Deux principes sous-tendent le système de représentation du Canada : d'abord le principe de la représentation territoriale -- chaque citoyen est représenté à la Chambre des communes sur une base territoriale, soit la circonscription électorale; ensuite le principe de « un » lecteur, un vote -- le vote d'un citoyen a la même valeur que celui de tout autre. Le présent fichier s'efforce d'expliquer deux aspects fondamentaux du système fédéral canadien, à savoir :
- le principe de la représentation à la Chambre des communes, soit la façon dont sont répartis les sièges entre les dix provinces et les deux territoires;
- la façon dont on fixe et révise périodiquement les limites des circonscriptions pour refléter les mouvements de population.
La représentation
L'une des grandes questions qu'envisageaient les Pères de la Confédération en 1867 était de faire en sorte que toutes les provinces fondatrices aient une représentation égale à la Chambre des communes du Canada. Il fallait du même coup garantir que chaque région du pays ait son mot à dire dans le fonctionnement quotidien de la nouvelle fédération. On a ainsi recouru au principe fondamental de la « représentation selon la population » en vertu duquel chaque province obtiendrait un nombre de sièges qui corresponde directement à sa proportion de l'ensemble de la population du pays en regard de celle du Québec.
Toutefois, dès le début, les Pères de la Confédération ont reconnu la diversité géographique, culturelle, politique et démographique des provinces, de même que l'ampleur de leur population ainsi que leurs caractéristiques rurales et urbaines. À mesure que de nouvelles provinces adhéraient à la Confédération et que certaines régions se développaient plus rapidement que d'autres, cette diversité s'est accentuée. Il fallut alors en arriver à certains compromis et le principe fondamental de la représentation selon la population a dû nécessairement évoluer. La formule d'attribution des sièges a changé plusieurs fois au cours des 120 dernières années pour tenir compte de cette évolution.
L'adoption de la Loi de 1985 sur la représentation électorale a beaucoup simplifié la formule prévue à l'article 51 de la Loi constitutionnelle de 1867 pour le calcul de la représentation. Ce calcul s'effectue en quatre étapes.
1. L'attribution de sièges aux territoires. Des 282 sièges que la Chambre des communes comptait en 1985, deux sont automatiquement attribués aux Territoires du Nord-Ouest et un au Territoire du Yukon, ce qui laisse 279 sièges.
2. Le calcul du quotient électoral. On divise ensuite par 279, soit le nombre de sièges obtenus après l'attribution des sièges aux territoires, le chiffre total de la population des dix provinces pour obtenir le quotient électoral. Celui-ci sert à déterminer le nombre de sièges pour chaque province.
3.La répartition des sièges attribués à chaque province. Le nombre théorique de sièges attribués à chaque province se calcule en divisant le chiffre de la population totale de chacune d'elles par le quotient électoral; si le résultat donne une fraction supérieure à 0,50, le nombre des sièges est arrondi au nombre entier qui suit.
4. Les rajustements. Une fois déterminé le nombre théorique de sièges par province, on fait les rajustements nécessaires en appliquant la « clause sénatoriale » et la « clause des droits acquis ». La clause sénatoriale garantit depuis 1915 qu'aucune province ne peut avoir à la Chambre dse communes moins de sièges qu'au Sénat. En vertu de la nouvelle clause des droits acquis, inscrite dans la Loi de 1985 sur la représentation, aucune province ne peut avoir moins de sièges qu'elle n'en a obtenu en 1976 ou qu'elle n'en comptait au cours de la 33e Législature.
Cette dernière disposition a pour conséquence l'ajout de sièges. La Chambre des communes compte maintenant 301 sièges, plutôt que 282. Seules les provinces de l'Alberta, de la Colombie-Britannique et de l'Ontario ont un nombre de sièges en fonction de leur population. Toutes les autres provinces ont plus de sièges que ne le permettrait l'application étroite du critère d'égalité selon la population. (Pour la formule de rajustement fondée sur le recensement de 1991, voir canadian redistribution formula using 1991 census figures).
La révision des limites des circonscriptions
Lorsque le nombre de sièges qui doit être attribué à chaque province a été déterminé en appliquant la formule constitutionnelle, le travail le plus difficile commence, soit découper le pays en circonscriptions électorales représentées par un député élu à la Chambre des communes.
Cet exercice s'appelle à proprement parler la « révision des limites des circonscriptions électorales », mais on y fait également allusion par les termes de « remaniement » ou « redécoupage ». La Loi constitutionnelle de 1867 prévoit qu'une révision doit s'effectuer après chaque recensement décennal, mais c'est la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales (L.R.L.C.E.) qui indique les règles à suivre pour mener à bien cette tâche énorme.
