Lors de changements constitutionnels majeurs, les systèmes électoraux sont parfois choisis à la suite de négociations entre le parti au pouvoir et les groupes de l'opposition; lorsque la Constitution subit une refonte totale, cette négociation se fait entre les partis politiques et les autres factions. Ces pourparlers se tiennent généralement en dehors des règles et des procédures formelles qui régissent les décisions prises par conventions nationales ou par les assemblées constituantes.
Les négociations en vue de choisir un système électoral sont de deux types conceptionnels distincts :
- la transition d'un régime autoritaire vers une démocratie qui réforme un État à la suite de négociations ou d'une convention;
- des pourparlers entre tous les partis pour reconstituer entièrement l'État après une période de conflits intenses ou une guerre civile.
Ces pourparlers se poursuivent souvent dans le contexte d'un processus de paix; les nouvelles lois électorales ne sont qu'une partie de l'entente globale pour façonner les institutions politiques d'après-guerre.
Transitions négociées : passage d'un régime autoritaire à une démocratie
Lors d'une transition négociée, les pressions en faveur de la démocratisation s'élèvent dans la société et le gouvernement consent à en parler directement avec les partis de l'opposition afin d'apaiser la pression et d'en arriver à des politiques multipartites honnêtes. Ces types de transitions vers la démocratie contrastent avec celles qui sont organisées et contrôlées par le gouvernement au pouvoir, comme au Kenya ou au Nigeria, ou de celles qui résultent d'un soulèvement populaire demandant des changements constitutionnels, et qui mènent à l'écroulement total du régime en place, comme ce fut le cas en Roumanie. Au cours des négociations entre le gouvernement et l'opposition, les partis négocient sur la nature, le plan d'actions et la portée des réformes politiques; ils consentent souvent à partager le pouvoir pour une certaine période de temps. Les transitions qui résultent de négociations peuvent être le fruit d'une série de pactes pour des changements progressifs ou d'un grand pacte qui définit les conditions de la réforme politique.
La transition vers la démocratie telle que l'a connue l'Espagne dans les années 1970 est un exemple d'une transition négociée. Après la mort de Francisco Franco en 1975, le régime unipartite « falangiste » qui gouvernait depuis la guerre civile de l'Espagne en 1936 a été remplacé par un régime multipartite, une monarchie constitutionnelle. Les pourparlers sur la réforme politique se sont déroulés entre le Premier ministre Adolfo Suarez, avec l'accord du Roi Juan Carlos I, et les forces de l'opposition. Au cours de ces pourparlers, Suarez a négocié virtuellement avec toutes les forces politiques majeures et les militaires; éventuellement, il a pu s'assurer de la droite, y compris les éléments du parti pro-Franco au pouvoir, l'UCD, que les réformes n'iraient pas très loin. Suarez a aussi persuadé ceux de la gauche, surtout le parti Socialiste de l'opposition, que le processus de démocratisation serait significatif. À force de négocier, les partis se sont entendus sur une formule pour les élections; cette formule assurait un rôle aux partis de l'opposition dans le nouveau système, dans le contexte du démantèlement des structures du pouvoir francoïste. Bien qu'en 1977 le gouvernement décrétait un système électoral, ce système était en fait le résultat des négociations que Suarez avait tenues, en coulisse, avec les partis de l'opposition.
Les négociateurs espagnols, au cours de pourparlers entre une commission du gouvernement et les partis de l'opposition avant la première élection multipartite de juin 1977, ont adopté un système de représentation proportionnelle avec scrutin de listes (d'Hondt) pour les premières élections multipartites (voir Systèmes de représentation proportionnelle). La formule et le seuil de trois pour cent ont favorisé les deux plus grands partis et les régions rurales ont été surreprésentées; deux sièges ont été originalement attribué à chaque circonscription et les autres ont été attribués proportionnellement à la population. Le système de représentation proportionnelle a été choisi pour plusieurs raisons :
- tous les partis avaient le droit d'être représentés à la nouvelle législature, et assurait l'opposition que les réformes inciteraient une représentation significative;
- il donnerait une légère avance aux plus grands partis, décourageant ainsi la fragmentation des partis, ce qui inquiétait plusieurs factions;
- il permettrait des prises de décisions éclairées sur les listes provisoires des candidats et permettrait aux partis de contrôler qui deviendrait représentant parlementaire.
Le système RP avec scrutin de listes en Espagne a eu des effets à long terme. Les partis ont pu soutirer des concessions qui ont eu une portée considérable sur les partis nationaux; ces concessions sont nécessaires à toute coalition. Ceci facilite les changements vers une dévolution régionale; la stabilité de l'État espagnol en a profité. Toutefois, la perception que les groupes sous-nationaux, comme les groupes catalans, exerçaient une influence politique indue, a causé un certain ressentiment au sein de l'administration politique de l'Espagne.
