reconnue comme nécessaire par le droit international, tout comme l’est le droit pour les candidats, les partis et leurs partisans d’être en mesure de débattre des affaires publiques, de se critiquer et de s’opposer les uns aux autres, de publier des informations politiques et de promouvoir des idées politiques. De plus, les électeurs ont le droit d’avoir accès à des informations au sujet des candidats pour qui ils pourront voter. [ii]
Cela étant dit, il est important de reconnaître que l’État puisse, dans certaines circonstances bien précises, restreindre les candidats et leurs partisans, ainsi que limiter leurs droits d’expression, notamment, lorsque des messages visent à détruire ou à miner d’autres droits établis ou quand ils incitent à la haine nationale, raciale ou religieuse, et leurs droits d’association et de réunion, par exemple, pour des raisons de sécurité nationale, de sécurité publique, d’ordre public, de santé ou de morale publique ou de protection des droits et libertés des autres.[iii] On doit garantir que les restrictions sont prévues par la loi, raisonnables dans une société démocratique, appliquées uniformément et que le droit de contester ces décisions devant les tribunaux ou un autre organisme indépendant et dans des délais raisonnables existe.
Les éléments importants de la campagne électorale sont analysés ci-dessous.
i. Les acteurs de la campagne électorale
Au sens strict, les campagnes électorales peuvent uniquement être menées par des partis politiques établis en vertu de la loi et par des candidats officiellement inscrits. Néanmoins, d’autres organisations comme les syndicats, les représentants du patronat, les groupes de citoyens, les médias et même les célébrités n’ayant rien à voir avec la politique expriment souvent publiquement leur appui à un candidat ou à un autre, encouragent le public à voter pour cette personne et s’engagent par le fait même dans les activités de la campagne électorale. Dans les systèmes démocratiques, au chapitre de la liberté d’expression, il n’est pas possible d’imposer des restrictions qui auraient comme effet d’empêcher ces groupes ou ces personnes de faire des déclarations publiques, particulièrement sachant qu’on invite les citoyens à exprimer leurs opinions durant les élections. Cependant, des dispositions juridiques réglementent la conduite des candidats et des partis politiques lors des campagnes électorales, ce qui comprend notamment le fait que certains acteurs électoraux reçoivent du financement public ou des avantages afin de couvrir les dépenses de leur campagne électorale.
Le cadre législatif devrait aussi assurer que les activités de campagne électorale ne sont pas effectuées par des personnes qui, en raison de leur position professionnelle ou politique, pourraient influencer les électeurs d’une manière qui contreviendrait aux principes éthiques d’équité. En outre, les membres des institutions et des organismes qui sont impliqués dans le processus électoral (les membres des entités administratives, la magistrature, etc.) ou qui peuvent influencer l’opinion des électeurs de manière indue (l’armée et la police) devraient aussi demeurer neutres et ne pas avoir le droit de poser le moindre geste relié à la campagne électorale. Ces restrictions posées aux droits fondamentaux peuvent se justifier juridiquement, pourvu qu’elles soient exprimées et établies correctement dans la Constitution ou dans la législation et qu’elles visent à assurer la conduite d’élections parfaitement démocratiques. Par conséquent, la violation de ces règles devrait résulter en des sanctions criminelles, disciplinaires ou électorales.
ii. Échéanciers
Les campagnes électorales mettent en scène des candidats ou des partis officiellement déclarés et ont généralement une durée préétablie. Normalement, la campagne électorale débute lorsque les autorités compétentes le déclarent et se termine la veille du jour du scrutin. Les lois électorales visent ainsi à empêcher que soient commis des actes de campagne en dehors des périodes de campagne, ce qui comprend la diffusion de publicités politiques. La durée des campagnes électorales varie souvent entre deux et quatre semaines; il y a cependant des cas plus rares où elle est plus longue. C’est notamment le cas du Mexique où la période de campagne des élections présidentielles dure plus de quatre mois, ce qui entraîne, entre autres choses, des dépenses de campagne électorale excessives.
