Abus de fonction
De nombreuses lois électorales comportent des dispositions contre
les abus de fonction de titulaires d’une fonction publique en période
électorale. La notion d’abus de fonction officielle fait référence au fait d’utiliser
la fonction et les privilèges y afférents dans le but de promouvoir les
intérêts électoraux d’un candidat ou parti particulier (généralement, le
titulaire de la fonction publique ou son parti), ou pour désavantager les
partis ou candidats de l’opposition. De tels abus de fonction comprennent
habituellement :
- l’amalgame entre
activités officielles et organisation de campagnes électorales, y compris
en faisant campagne lors de déplacements financés par l’État ou utiliser
des locaux publics aux fins de campagne ;
- l’utilisation
abusive d’autres avantages du poste, tels que les moyens de transport ou
ressources officiels, à des fins politiques. Cette catégorie rejoint la
notion d’utilisation abusive de ressources administratives, abordée
séparément ci-dessous, mais est de nature plus générale ;
- l’affectation de
fonds publics à des projets et programmes dans des circonscriptions
électorales avant ou pendant la campagne, dans le but d’influencer les électeurs
de ces circonscriptions ;
- le fait d’effectuer
des déplacements similaires à ceux d’une campagne électorale dans la
région où une élection est organisée, en montrant un intérêt
« officiel » plus élevé que d’habitude et/ou en mettant en
service de nouveaux équipements publics au profit des électeurs de ces
secteurs ; et/ou
- le fait de réaliser
des activités officielles, notamment en accordant ou refusant des
autorisations ou des demandes, de manière déséquilibrée et politiquement
partiale.
La nature même de l’abus de fonction politique en fait une
infraction difficile à prouver. Les titulaires d’une fonction publique, en
particulier les hauts fonctionnaires, disposent de nombreux pouvoirs et
privilèges, d’importantes ressources, et d’une grande liberté sur la façon de
les utiliser. Souvent, la loi ou la réglementation exigent que les hauts
fonctionnaires se déplacent uniquement avec des moyens de transport et des
services de sécurité officiels ; et en règle générale, leur importante
notoriété mobilise considérablement l’attention publique, y compris de la part
des médias. Ces fonctionnaires ne tentent guère d’empêcher la confusion entre
leurs rôles public et politique par la presse et les électeurs. Néanmoins, il
semble important de préserver ce concept et que la loi en tienne compte, car il
est au cœur du problème de l’utilisation abusive de la campagne par des
fonctionnaires à tous les niveaux.
Élections législatives de 2007 en
Arménie
Au moment des élections législatives de 2007, le code électoral
arménien interdisait certaines formes de campagne [1], y compris certaines activités des
représentants de l’État et agents publics [2], ou l’utilisation de ressources
publiques. Ces activités interdites étaient entre autres les suivantes :
faire campagne dans l’exercice de fonctions officielles, ou l’abus de fonctions
officielles pour obtenir un avantage électoral ; utiliser des locaux
publics ou d’autres ressources à d’autres fins que celles généralement prévues
pour les candidatures, sauf protection de la sécurité telle que prévue par la
loi pour les hauts fonctionnaires ; et/ou bénéficier d’une couverture
médiatique spéciale, à l’exception d’activités officielles ou de certaines
autres [3].
L’interaction de ces interdictions les rendait difficiles à
appliquer lorsque de hauts fonctionnaires combinaient activités officielles et
activités de campagne tout en recevant la protection de l’État et d’autres
formes de soutien. À plusieurs reprises, la presse n’est pas parvenue à faire
la distinction entre les fonctions de campagne et les fonctions officielles des
candidats. Cela a été particulièrement vrai lorsque le premier ministre de l’époque
(qui devint ensuite président) a combiné des déplacements officiels et de
campagne à travers le pays [4].
Élections législatives de 2008 en
Géorgie
En vertu d’un amendement au Code électoral unifié, il a été
interdit aux agents publics d’organiser la participation de leurs subordonnés à
la campagne, pour recueillir des signatures ou mener des activités de campagne
lors des déplacements officiels, et de faire campagne dans l’exercice de leurs
fonctions [5]. Les fonctionnaires ayant des fonctions « politiques »
peuvent toutefois réaliser cette dernière activité (et les activités impliquant
une programmation complémentaire des médias) indépendamment [6].
Utilisation abusive des ressources
administratives
Si l’« abus de fonction » est une infraction difficile à
déterminer, les lois et règlements ont également des difficultés à définir le
problème vraisemblablement plus concret de l’utilisation abusive des ressources
administratives par les représentants de l’État et fonctionnaires locaux. Les
éléments généraux constitutifs de cette infraction impliquent :
- l’utilisation
de fonds, d’équipements, de matériel, de services ou de fournitures
publics ;
- par les personnes
qui y ont officiellement accès ;
- et qui ne sont pas
accessibles d’autres dans les mêmes conditions pour d’autres ; ou
- qui ne sont pas mis
à la disposition d’autres campagnes sur la base d’un accès libre et
équitable ;
- aux fins de la
campagne, ou pour fournir soutien et assistance à une campagne ; et
- sans remboursement
de la totalité des coûts de ces ressources.
