En termes généraux, l’« intégrité électorale » réfère aux « normes et principes internationalement reconnus qui s’appliquent universellement à tous les pays du monde, d’un bout à l’autre du cycle électoral, y inclus lors de la période préélectorale, de la campagne électorale, du jour du vote et de ses lendemains. » [i] Cette définition met en lumière un certain nombre de notions qui se retrouvent un peu partout dans le sujet du cadre juridique de l’encyclopédie, à savoir, le fait qu’aucun pays ne peut exporter son cadre juridique à un autre pays étant donné que le contexte joue un rôle important dans l’application des normes internationales et le fait que les élections doivent être considérées comme englobant toutes les composantes du cycle électoral et pas uniquement le jour de l’élection ou la période de campagne électorale. Cela étant, l’intégrité électorale représente un devoir que l’on doit continuellement s’efforcer d’accomplir.
L’intégrité électorale est étroitement liée à l’intégrité et à la responsabilité morale de la part des divers acteurs politiques, fonctionnaires électoraux et façonneurs d’opinion publique agissant ensemble afin d’obtenir des élections libres et justes. De manière générale, comme c’est le cas dans plusieurs pays d’Amérique latine, les valeurs et principes éthiques fondamentaux concernant la démocratie électorale sont garantis par divers systèmes juridiques et, par conséquent, les violations peuvent entraîner la responsabilité juridique. Cependant, il existe d’autres valeurs et principes éthiques qui, même s’ils ne sont pas nécessairement prescrits par la loi, gouvernent, ou devraient gouverner, les processus de transition et de consolidation démocratique. C’est particulièrement le cas en Amérique latine depuis une vingtaine d’années.
L’établissement et la consolidation d’un système démocratique exige un constant apprentissage et le renforcement des valeurs de participation, de stabilité, de pluralité et de paix, ainsi que l’exercice des droits et de la légalité, le déploiement de l’intérêt personnel et de l’autolimitation, la compétition, la coopération et la tolérance. Ce processus d’apprentissage mène à la reconnaissance des obligations et droits mutuels, à l’acceptation des valeurs de pluralité et de diversité, de même qu’à la renonciation aux principes dogmatiques et au manichéisme politique. Ce processus d’apprentissage conduit également à la formation de partis et de tendances politiques qui respectent la portée et les limites de la saine compétition politique selon laquelle personne ne peut se placer au-dessus des lois ou invoquer certains privilèges au détriment de la majorité. Effectivement, les majorités qui se forment devraient toujours être perçues comme une partie, non comme un tout, et donc les droits des minorités doivent être pleinement respectés, y compris leur droit de devenir une majorité.
Un regard attentif au rôle de l’intégrité en politique amène à comprendre que non seulement les institutions électorales et les acteurs politiques (partis et candidats) devraient jouer un rôle éthique en reconnaissant pleinement les règles démocratiques, mais que les médias ont également une responsabilité éthique envers la société. Après tout, la société s’informe au sujet de la politique et juge la démocratie par l’intermédiaire de médias comme la radio, encore davantage par la télévision et, de plus en plus, par Internet.
La place des médias présente une dimension universelle et est confirmée dans toutes les démocraties modernes. Ainsi, les questions au sujet du rôle des médias en matière de démocratie et d’intégrité électorale ne sont pas des thèmes incohérents ou secondaires. En fait, réfléchir sur la relation qui unit les médias et le monde politique se révèle une tâche essentielle afin de consolider le changement démocratique et améliorer la qualité de la coexistence démocratique. On devrait sans aucun doute tenir compte de ces questions dans le cadre des instruments juridiques.