En fait, les interdictions sont plus problématiques pour les périodes précédant la déclaration formelle des candidatures, dès l’annonce des élections. Dans ce cas, les règles proscrivant les interdictions entrent en conflit avec la liberté d’expression ainsi qu’avec les fonctions constitutionnelles des partis politiques. Conséquemment, dans les pays où de telles interdictions sont explicites, ces règles sont habituellement interprétées de manière extrêmement ciblée et concernent principalement l’interdiction de solliciter des votes, et non les autres activités de campagne qui ne sont pas assimilables à de la sollicitation de vote formelle.
Le cadre juridique prévoit habituellement une « période de réflexion », laquelle consiste en l’interdiction de toute activité de campagne au moins 24 heures (dans certains cas, plusieurs jours) avant l’ouverture des bureaux de vote. L’objectif de cette période est d’interrompre les activités de campagne au moment où les opérations de vote majeures débutent pour ainsi permettre aux électeurs de réfléchir et de prendre une décision concernant leur vote. L’un des éléments les plus importants pour tenir des élections libres et justes est que la campagne électorale respecte les règles mentionnées précédemment, ce qui permet d’assurer que les préférences librement formées des électeurs s’expriment le jour du vote. Le degré d’égalité des chances pour tous les candidats et le degré de neutralité du gouvernement dans les campagnes électorales dépend largement du niveau de développement démocratique de chaque pays et, ultimement, des mécanismes de protection des droits fondamentaux et de la séparation des pouvoirs.
Dans les cas extrêmes où la succession au pouvoir est en jeu, il arrive souvent que les mécanismes des pouvoirs publics soient utilisés au bénéfice de ceux qui les détiennent. C’est la raison pour laquelle l’accent devrait être mis sur le rôle des organismes électoraux et sur le système judiciaire afin d’assurer la complète mise en application du concept d’égalité des chances.
Pour résumer, les élections sont un moyen de convertir la volonté populaire en gouvernement représentatif. Afin d’atteindre cet objectif, il est nécessaire que tous les partis et candidats soient libres de transmettre leurs messages politiques aux électeurs, c’est-à-dire d’aborder des questions politiques et de proposer des solutions durant la période de campagne électorale. Cette période doit être clairement définie: elle débute après la déclaration des partis et des candidats et se termine avant le jour du vote.
iii. Soutien « en nature » pour les campagnes politiques
L’État appuie souvent les campagnes électorales des candidats et des partis politiques de différentes manières afin de les aider à faire campagne sur des bases équitables et parce que l’État a à cœur de ne pas faire gaspiller les ressources des partis politiques. Ainsi, le cadre juridique devrait contenir des dispositions non seulement en ce qui a trait au financement public des partis politiques, mais également concernant les plafonds des dépenses électorales. Ces aspects seront examinés dans une section ultérieure. L’État peut fournir différentes formes de soutien « en nature » pour les campagnes politiques, mais il doit s’assurer qu’« aucun parti ou candidat, particulièrement le parti au pouvoir, n’est favorisé financièrement ou de toute autre manière en raison de la disponibilité et de l’utilisation des ressources de l’État. »[iv]
Le soutien « en nature » pour les campagnes électorales des partis et des candidats inclut généralement les éléments suivants:
1. Ressources publiques humaines et matérielles
Le cadre juridique devrait spécifier clairement que les ressources publiques ne peuvent pas être employées d’une manière qui ferait pencher la campagne en faveur de l’un ou l’autre des candidats ou des partis politiques.
Les espaces publics et les immeubles, par exemple, peuvent souvent être utilisés aux fins des activités de campagne et pour l’installation d’affiches ou de pancartes électorales. Toutefois, l’équité d’une campagne sera minée si les ressources de l’État comme les édifices publics sont utilisées pour des événements de campagne de manière déraisonnable pour favoriser un candidat ou un parti politique.[v] D’un point de vue démocratique, cet espace devrait être alloué de manière équitable ou selon des critères préétablis qui soient raisonnables et objectifs, par exemple, proportionnellement aux votes obtenus par le parti lors des dernières élections. La même approche devrait s’appliquer aux autres ressources matérielles comme les véhicules et les espaces de bureaux là où il est permis d’utiliser ces ressources. Ces opérations devraient être effectuées ou supervisées par les organismes de gestion électorale afin d’assurer l’égalité des chances pour tous les candidats et tous les partis.
