Contexte général : la promotion d’élections libres et équitables
La mondialisation et les progrès accomplis en matière de technologies de l’information facilitent à la fois la diffusion d’informations relatives aux élections et l’observation de ces dernières. Le monde entier étant avisé de la tenue d’élections sujettes à caution, essentiellement par le biais des médias, un désir quasi universel d’élections libres et équitables a vu le jour. Grâce aux nouveaux outils de communication, au commerce et aux voyages, les habitants des pays non démocratiques découvrent les systèmes politiques démocratiques ou en transition. La volonté d’élire ses dirigeants en suivant un processus honnête et crédible se fait entendre aux quatre coins du monde. L’Assemblée générale des Nations unies a maintes fois réaffirmé que « la démocratie est une valeur universelle qui émane de la volonté librement exprimée des peuples » et que « quand bien même les démocraties ont des caractéristiques communes, il n’existe pas de modèle unique de démocratie et […] la démocratie n’est pas l’apanage d’un pays ou d’une région » [1].
À la faveur du mouvement de démocratisation, les élections sont devenues un vecteur essentiel de participation politique des citoyens. L’importance croissante des élections a cependant donné lieu, en parallèle, à des formes de plus en plus sophistiquées et diversifiées de fraude électorale. Certains pays ont combattu efficacement ce problème, d’autres ont eu moins de succès. C’est pour cette raison que la communauté internationale soutient les élections qui se déroulent à travers le monde.
Plusieurs organisations internationales fournissent une assistance électorale sous différentes formes : coordination des observateurs internationaux [2], soutien et assistance technique, mobilisation des ressources, organisation des élections dans certains cas, ou encore supervision et vérification (certification) du processus électoral [3]. Les organisations les plus importantes à cet égard sont l’ONU, avec notamment le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et le Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS), ainsi que le Commonwealth, l’Organisation des États américains (OEA), l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) par l’intermédiaire de son Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) et l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (International IDEA). Des donateurs nationaux soutiennent également des activités analogues par le biais de leurs partenaires d’exécution. C’est le cas notamment de la Fondation internationale pour les systèmes électoraux (IFES) et de la Fondation Carter.
Les missions d’observation électorale internationale et d’assistance technique ont largement contribué à susciter l’intérêt international pour les questions d’intégrité électorale. Elles ont également permis de relever les bonnes pratiques et principes électoraux internationaux, d’améliorer la transparence et d’encourager la redevabilité.
Caractéristiques du contexte social et politique national
Les mesures visant à assurer l’intégrité des élections doivent être adaptées à la situation locale. Ce qui constituera un problème grave exigeant des mesures de protection dans un pays pourra se révéler négligeable dans un autre et nécessiter de ce fait un degré moindre d’attention ou de protection. Le système de gouvernance, la culture politique et les attitudes de la population, en particulier, influencent la nature et l’ampleur des questions d’intégrité électorale, ainsi que l’efficacité des mesures dans ce domaine.
- Le système de gouvernance
Chaque pays possède sa propre forme de gouvernance, façonnée par son histoire politique, économique et culturelle. Dans les pays où le principe de l’État de droit est établi depuis longtemps, où les procédures sont transparentes et les agents publics tenus de rendre des comptes, l’environnement est généralement propice à la tenue d’élections honnêtes et crédibles. Les violations de la loi électorale et des procédures peuvent être repérées et corrigées, les infractions poursuivies en justice. Dans les pays confrontés à des problèmes de gouvernance et de primauté du droit, en revanche, il est beaucoup plus difficile de préserver l’intégrité électorale. L’organisme de gestion électorale et le système politique doivent prouver leur capacité institutionnelle et administrative ainsi que leur crédibilité. Il peut se révéler difficile d’assurer la neutralité, le professionnalisme et la transparence de la politique et de l’administration électorales et d’imposer des mesures supplémentaires. En l’absence de systèmes juridiques et judiciaires dignes de foi, l’organisme de gestion électorale peut être amené à trancher lui-même les litiges relatifs au comportement des responsables électoraux, des partis, des candidats ou d’autres personnes.