Le besoin d’établir des codes d’éthique ou des codes de conduite qui viendraient compléter les systèmes juridiques pertinents est apparu dans presque toutes les sphères d’activité humaine. Au niveau international, on trouve plusieurs initiatives collectives visant à empêcher l’usage impropre des professions, et ce, par l’implantation de codes de conduite et du principe d’application universelle, par diverses organisations internationales et associations professionnelles. En Amérique latine, plusieurs pays ont adopté des codes d’éthique ou de conduite en ce qui a trait aux processus électoraux:
- L’Argentine (applicable dans deux de ses provinces): le Code d’éthique des juges et des fonctionnaires judiciaires de Córdoba et le Code d’éthique de l’autorité judiciaire de Santa Fe, sachant que les requêtes en contestation d’élection dans les provinces argentines sont habituellement résolues par l’autorité judiciaire provinciale;
- Colombie: le Serment d’éthique, applicable au Registre national de l’état civil, organisme chargé de l’inscription électorale;
- Costa Rica: le Code d’éthique de l’autorité judiciaire et le Code d’éthique professionnel des avocats, sachant qu’en tant que complément aux fonctions pertinentes du Tribunal électoral du Costa Rica, lequel est autonome, la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême de justice a la compétence de protéger certains droits politiques et électoraux et de se prononcer sur d’autres questions constitutionnelles pertinentes;
- Guatemala: les Normes éthiques du pouvoir judiciaire de la République du Guatémala, sachant que la Cour suprême entend les contestations pour motif d’inconstitutionnalité contre les décisions rendues par le Tribunal électoral suprême, lequel organise les élections et résout les contentieux électoraux;
- Honduras: le Code d’éthique des fonctionnaires et fonctionnaires judiciaires, alors que la Cour suprême de justice entend également certaines contestations de décisions rendues par le Tribunal électoral suprême, lequel possède des pouvoirs administratifs et judiciaires à cet égard;
- Mexique: le Code d’éthique du Pouvoir judiciaire fédéral et le Statut du service électoral professionnel et du personnel de l’Institut électoral fédéral;
- Nicaragua: la Règlementation de l’éthique électorale;
- Panama: le Code d’éthique du Tribunal électoral du Panama;
- Pérou: les Principes démocratiques des fonctionnaires et des employés du Bureau national des processus électoraux;
- Porto Rico (la Règlementation de l’éthique gouvernementale et les Normes d’éthiques judiciaires de la Cour suprême);
- Vénézuéla: l’ébauche du Code d’éthique des juges du Vénézuéla et le Statut des juges ibéroaméricains approuvé lors du 6e Sommet ibéroaméricain des présidents des Cours et Tribunaux suprêmes; comme dans plusieurs pays de la région, sa compétence en matière d’élections prévaut sur les Cours suprêmes de chacun de pays ou les cours spécialisées correspondantes, comme en Argentine, au Brésil, au Mexique, au Paraguay et au Vénézuéla.
De même, les organisations internationales peuvent adopter des codes de conduite ou des codes d’éthique similaires. L’International Institute for Democracy and Electoral Assistance (International IDEA) a adopté un Code d’éthique ainsi qu’un Code de conduite pour une observation électorale éthique. Le Code d'éthique d’International IDEA définit des « normes universelles minimales » en ce qui concerne « l’administration électorale et l’éthique professionnelle. » Le code de conduite quant à lui vise à systématiser les principes qui devraient guider la conduite des fonctionnaires électoraux. De plus, il établit des principes éthiques qui forment la base de l’administration électorale et visent à garantir autant l’apparence d’intégrité que la véritable intégrité du processus électoral. Ainsi, on indique que l’administration électorale devrait se conformer aux principes éthiques fondamentaux suivants: a) Respect des lois, b) Impartialité et neutralité, c) Transparence, d) Exactitude et e) Souci de l’électeur. En outre, mentionnons « le rôle indispensable de la confiance du public dans les élections démocratiques». [ii] Le degré d’intégrité et de perception d’intégrité dans le processus électoral influe lourdement sur la confiance du public. De temps en temps, on peut s’attendre à ce que des contestations et des scandales fassent leur apparition. Cela vaut autant pour les pays en transition démocratique que pour les démocraties établies, bien que dans les démocraties établies, les contestations de l’intégrité électorale peuvent être moins dommageables que dans les démocraties moins bien établies où de telles contestations peuvent être plus corrosives et potentiellement déstabilisantes.[iii] Cela étant dit, il est certain que les démocraties établies peuvent aussi faire l’objet d’importantes contestations comme cela a été le cas avec le scandale du Watergate, par exemple.
En ce qui concerne les lois électorales, on devrait reconnaître et inclure les principes éthiques et règlementer de manière à contribuer à l’intégrité du processus électoral puisque « c’est seulement sur cette solide fondation que des élections légitimes peuvent être construites et sans elle, les électeurs risquent de ne pas avoir confiance en leurs élus ou en leur gouvernement. »[iv]
[ii] Patrick Merloe, Promoting Legal Frameworks for Democratic
Elections, p. 21.
[iii] Pippa Norris, p. 7.
[iv] Georgetown
University, Democracy and Governance Studies, “The Chinese Electoral Framework
Project.” Website, Executive
Summary.