L'Inde demeure de loin la plus grande démocratie au monde, comptant presque 600 millions d'électeurs. La structure parlementaire du gouvernement de l'Inde et son système électoral à scrutin majoritaire uninominal (SMU) (voir Scrutin majoritaire uninominal (SMU)) sont dérivés du colonialisme britannique, qui a pris fin en 1947. Les Britanniques ont introduit l'autonomie gouvernementale en Inde par étapes, mais ce ne fut qu'à la fin du régime colonial et avec l'adoption de la Constitution indienne en 1950, par une assemblée constituante, que le suffrage universel s'est implanté. Cette assemblée constituante, qui regroupait un certain nombre de juristes, d'avocats, d'experts constitutionnels et de politicologues respectés, a travaillé pendant près de trois ans; elle a longuement débattu la question du système électoral qu'il fallait instaurer avant de finalement arrêter son choix sur le SMU. Divers systèmes de représentation proportionnelle ont retenu l'attention et la faveur de certains analystes, en raison du caractère extrêmement diversifié et multi-ethnique de la société indienne, mais c'est le SMU qui a été choisi, principalement pour éviter la fragmentation de l'assemblée législative et pour aider à la formation de gouvernements stables - la stabilité étant un attrait principal dans un pays en voie de développement dont le taux de pauvreté et d'analphabétisme est très élevé.
La Constitution indienne prévoit que tous les citoyens adultes de 18 ans ou plus peuvent exercer leur droit de vote, pourvu qu'aucune interdiction explicite ne les touche. Les électeurs élisent un Lok Sabha, la chambre du peuple ou chambre basse, comptant 544 députés issus de circonscriptions uninominales; chacun des 25 États de l'Inde a adopté un système semblable. Pour sa part, la chambre haute du Parlement, le Rajya Sabha ou Conseil des États, et les Chambres hautes des États, sont élues indirectement par les députés des assemblées législatives des États. Un président et un vice-président (sans pouvoir exécutif) sont également élus par les députés et les assemblées législatives des États.
Les élections générales ont lieu une fois tous les cinq ans, mais le président peut dissoudre le Lok Sabha avant la fin de son mandat à la demande du premier ministre, comme ce fut le cas en 1971, ou s'il est convaincu qu'il est impossible de former un gouvernement stable, comme ce fut le cas en 1991. Le premier ministre reste au pouvoir aussi longtemps qu'il peut présider une majorité au Lok Sabha. Tous les gouvernements du parti du congrès national indien qui se sont succédé au pouvoir jusqu'en 1977 ont complété leur mandat sans interruption. Depuis 1977, les gouvernements sont moins stables et un certain nombre de premiers ministres ont dû démissionner avant la fin de leur mandat à cause des divisions au sein de leurs partis ou de votes de défiance.
Même si le processus électoral est considéré comme étant libre et juste et que la commission électorale, largement indépendante, jouit de vastes pouvoirs, il n'en subsiste pas moins de sérieux problèmes. C'est le cas spécialement dans certaines parties rurales du nord de l'Inde où les grands propriétaires fonciers ne permettent pas aux paysans pauvres de voter; les bureaux de scrutin sont régulièrement saisis par des bandes à gages; on influence les électeurs au moyen d'offres de transport gratuit et on ignore complètement les limites de dépenses des candidats. Les appels sectaires en temps d'élection peuvent entraîner de la violence, ce qui s'est d'ailleurs produit : les Hindous constituent 85 % de la population, mais l'Inde compte également plus de 120 millions de musulmans; la fragmentation du régime de partis a alors été marquée par une augmentation de popularité des partis extrémistes.
Jusqu'en 1977 du moins, le système électoral a eu pour effet de permettre l'élection de gouvernements majoritaires jouissant de l'appui d'une minorité des électeurs. Le SMU a permis au parti du Congrès national indien de recueillir des majorités stables au Lok Sabha, normalement face à une opposition fragmentée. Mais depuis 1977, alors que les partis de l'opposition se sont regroupés en coalitions et qu'ils ont commencé à présenter des candidats communs contre les représentants du Congrès national indien (comme aux élections générales de 1977 et 1989), les majorités du parti du Congrès national indien sont disparues. En outre, la nature du système fait en sorte que de petits changements dans la distribution des suffrages ont parfois occasionné des changements importants dans la constitution du Parlement qui s'en est suivi. Par exemple, comme en fait état le tableau suivant, la part des sièges au Parlement accordée au Congrès national indien a chuté de façon dramatique après une diminution minime des suffrages.