Pour les élections législatives de 2008 en Géorgie, les dispositions du Code électoral unifié (CEU) relatives
à l’abus de fonction/l’utilisation abusive de ressources administratives ont
été largement remaniées. L’article du CEU (ancien article 76) [7] interdisant aux candidats ou autres personnes d’abuser de leur
position officielle pour faire campagne a été supprimé. À la place, l’accent a
été mis sur l’utilisation abusive des ressources administratives de l’État et
activités des agents publics – et deux nouveaux articles ont été adoptés [8].
Les amendements (articles 76 et 761 du Code électoral)
abolissaient en grande partie la question de l’abus de fonction par les agents
publics pour mettre l’accent sur l’utilisation abusive des ressources de l’État.
Conformément à ces derniers, les ressources de l’État peuvent être utilisées,
uniquement à condition qu’elles soient à la disposition de tous. Mais (comme l’a
souligné le BIDDH) la loi électorale aurait également dû interdire l’utilisation
directe ou indirecte à des fins de campagne de tous types de ressources
administratives – financières, matérielles, techniques et humaines –par les
candidats, les fonctionnaires ou d’autres acteurs de la campagne à titre
privilégié. (En ce qui concerne les équipements mis à la disposition des
activités de campagne, les participants à l’élection disposaient des mêmes
droits d’utilisation ; mais les acteurs de la campagne n’avaient pas accès
au matériel et aux services au sein des bureaux du gouvernement.)
En outre, concernant les moyens de transport, les agents publics
étaient libres d’utiliser les véhicules officiels, à la seule condition qu’ils
remboursent le carburant, et cette restriction ne s’appliquait pas aux
fonctionnaires « politiques » [9]. Toutefois, les amendements
introduisaient différentes sanctions pour les cas de non-respect de la loi, y
compris des amendes administratives, l’annulation de l’inscription d’un
candidat/liste (sous réserve de l’approbation par le tribunal) et d’autres
sanctions (y compris l’interdiction de se présenter lors de futures élections).
Insister davantage non plus sur des principes généraux, mais sur
des cas particuliers pourrait peut-être présenter un avantage ; cela
pourrait en effet permettre de promouvoir une prévention et une résolution plus
efficaces des litiges. D’autre part, limiter le champ d’application de ces
dispositions à des éléments plus spécifiques n’aurait été efficace que si ces
éléments avaient été soigneusement définis, adaptés à la tâche et effectivement
appliqués.
Bien qu’ils soient liés à des applications spécifiques (tels que l’utilisation
de bâtiments, des moyens de communication et de transport), les amendements
adoptés en Géorgie concernant l’utilisation des ressources de l’État par ceux
qui y ont accès s’appuyaient apparemment sur le principe de l’égalité des
chances (y compris des conditions égales) [10]. Pourtant, par exemple, les
fonctionnaires qui utilisent des véhicules officiels à des fins de campagne n’étaient
obligés que de rembourser les frais de carburant[11], condition insuffisante pour une égalité avec ceux qui n’ont
tout simplement pas accès aux véhicules.
Le CEU a également apporté des détails supplémentaires concernant
les sanctions pour utilisation abusive de ressources administratives [12]. Cependant, selon les observateurs internationaux, cette
réforme a été contre-productive, car (voir ci-dessus) elle a permis à des
agents publics d’utiliser des bureaux, équipements et autres ressources qui ne
sont généralement pas accessibles au public. En outre, le champ d’application
de la disposition permissive relative aux fonctionnaires
« politiques » n’était pas clair [13].
[1] Code électoral arménien (2007), articles 4, 7 et 8.
[2] Ci-après dénommés collectivement « agents
publics »
[3] Id., article 221 (voir
la note précédente)
[4] OSCE/BIDDH, EOM Final Report, Armenia Parliamentary Elections, 2007
[5] Code électoral unifié géorgien (septembre 2008),
article 761 (nouveau), paragraphe 1
[6] Id., paragraphe 2
[7] « Interdiction d’utiliser une position officielle au
cours de la campagne électorale »
[ 8] Id., articles 76, « Interdiction d’utiliser
des ressources administratives au cours de la campagne électorale" et 76
1 « Proscrire l’utilisation d’une position ou situation
professionnelle lors des activités préélectorales et de la campagne
électorale »
[9] CEU de la Géorgie, art. 3
[10] article 76.1 (tel qu’amendé)
[11] Id., article 2
[12] Un nouvel article a habilité la
commission électorale centrale (CEC) à imposer des pénalités administratives en
cas de violation des règles de campagne concernant les agissements de
fonctionnaires [12]. Pour chaque violation, la CEC peut imposer une
amende, ainsi que d’autres sanctions - y compris l’annulation de l’inscription
d’un candidat ayant violé les règles ou le retrait du droit du candidat à
participer à de futures élections (les deux étant sous réserve d’une
approbation judiciaire). Id., art. 2. La
possibilité d’imposer une sanction moindre par le biais d’une procédure
administrative peut impliquer que ce type de mesures soient prises plus souvent
que la mesure précédente mais extrême concernant l’annulation de l’inscription.
[13] Voir OSCE/BIDDH, EOM Final Report, Georgia Parliamentary
Elections, 2008, p. 5-6.