Sur le plan des ressources humaines, le cadre juridique devrait spécifier clairement le degré jusqu’auquel les fonctionnaires peuvent participer dans la campagne politique et exiger au minimum une séparation complète des rôles de fonctionnaire et de partisan d’une campagne politique. Les fonctionnaires devraient également être protégés de l’intimidation ou de la coercition qu’ils pourraient subir pour qu’ils soutiennent un candidat ou un parti en particulier et qui s’exposent à perdre leur emploi s’ils n’obtempèrent pas. [vi]
L’interdiction de l’utilisation des ressources publiques en tant que contribution politique, exception faite des programmes de financement politique direct, représente une tendance mondiale alors que 94 des 110 pays pour lesquels des données sont disponibles l’interdisent, quoique l’efficacité de cette interdiction mériterait d’être étudiée plus en profondeur.[vii]
2. Temps d’antenne sur les médias d’État
L’allocation de temps d’antenne est très importante sachant que les campagnes électorales sont de plus en plus menées par le truchement des médias. Par conséquent, il est essentiel que l’allocation du temps d’antenne sur les médias d’État fasse partie du cadre juridique. Lorsqu’on inclut cette question dans le cadre juridique, il faut respecter les principes suivants en ce qui concerne les médias contrôlés par l’État:
- Temps d’antenne gratuit pour tous les candidats;
- La neutralité des médias, ce qui devrait idéalement couvrir non seulement le temps d’antenne réservé aux candidats, mais aussi tous les autres programmes. L’organisme de gestion électorale devrait être responsables de surveiller l’équité de la couverture;
- Le pluralisme politique, afin qu’aucun candidat ne soit exclu des médias;
- L’interdiction du temps d’antenne payé qui n’est pas dédié aux émissions d’information, ou du moins, l’existence de limites strictes sur la question;
- L’allocation de temps d’antenne selon des critères préétablis et objectifs.
Dans le monde, 69 % des pays, dont plusieurs en Afrique, fournissent aux partis politiques un accès gratuit ou subventionné aux médias.[viii]
En ce qui concerne les médias privés, la législation électorale contient habituellement deux types de dispositions. Le premier type s’occupe des candidats et établit généralement une limite concernant les sommes qui peuvent être investies pour ce genre d’activité. Le deuxième s’intéresse aux médias et interdit la discrimination en ce qui concerne les tarifs ainsi que l’exclusion de certains candidats de l’accès à la publicité politique.
3. Accès à un exemplaire de la plus récente liste électorale
Une autre forme de contribution publique ou de méthode indirecte de financement public est de fournir aux candidats un exemplaire du recensement ou de la plus récente liste électorale, et ce, avec le double objectif de permettre aux partis de mener une campagne personnalisée et également de suivre et de gérer la participation des électeurs au vote. Dans certains pays, la protection des précieuses données personnelles de recensement devant uniquement être utilisées à des fins autorisées est devenue problématique. En effet, on a vu des cas de fabrication de candidatures par des groupes économiques organisés dans le seul but d’obtenir ces documents remplis de données précieuses. Les mesures de régulation visant à contrer ces pratiques ont pris la forme, d’une part, d’une pénalisation de l’utilisation de ce genre de documents pour des fins autres qu’électorales et, d’autre part, de règles en matière de conservation des archives au sujet des informations obtenues par chacun des groupes politiques. Ainsi, les personnes ou les groupes qui emploient ces données à des fins commerciales peuvent être retracés plus facilement et forcés de rendre des comptes.
4. Envois postaux électoraux
En plus du soutien public cité précédemment, les partis politiques et les candidats peuvent souvent envoyer de la publicité électorale ou imprimer des bulletins de vote à très faible coût ou même gratuitement. Dans certains cas, les partis politiques et les candidats peuvent se faire rembourser les frais d’impression de matériel de campagne électorale en se voyant attribuer une somme d’argent pour chaque commande.