Avant l'adoption de la L.R.L.C.E. en 1964, la Chambre des communes a assumé la responsabilité de délimiter les limites des circonscriptions électorales, par l'entremise d'un comité nommé à cette fin. Le processus n'était régi par aucune règle. La révision des limites des circonscriptions faisait l'objet de passablement d'ingérence de la part des partis politiques. Ces pratiques, appelées « gerrymandering », visaient à assurer la réélection des députés du parti au pouvoir.
La création de commissions indépendantes
Au début des années 1960, il a été décidé de confier à des commissions indépendantes, une pour chaque province, la tâche de réviser les frontières des circonscriptions électorales. En 1964, le Parlement a adopté les mesures législatives en ce sens. Un juge, désigné par le juge en chef de la province, présidait chaque commission, qui se composait de trois autres membres, dont le commissaire à la représentation, fonctionnaire qui devait faire partie de chaque commission. Les deux autres membres devaient être nommés l'un par le parti au pouvoir et l'autre par le parti formant l'opposition officielle. Les autres partis d'opposition ont toutefois protesté, si bien que la Loi a été modifiée pour confier au président de la Chambre des communes la responsabilité de nommer les deux membres en question.
Afin de soustraire le processus de la révision des limites des circonscriptions à toute ingérence politique, la Loi stipule qu'aucun sénateur, ni aucun député fédéral ou membre d'une assemblée législative ou d'un conseil législatif d'une province ne peut faire partie d'une commission. En pratique, outre les présidents, plusieurs des membres des commissions sont des professeurs d'université ou des hauts fonctionnaires (non élus) des assemblées législatives.
La participation du public
Lorsque les règles pour la révision des circonscriptions ont été établies en 1964, les députés ont constaté que pour rendre le processus aussi équitable que possible, il fallait non seulement empêcher toute ingérence politique mais également permettre aux électeurs de manifester leur point de vue aux commissions. Chaque commission fait donc publier son projet de carte électorale dans les journaux et invite les électeurs à des audiences publiques tenues en divers endroits choisis pour faciliter la participation du plus grand nombre possible de citoyens intéressés.
Les députés ne sont nullement exclus de ces audiences. Comme on reconnaît qu'ils tiendront inévitablement à se prononcer sur le nom et les limites des circonscriptions proposées, la Loi les autorise non seulement à se faire entendre aux audiences publiques mais aussi à exprimer leur opposition aux propositions émises par les commissions. Celles-ci doivent examiner les objections soulevées mais ne sont nullement tenues de modifier leurs propositions. Dans tous les cas, ce sont les commissions qui décident en dernier ressort du tracé des limites des circonscriptions.
Critères pour établir les limites
Une fois que le directeur général des élections du Canada leur a remis les cartes et les chiffres de population tirés du dernier recensement décennal, les commissions ont un an pour formuler leurs propositions, tenir des audiences publiques et présenter un rapport final. Pour réaliser cette immense tâche, elles tirent leurs lignes directrices de la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales de 1985. La révision ne se réduit pas simplement à un calcul mathématique, il s'agit plutôt d'un geste qui commande un équilibre délicat tenant compte tout autant des intérêts humains que des caractéristiques géographiques des circonscriptions en cause. Au cours de leurs travaux, les commissions reçoivent l'aide technique et administrative du personnel du directeur général des élections du Canada.
La tâche des commissions consiste à partager le territoire qui leur est assigné en un certain nombre de circonscriptions électorales, de telle sorte que la population comprise dans chacune de ces circonscriptions corresponde « d'aussi près qu'il est raisonnablement possible » à une moyenne (ou « quotient ») déterminée. En fixant les limites des circonscriptions électorales, il leur faut tenir compte de « la communauté d'intérêts ou l'identité culturelle d'une circonscription électorale ... ou de son évolution historique ... (et) des dimensions géographiques réalistes pour les circonscriptions des régions peu peuplées, rurales ou septentrionales... ».
Afin de tenir compte de ces facteurs humains et géographiques, les commissions sont autorisées à s'éloigner du chiffre de la population moyenne en fixant les frontières des circonscriptions électorales. Toutefois, sauf dans les circonstances qu'elles considèrent exceptionelles, les commissions ne peuvent s'éloigner de plus de 25 % du quotient électoral fixé pour la province.