Performance du Parti du Congrès National Indien aux Élections Générales en Inde |
Année des élections générales |
Pourcentage des suffrages obtenus par le Congrès national Indien |
Baisse des suffrages obtenus (en pourcentage) |
Nombre de sièges |
Baisse du nombre de sièges (en pourcentage) |
1971 (victoire) |
43.7 |
- |
352 |
- |
1977 (défaite) |
34.52 |
35.39 % |
154 |
56.25 % |
1980 (victoire) |
42.7 |
- |
353 |
- |
1984 (victoire) |
48.10 |
- |
405 |
- |
1989 (défaite) |
39.53 |
19.49 % |
197 |
51.36 % |
1991 (victoire) |
36.50 |
- |
232 |
- |
1996 (défaite) |
28.80 |
21.10 % |
140 |
39.66 % |
Les résultats globaux des élections au Lok Sabha n'ont jamais été proportionnels. Parce que le candidat qui reçoit le plus grand nombre de voix, mais pas nécessairement la majorité des suffrages exprimés, est le vainqueur, l'appui peut souvent être subdivisé si des candidats de la même caste, religion ou région s'opposent. Mais en dépit de la division qui caractérise la démocratie multi-ethnique en Inde, le système électoral jouit toujours d'un haut niveau d'appui, ce qui s'explique en grande partie par la pratique qui réserve des sièges aux groupes depuis longtemps désavantagés. En effet, la Constitution indienne réserve 22 % de tous les sièges aux groupes démunis connus comme les Castes inscrites (79 sièges réservés) et les Tribus inscrites (41 sièges réservés). Dans ces circonscriptions, seul un membre de la caste ou de la tribu inscrite peut se présenter, quoique tous les électeurs aient droit de vote. Cette pratique a permis d'assurer une représentation parlementaire qui reflète leur proportion dans la population. On étudie actuellement une modification de la Constitution qui réserverait 33 % des sièges aux femmes.
L'intensité de l'appui populaire accordé au maintien de l'intégrité du système électoral s'est manifestée en 1977. Lorsque la cour a rejeté l'élection du Premier ministre Indira Gandhi bien que son parti, le Congrès national indien, ait remporté deux tiers des sièges à l'Assemblée législative en 1971, madame Gandhi a réagi en suspendant les droits constitutionnels fondamentaux pour deux ans (de 1975 à 1977), un interlude autoritaire dans l'histoire démocratique jusqu'alors ininterrompue de l'Inde. Aux élections de 1977, son gouvernement a subi la défaite dans un scrutin équitable, ce qui a signifié le vaste mécontentement du peuple face à des pratiques non démocratiques. Mais les élections de 1977 ont également ouvert la porte à une période d'instabilité politique en Inde. Depuis 1977, le Congrès national indien n'a réussi à compléter son mandat qu'à trois occasions, soit sous la tutelle d'Indira Gandhi (1980 à 1984), de Rajiv Gandhi (1984 à 1989) et de PV Narasimha Rao (1991 à 1996).
La force du système électoral n'a cependant pas encore donné d'alternative viable au Congrès national indien à l'échelle nationale. Les partis de l'opposition, sauf les Communistes, ont accédé au pouvoir en 1977 en formant une entité unie, le parti Janata. La coalition fut dissoute deux ans plus tard. En décembre 1989, son successeur, le parti Janata Dal fut vainqueur, grâce à l'appui des Communistes et du Parti du renouveau religieux hindou, le Parti Bharatiya Janata (BJP); cette fois-là, le gouvernement a duré dix mois. Aux élections générales de 1996, aucun parti n'a réussi à former un gouvernement stable; le BJP avait alors remporté 161 sièges et le Congrès national indien, 140.
Deux conséquences inusitées découlent de ces élections. Premièrement, pour la première fois de l'histoire, le Président de l'Inde a demandé au parti principal de l'opposition, le BJP, un parti politique pro-hindou d'extrême droite, de former le gouvernement. Mais la plupart des autres partis politiques, partageant l'objectif commun d'empêcher l'ascension au pouvoir du BJP, se sont regroupés de sorte que le BJP n'a même pas réussi à obtenir une majorité simple au Lok Sabha. Subséquemment, une coalition de 13 partis, aux idéologies opposées, regroupée sous l'égide du Front Uni, a formé le gouvernement. C'est donc dire que ni le premier ni le deuxième parti au classement n'a pu former le gouvernement. Les élections générales de 1996, tenues sous le même système électoral, le SMU, qui avait engendré la stabilité jusqu'en 1977, ont donc marqué le début d'une ère d'instabilité politique et d'incertitude.