5. Autres garanties juridiques
La campagne électorale est limitée à une période relativement courte. Cela signifie que tout différend d’ordre juridique apparaissant entre des candidats doit rapidement connaître un règlement définitif à défaut de quoi le processus électoral s’en trouverait ébranlé. Il s’agit de la principale raison pour laquelle les grands pouvoirs décisionnels sont attribués à l’organisme de gestion électorale et qui explique qu’on établit des procédures accélérées de règlement judiciaire de différends. Cela étant dit, le dernier contrôle sur ces décisions pose un nouveau problème; l’impossibilité de révision judiciaire constitue une exception à la structure traditionnelle du contrôle judiciaire et même au principe de séparation des pouvoirs. Cependant, afin d’être efficaces, les appels devraient être réglés à l’intérieur de courts délais.
iv. Liberté de faire campagne
« Faire campagne dans le cadre d’élections en bonne et due forme exige que soient respectés les droits et libertés pertinents, par exemple, la liberté d’expression, d’association et de mouvement »[ix] Pour rendre effectifs ces principes internationaux, le cadre juridique national doit établir le droit de faire campagne de manière ouverte et libre.[x]
Il est essentiel que « le cadre juridique définisse en langage clair quel type de conduite et de comportement est interdit durant la campagne électorale »[xi] L’objectif n’est pas de limiter les droits d’expression, d’association ou de réunion pacifique, mais plutôt d’empêcher les comportements qui pourraient nuire à ces libertés fondamentales qui sont inscrites dans le droit international. Parfois, en appui à la loi, les codes de conduite sont élaborés par des acteurs politiques souvent avec le soutien de l’organisme de gestion électorale. Cependant, tout comme la législation, les dispositions et les codes de conduite « ne devraient pas être inutilement restrictifs et devraient fournir l’occasion de faire campagne de manière active, ouverte et sans interférence. »[xii]
L’application active des lois est parfois nécessaire pour garantir autant le droit à faire campagne que la mise en application de restrictions raisonnables dans certains cas, par exemple lorsque des manifestations tournent à l’émeute. Cependant, « bien que les autorités soient responsables de garantir un environnement sûr pour mener des activités de campagne, on ne devrait pas abuser des questions de sécurité en les employant comme justification pour réduire les libertés fondamentales.»[xiii] La première mission des agences d’application de la loi devrait être d’agir de manière politiquement neutre et de protéger les citoyens d’actes de violence, d’intimidation et de coercition reliés aux élections.[xiv] Des procédures de recours efficaces et rapides devraient être disponibles là où les droits sont bafoués et là où des restrictions déraisonnables sont appliquées.[xv]
En appui aux sanctions juridiques et aux mécanismes d’application des lois, il est préférable que le cadre juridique fournisse également des mécanismes plus flexibles comme un comité consultatif coordonné par l’organisme de gestion électorale et permettant « aux acteurs concernés d’échanger leurs points de vue les uns avec les autres et de soumettre leurs plaintes en ce qui concerne les violations des dispositions ou des codes de conduite en matière de campagne électorale, et ce, afin d’élaborer une approche commune pour résoudre ces problèmes et pour limiter la violence liée aux élections. »[xvi]
[i] SADC et EISA, Principes de Gestion, de Surveillance et d’Observation des Elections dans les Pays de la SADC, p. 18.
[ii] DRI et The Carter Center, Strengthening International Law, p. 36.
[iv] International IDEA, International Electoral Standards, p. 56.
[v] Commission européenne, Manuel d’observation électorale de l’Union européenne, p. 52.
[vi] OSCE, Election Observation Handbook, p. 62.
[vii] International Institute for
Democracy and Electoral Assistance (International IDEA), Political Finance Regulations Around the World: An Overview of
the International IDEA Database, Edited by Magnus Ohman (Sweden:
Trydells Forum, 2012), p. 10.
[ix] DRI and The Carter Center, Strengthening International Law, p. 54.
[x] Commission européenne, Manuel d’observation électorale de l’Union européenne, p. 51.
[xi] International IDEA, International Electoral Standards, p. 56.
[xiii] OSCE, Election Observation Handbook, p. 61.
[xiv] Commission européenne, Manuel d’observation électorale de l’Union européenne, p. 52.
[xv] OSCE, Election Observation Handbook, p. 61.
[xvi] International IDEA, International Electoral Standards, p. 57.