Les étapes de la révision
Les travaux des commissions, susceptibles de se poursuivre pendant un an ou plus, sont essentiels au processus de révision mais n'en constituent en fait qu'une étape. L'ensemble du processus peut s'étendre sur deux ans et demi et même davantage, à partir du moment où le directeur général des élections du Canada reçoit du statisticien en chef du Canada les résultats du dernier recensement jusqu'au moment où les nouvelles limites des circonscriptions sont en vigueur en vue d'une élection générale.
Les principales étapes du processus de révision des limites des circonscriptions sont les suivantes.
La répartition des sièges. Après chaque recensement décennal, le statisticien en chef du Canada communique, dans les meilleurs délais, au directeur général des élections du Canada les chiffres de la population de chaque province, en les ventilant par circonscription électorale et par secteur de recensement. Ë partir de ces chiffres et à l'aide de la formule prescrite par la Loi constitutionnelle, le directeur général des élections du Canada calcule le nombre de sièges qui revient à chaque province et publie les résultats dans la Gazette du Canada.
L'établissement des commissions. Le président de la Chambre des communes et le juge en chef de la province en question choisissent et nomment les membres de chaque commission de délimitation des circonscriptions électorales. Les 11 commissions doivent être constituées dans les 60 jours suivant la date à laquelle le statisticien en chef du Canada fournit au gouvernement et au directeur général des élections du Canada les chiffres de population. Les commissions ont la responsabilité de délimiter les nouvelles circonscriptions électorales.
Les audiences publiques. Les commissions font publier dans les journaux, au moins 60 jours avant la date de la première audience publique, le tracé des circonscriptions proposées, en indiquant la date et l'endroit de chacune des audiences publiques. Chaque commission doit tenir au moins une audience publique avant de terminer son rapport. À l'occasion des audiences, les particuliers, les groupes et les députés peuvent exprimer leur opinion sur les propositions de la commission, après avoir donné à celle-ci un préavis écrit.
La remise des rapports. À partir du moment où les chiffres de population lui ont été communiqués, chaque commission a un an pour terminer son rapport sur les limites des nouvelles circonscriptions électorales. Le directeur général des élections du Canada peut, au besoin, accorder une prolongation de six mois au plus.
L'étude des rapports par le Parlement. Chaque commission transmet, par l'entremise du directeur général des élections du Canada, son rapport au président de la Chambre des communes, qui veille à ce qu'il soit déposé en Chambre puis transmis à un comité désigné pour traiter des questions électorales. Les députés ont 30 jours, à compter de la date du dépôt d'un rapport, pour faire connaître par écrit leurs objections; chacune d'entre elles doit être signée par au moins dix députés. Le comité a 30 jours (davantage lorsque la Chambre des communes ne siège pas) pour examiner les objections soulevées à l'égard d'un rapport et pour renvoyer celui-ci au président de la Chambre des communes.
Le renvoi des rapports aux commissions. Les rapports sont ensuite retournés aux commissions, accompagnés des procès-verbaux du comité de la Chambre des communes. Les commissions décident alors s'il y a lieu de modifier leurs rapports.
Le décret de représentation électorale. Le directeur général des élections rédige le « décret de représentation électorale » où sont identifiées et décrites les circonscriptions électorales établies par les commissions et il transmet le document au gouverneur en conseil (le Cabinet). Dans les cinq jours suivant la réception du décret de représentation électorale par le gouverneur en conseil, ce dernier doit faire connaître publiquement les nouvelles limites des circonscriptions électorales par proclamation et, au plus tard cinq jours après cette proclamation, faire publier le décret de représentation électorale dans la Gazette du Canada. On ne peut utiliser les nouvelles limites des circonscriptions électorales au cours d'une élection avant qu'il ne se soit écoulé au moins un an entre la proclamation du décret de représentaiton électorale et la date de dissolution de la législature en vue d'une élection générale.
Conclusion
Au cours des 120 dernières années au Canada, la formule de calcul de la représentation à la Chambre des communes ainsi que la méthode utilisée pour réviser les limites des circonscriptions électorales ont changé. Les modifications les plus importantes se sont sans aucun doute produites dans les récentes décennies. Depuis les années 1940, la formule de représentation a subi trois modifications fondamentales et le processus de révision des limites des circonscriptions a connu une modification en profondeur. Ces modifications ont retardé les révisions qui ont suivi les rencensements de 1941, 1961, 1971 et 1981. Les discussions constitutionnelles qui ont abouti aux accords du lac Meach et de Charlotetown ont de plus retardé la révision qui devait normalement suivre le recensement de 1991.
La population du Canada est toujours grandissante et les exigences du système changent. Le processus de redistribution peut donc continuer à évoluer.