Un autre exemple de négociations en vue d'une transition est celui de la Hongrie, après la chute du communisme à travers l'Europe de l'Est en 1989. Alors que la transition vers une démocratie multipartite avançait, les partis politiques qui se formaient rapidement (ou qui se reconstituaient parce qu'ils avaient existé avant l'hégémonie soviétique) négociaient entre eux. Il s'en est suivi une entente intéressante pour les premières élections multipartites en avril 1990. Cette entente met en évidence les points entourant le choix d'un système électoral par l'entremise de négociations. Les partis traditionnels, comme les démocrates chrétiens et sociaux, favorisaient la RP et l'utilisation des listes préparées par comtés telles qu'elles avaient été utilisées avant le régime communiste, en 1945 et 1947. La population et les nombreux partis associés au régime antérieur, y compris les législateurs en place, favorisaient la représentation par circonscription. Malgré un long débat, ils n'ont pu arriver à s'entendre sur une formule unique; les partis ont donc choisi une combinaison : 386 sièges à la législature, 176 sièges dans des circonscriptions uninominales (un deuxième tour pour assurer la majorité), 152 sièges comblés à partir de listes de partis (avec un seuil de quatre pour cent) et 58 sièges comblés à partir des listes nationales des partis (voir Système mixte avec compensation (SMAC)).
Processus de paix
Lorsqu'un pays a connu des conflits violents, une guerre civile ou des impasses sanglantes sans en arriver à une victoire décisive, un processus de paix peut s'ensuivre. Les processus de paix sont en fait des processus de négociations structurées, souvent facilitées par un médiateur externe, qui résultent en des ententes sur une réforme draconienne ou un nouveau système politique. La réforme électorale est presque toujours l'élément principal dans les négociations constitutionnelles qui accompagnent les processus de paix. La réforme électorale ou la création de nouveaux systèmes électoraux a été partie intégrante des processus de négociations pour la paix en Bosnie, au Cambodge, au Salvador, au Liberia, au Nicaragua, au Sierra Leone et plus récemment au Guatemala.
Lorsque la minorité blanche de la Rhodésie s'est écroulée à la fin des années 1970, après une guerre civile très longue résultant en l'indépendance du Zimbabwe, la question principale qui a été soulevée au cours des pourparlers était de savoir comment assurer la représentation de la minorité blanche en vertu du nouveau décret. En 1979, par l'entremise d'élections honteuses - le premier scrutin « un homme, un vote » de l'histoire du pays sous les conditions d'une entente interne négociée entre le gouvernement et les forces de l'opposition et que la plupart des observateurs ont jugé illégitime - 72 des 100 représentants de l'assemblée ont été choisis par des Noirs à partir d'une liste commune sous un système de RP de scrutin de listes de partis (un système multinominal de huit représentants) et 28 par les Blancs sous un scrutin de vote préférentiel (voir Scrutin à deux tours).
Après l'échec de ces élections qui tentaient d'atteindre une légitimité domestique et internationale, les négociations de Lancaster House en 1979, auxquelles participaient les forces rebelles principales et qui, par conséquent, étaient plus légitimes, ont résulté en une entente qui modifiait légèrement la première formule : le nombre de sièges réservés aux Blancs est tombé à 20 (élu par VP) et la période de transition fixée à 10 ans.
Le choix de RP pour la « liste commune » et le scrutin uninominal pour la « liste des Blancs » offrait un compromis pragmatique aux partis à la table des négociations. Il était tout simplement pratique d'utiliser la RP pour la majorité noire exclue depuis longtemps - les élections antérieures « parmi les Blancs seulement » n'utilisaient pas de listes d'électeurs - et le système de circonscription uninominale pour les minorités blanches, qui avaient utilisé ce système dans les élections précédentes tenues pour les Blancs seulement. Les 20 sièges réservés aux Blancs leur garantissaient une représentation au parlement post-indépendance qui excédait leur proportion de l'électorat total. Après les élections de 1985, alors que la négociation et le compromis n'étaient plus nécessaires, le régime qui a suivi l'indépendance a aboli les sièges réservés aux Blancs et la législature au complet est maintenant élue par scrutin uninominal.
L'Afrique du Sud est un cas bien documenté qui hésite entre deux types idéaux de transitions négociées et de processus de paix; il s'agit d'un excellent document pour comprendre les dynamiques du choix d'un système électoral par l'entremise de négociations (voir Afrique du Sud : Élaboration d'un système électoral et gestion de conflits en Afrique). Lorsque les négociations à la fin de l'apartheid et le règne de la minorité blanche a débuté en 1990, il était clair que le système électoral antérieur pour les élections strictement pour les Blancs - scrutin majoritaire uninominal - n'était accepté par aucun des partis.
