Depuis son indépendance en 1922, la République d'Irlande utilise un système de représentation proportionnelle par l'entremise du vote unique transférable (VUT). Lorsque le nouvel État irlandais a adopté un système électoral, l'élite politique locale voulait une forme de représentation proportionnelle (RP), parce que l'on considérait que c'était un système fondamentalement juste; les Britanniques sortants le préféraient également au scrutin majoritaire uninominal (SMU) afin de protéger la représentation des protestants, qui constituaient environ 5 % de la population. Le VUT a été inscrit dans la Constitution (1937) et, par conséquent, il ne peut être modifié sans un référendum. Les députés sont élus dans des circonscriptions électorales qui élisent soit trois, quatre ou cinq représentants.
Le système a toujours donné un degré de proportionnalité élevé et tous les partis, grands et petits, ont été représentés relativement fidèlement en fonction de leur taille, moyennant un léger avantage pour les plus grands partis. Par exemple, Fianna Fáil, le plus grand parti présent à chaque élection depuis plus de 60 ans, a remporté une moyenne de 45 % des voix aux élections d'après-guerre et 48 % des sièges, alors que le troisième parti, le Labour, a remporté en moyenne 12 % des voix et 11 % des sièges.
Comme dans la plupart des autres pays, les députés sont le plus souvent des professionnels; très peu d'entre eux sont issus de la classe ouvrière. Les femmes sont également sous-représentées, quoique la proportion de 14 % atteinte au début de 1997 soit la plus élevée dans l'histoire de l'État. On ne peut pas dire que la République d'Irlande soit divisée du point de vue ethnique, donc la question de la représentation des groupes ethniques ne se pose pas. En outre, contrairement à ce que l'on s'attendait, les protestants n'ont pas poursuivi la représentation politique distincte, puisqu'ils ont voté pour les principaux partis.
Le vote est peu compliqué : les électeurs indiquent simplement quel est leur candidat préféré en inscrivant un « 1 » à côté de son nom sur le bulletin de vote; ils peuvent également inscrire leurs choix subséquents (deuxième, troisième, et ainsi de suite) de la même façon. Les deux tiers des électeurs voient leur premier choix élu et, en moyenne, environ 20 % des votes sont gaspillés en ce sens qu'ils n'influent pas sur le résultat final.
La Chambre du parlement élue par le peuple au moyen d'un VUT, la Dáil, est d'importance primordiale dans le système parlementaire irlandais. Pour accéder au pouvoir, le gouvernement doit obtenir l'appui d'une majorité des députés de la Dáil et un tel gouvernement peut être défait s'il ne maintient pas cet appui.
L'Irlande n'a pas connu de problèmes d'instabilité et d'inefficacité des gouvernements. Pendant de nombreuses années, un gouvernement unipartite dirigé par le plus grand parti, Fianna Fáil, était au pouvoir, son règne ayant été interrompu seulement à l'occasion par des coalitions formées par les deux autres partis principaux. Plus récemment, le déclin de popularité du Fianna Fáil et l'arrivée sur la scène d'un certain nombre de plus petits partis a changé la situation et ce sont maintenant les gouvernements de coalition qui sont devenus la norme. Depuis 1989, chacun des cinq plus gros partis, c'est-à-dire tout parti qui a remporté plus de 2 % des voix aux élections, a passé au moins deux ans au gouvernement et les gouvernements, une fois formés, tendent à être raisonnablement durables, trois ans en moyenne. Les procédures du Dáil sont basées sur le modèle de Westminster, ce qui permet aux gouvernements de mettre en place leur législation sans que l'opposition puisse vraiment l'influencer.
Du point de vue de l'imputabilité, il est relativement facile de renverser les gouvernements; à chacune des élections tenues entre 1973 et 1997, le gouvernement sortant n'a jamais réussi à se faire réélire. Les électeurs ont un représentant local : le nombre de députés par rapport à la population est élevé (un par 20 000 habitants) et la représentation de circonscription est faible (pas plus de cinq représentants par circonscription); les députés sont donc normalement bien connus par leurs électeurs et ils sont des représentants actifs dans leur secteur. Il n'existe aucune disposition pour le rappel des députés élus.
On critique parfois le VUT parce qu'il favorise la fragmentation des partis, mais les partis irlandais demeurent relativement unis en dépit de la concurrence électorale entre les candidats d'un même parti. Au Parlement, il est très rare que les représentants des partis choisissent de s'écarter de la discipline du parti au moment du vote. La culture politique de l'Irlande est fortement influencée par celle de la Grande-Bretagne et l'attitude du « seul gagnant » qui caractérise les systèmes de gouvernement inspirés par Westminster demeure très forte en Irlande, en dépit du système électoral RP.
L'absence de clivages ethniques, ou de toute autre division profonde, dans la société irlandaise signifie que les motivations des partis qui s'étendent au delà de leur propre groupe ne peuvent pas être mises à l'épreuve. Il faut noter, cependant, qu'en Irlande du Nord, où il y a de profondes divisions d'origine ethnique, nationale et religieuse entre les protestants et les catholiques, et où l'on utilise également le VUT pour plusieurs élections, la plupart des partis principaux tirent leur appui entièrement de l'une ou l'autre des deux communautés et ne sont aucunement motivés à essayer de gagner l'appui de l'autre communauté. En effet, les partis qui essaient d'attirer l'appui des deux communautés ont généralement peu de succès.
Le VUT est maintenu parce qu'il est perçu comme étant juste, puisqu'il donne des résultats proportionnels, et à cause du pouvoir qu'il donne aux électeurs dans leur choix de représentants parlementaires qu'ils peuvent classer en ordre de préférence, peu importe qu'ils fassent partie d'un ou de plusieurs partis. Quoique la plupart des électeurs votent selon la discipline de parti, rien ne les oblige à le faire; un nombre important d'électeurs votent plutôt selon une base géographique, c'est-à-dire qu'ils accordent leur appui aux candidats, peu importe leur appartenance politique, qui viennent de leur région. Deux référendums ont eu lieu, tous deux à l'instigation du parti Fianna Fáil qui était au pouvoir à ce moment-là, proposant de remplacer le VUT par le SMU britannique. À deux occasions, l'électorat a choisi de garder le VUT; par une marge plutôt mince en 1959, mais sans équivoque en 1968.
Néanmoins, on critique le VUT parce qu'il engendre une concurrence intense entre les candidats, plus particulièrement entre les candidats du même parti. Les députés du plus grand parti, le Fianna Fáil, sont défaits plus souvent par d'autres candidats de leur propre parti que par des candidats d'autres partis. Ainsi, certains députés maintiennent que le VUT les oblige à consacrer beaucoup trop de temps aux doléances individuelles et communautaires de leurs partisans, condition requise pour être réélus, ce qui les empêche de s'intéresser aux questions politiques nationales et parlementaires, au détriment de l'intérêt national. On fait également valoir qu'un système électoral qui affaiblirait le lien étroit entre les députés et leurs électeurs, et qui éliminerait ainsi l'obligation de répondre aux demandes de la circonscription, pourrait attirer des candidats de plus haut calibre en politique.