La culture politique d’un pays peut également influencer l’attitude de l’opinion publique à l’égard du processus électoral et de ce qui constitue des problèmes d’intégrité. Des normes universelles variables ont été définies en matière d’élections démocratiques, mais elles doivent être appliquées et interprétées dans leur contexte. Or, la culture politique peut influencer cette démarche. Par exemple, le comportement éthique des participants aux élections est un élément important de l’intégrité électorale au sens large, mais la définition des types d’actes autorisés des participants est variable.
Dans les pays marqués par de profonds clivages sociaux et politiques, il peut être difficile de convenir d’une norme nationale d’intégrité. C’est pour cela qu’il est important d’adopter une politique électorale adaptée à la culture politique du pays concerné lors de la création d’un système électoral. Il est beaucoup plus simple d’assurer l’intégrité électorale lorsqu’il existe un consensus national ou général autour des règles du jeu et de la valeur de l’intégrité.
La culture politique a également une incidence sur la nature et l’intensité de la participation des citoyens. Certains pays ont souvent connu des actions de masse (manifestations, par exemple) imposant l’adoption de mesures de sécurité physique afin d’assurer l’intégrité électorale pendant la campagne ou durant le scrutin. Dans d’autres pays, la participation du public est majoritairement tranquille, mais le taux d’abstention sera si élevé qu’il sèmera le doute sur l’intégrité de l’élection. À chaque fois, les mesures requises pour encourager et protéger une participation saine doivent être adaptées au contexte culturel.
Considérations propres aux pays en transition
Des considérations particulières sont souvent appliquées dans les pays en développement et les pays en phase de transition d’un régime autoritaire vers un système démocratique. Outre des problèmes de sécurité et un manque de confiance liés à la transition, ces pays manquent souvent de ressources financières et doivent faire appel à une assistance internationale considérable [4].
De nombreux pays ont réussi leur transition vers la démocratie dans les années 1990. La vague de démocratisation qui a balayé l’Afrique s’est soldée par des élections au Bénin, au Ghana, au Mali, à Maurice et au Sénégal que les observateurs ont jugé libres et équitables. Cette vague a quelque peu reflué dans les années 2000, marquées par des élections problématiques au Nigéria, au Kenya et en Côte d’Ivoire.
Toujours dans les années 1990, en Asie, l’Indonésie a fourni un exemple notable de transition réussie vers une gouvernance démocratique. En Amérique latine, le Mexique a mené à bien une réforme majeure qui a posé les fondations de l’intégrité électorale. À la même époque, les pays d’Europe de l’Est ont continué d’adopter des pratiques de gouvernance démocratique pour se démarquer du socialisme.
Les élections organisées après un conflit dans le cadre d’un accord de paix global posent des problèmes particuliers concernant la préservation de l’intégrité. Il peut être plus difficile de garantir la transparence et l’honnêteté du processus électoral dans ces conditions que dans les pays où la démocratie est solidement ancrée.
- Manque de financement et dépendance à l’aide extérieure
Certains pays ne possédant pas suffisamment de ressources pour gérer une élection sans aide extérieure peuvent devenir tributaires de cette aide. Le pourcentage de financement des élections assuré par des donateurs internationaux varie selon les besoins du pays et le degré d’intérêt des donateurs. Un niveau élevé d’assistance électorale étrangère associé à des restrictions imposées par les donateurs concernant l’usage des fonds peut jeter le doute sur les motivations de ces derniers et sur l’intégrité du processus électoral.
Les fonds étrangers peuvent également soulever des incertitudes quant au budget électoral et à la programmation, ce qui est dangereux pour l’intégrité des opérations. Même si les donateurs s’engagent à couvrir les coûts estimés, les dépenses imprévues peuvent engendrer des lacunes. Le financement des donateurs dépend également des cycles de financement et de la règlementation en vigueur dans chaque pays donateur. Les fonds peuvent arriver tard, obligeant l’organisme de gestion électorale à se démener pour couvrir les dépenses courantes. En outre, si les conditions requises ne sont pas remplies, les fonds promis peuvent ne jamais se matérialiser.