Des considérations d'ordre pratique militaient en faveur du rejet du système électoral sur une base de circonscription : les listes d'électeurs communes étaient inexistantes et le découpage des circonscriptions était difficile à faire sans le bénéfice d'un recensement exact et les données démographiques douteuses produites conformément aux lois ségrégationnistes de l'apartheid. Il y avait aussi les considérations d'ordre politique. Les partis des minorités blanches, surtout le parti au pouvoir, le «National Party (NP)», ont vite réalisé que si le scrutin majoritaire uninominal était utilisé dans les élections où la majorité noire avait droit de vote, les candidats blancs perdraient pratiquement toutes les circonscriptions, parce que la population de couleur noire est répartie à travers le pays. La RP pourrait, au moins, permettre une certaine représentation après l'abolition de l'apartheid.
L'«African National Congress», le parti principal de la majorité noire, préférait lui aussi un système de RP avec scrutin de liste pour la première élection du pays et ce, pour des raisons politiques. La préférence du l'«ANC» pour le système RP avec scrutin de liste était également stratégique : la représentation des partis blancs au sein du nouveau système politique, plutôt que leur exclusion complète, pourrait atténuer certaines des tensions engendrées par leur perte inévitable du pouvoir.
Un autre parti, majoritairement de race noire, le « Inkatha Freedom Party (IFP) », un parti régional puissant, ne s'attendait cependant pas à remporter plusieurs sièges dans une élection nationale menée sous le système RP national; les limites de sa base populaire étaient connues. De plus, il appuyait vivement une option fédérale voulant que l'Afrique du Sud conserve et protège les bases de puissance provinciales. Il menaçait de nuire aux élections en boycottant, et possiblement en offrant une résistance violente si ses positions fédéralistes ne faisaient pas partie de l'entente finale.
À la suite d'un compromis de dernière minute pour forcer le « IFP » à participer aux élections annoncées pour avril 1994, les élections qui ont mis fin à l'apartheid en Afrique du Sud, l'« ANC » et le « NP » se sont entendus pour adopter un système de représentation proportionnelle avec scrutin de listes nationales et régionales par lequel la moitié de la nouvelle assemblée nationale serait choisie à partir de listes régionales et l'autre moitié à partir de listes nationales. La moitié des 400 représentants de l'assemblée nationale constituante seraient choisis à partir de listes régionales et l'autre moitié à partir de listes nationales. De plus, les 90 représentants à la chambre haute, à ce moment-là appelée le Sénat (depuis renommée « Conseil des provinces »), seraient choisis à partir des listes régionales.
Ce compromis, finalement accepté par le « IFP », a suffi pour permettre aux partis de participer à l'élection, rehaussant par le fait même la légitimité des résultats. La formule de listes régionales/nationales permettait également à ces trois partis principaux de « gagner » quelque chose à l'élection : l'« ANC » a remporté une majorité forte à l'assemblée nationale et la majorité dans sept des neuf provinces; le « NP » et le « IFP » ont remporté des majorités législatives dans leurs forteresses provinciales. De plus, les trois partis étaient représentés dans le premier gouvernement d'untié nationale, ce qui a contribué à la stabilité de la transition sud-africaine.
Le système RP avec scrutin de listes pourra disparaître après les élections de 1999 en Afrique du Sud si les détracteurs du système - qui argumentent que le manque de responsabilité et de lien significatif entre les représentants parlementaires et la population - ont gain de cause. L'Afrique du Sud diffère du Zimbabwe, en ce que les négociations et les concessions demeurent à l'ordre du jour, même si les négociations formelles de transition sont terminées; un système de représentation proportionnelle mixte, basé sur un système de circonscription est toujours possible.
Lorsque le choix d'un système électoral est le fruit de négociations, les résultats reflètent un compromis parmi les intérêts des partis à la table des négociations. Les partis font des choix basés sur leur utilisation de leur « imagination stratégique ». Les partis qui participent aux pourparlers se demandent : comment croit-on que le système puisse travailler en notre faveur, en tenant compte de notre popularité prévue, la distribution géographique des votes et la popularité des autres partis? Naturellement les partis préfèrent les systèmes qui leur sont favorables pour remporter des votes. Les résultats reflètent également le pouvoir relatif dont jouissent les partis à la table des négociations. Lorsque les négociations produisent une entente sur les systèmes électoraux, cela signifie habituellement que tous les partis à l'entente sont satisfaits que le système choisi est le meilleur qu'ils peuvent obtenir, compte tenu de leur pouvoir de négociation et le pouvoir et la préférence des autres partis.