- Possibilités de conflit entre les intervenants
La communauté internationale fournit une assistance technique aux organismes de gestion électorale des pays en développement et des pays en transition. Cette assistance technique joue un rôle précieux en aidant des responsables électoraux manquant d’expérience à comprendre les éléments requis pour assurer l’intégrité électorale et la viabilité des processus électoraux. Mais si les différents donateurs ou contributeurs sont en désaccord sur des questions de fond ou de procédure, la dépendance à l’aide internationale peut engendrer des conflits institutionnels et des incertitudes en ce qui concerne la programmation.
Les questions de sécurité sont un autre facteur susceptible de saper l’intégrité électorale. Dans les pays en développement et les sociétés en proie à des conflits post transition, la sécurité physique peut revêtir une grande importance. Les responsables électoraux et le personnel des bureaux de vote peuvent faire l’objet de menaces ou de violences de la part d’individus cherchant à influencer le scrutin, tout comme les observateurs nationaux indépendants. Dans ce cas, la présence d’observateurs internationaux est particulièrement utile. Elle peut même contribuer à accroître la sécurité des observateurs nationaux.
Le manque de confiance est un facteur essentiel dans les pays où les citoyens ont peu confiance dans les institutions gouvernementales ou estiment que les partis politiques ne respecteront pas les règles du jeu. Le degré de méfiance doit être pris en compte pour déterminer les structures administratives et institutionnelles nécessaires à la tenue des élections, ainsi que les garanties supplémentaires requises pour protéger l’intégrité des opérations.
- Problèmes liés au maintien de la paix
Les élections qui se déroulent dans le cadre d’un accord de paix sont un élément essentiel du processus de paix et de réconciliation. Elles sont en outre indispensables pour rétablir la légitimité des institutions nationales. L’aide internationale en faveur du processus de paix est souvent généreuse. Si des forces de maintien de la paix sont nécessaires pour assurer l’intégrité des élections, d’autres problèmes peuvent survenir. Par exemple :
– Le calendrier électoral, ou du moins la date de l’élection, sont généralement fixés dans l’accord de paix à la suite de longues négociations politiques. Il peut cependant avoir été établi en fonction de demandes politiques plutôt que de considérations techniques. Dans ce cas, le délai prévu pour la préparation de l’élection peut se révéler irréaliste.
– Dans les sociétés polarisées, les problèmes techniques peuvent dégénérer en crises politiques et, dans certains cas, retarder le processus de plusieurs mois.
– L’insécurité, marquée notamment par l’intimidation et les atteintes aux droits de l’homme, dissuade les électeurs et les candidats de participer. Elle est également néfaste à l’administration électorale, car les responsables électoraux et le personnel des bureaux de vote peuvent nourrir des inquiétudes légitimes quant à leur sécurité personnelle.
– Les populations déplacées n’auront peut-être pas le temps ou la capacité de rentrer chez elles pour s’inscrire et voter.
– La deuxième élection organisée après une transition peut également poser des difficultés, car les forces internationales de maintien de la paix ont pu se retirer totalement ou en partie, alors même qu’un certain niveau d’insécurité et d’intimidation persiste.
[1] Premier et deuxième paragraphes du préambule de la résolution 66/163 de l’Assemblée générale des Nations Unies, adoptée le 19 décembre 2011.
[2] Voir, par exemple, Coordonnateur des Nations Unies pour les activités d’assistance électorale, Division de l’assistance électorale, Département des affaires politiques et des affaires du Conseil de sécurité, Policy Directive: UN Support to International Election Observers, Ref. FP/03/2012 (29 juin 2012).
[3] Voir, par exemple, Coordonnateur des Nations Unies pour les activités d’assistance électorale, Division de l’assistance électorale, Département des affaires politiques et des affaires du Conseil de sécurité, Policy Directive: Principles and Types of Electoral Assistance, Ref. FP/01/2012 (11 mai 2012).
[4] Voir Kumar, Krishna, dir., Postconflict Elections, Democratization, and International Assistance, Boulder, Lynne Rienner Publishers, 1998.