Éléments
L’« achat de votes », un type très commun d’infraction
ayant lieu pendant la campagne, s’est avéré très difficile à prévenir ou à
sanctionner dans de nombreux pays. Les éléments de base de cette infraction
comprennent :
- la promesse, l’offre
ou le don ;
- d’argent, de
biens, de services et/ou d’autres récompenses (comme des promesses d’emploi,
privilèges particuliers ou de traitement de faveur) ;
- à des
électeurs et/ou autres personnes, y compris leurs familles ou
communautés ;
- à l’approche d’une
élection, après l’annonce d’une élection ou au cours de la campagne ;
- par un parti
politique, candidat ou autres (agents) agissant en leur nom ;
- de façon à
influencer, qui pourrait vraisemblablement influencer, ou serait
susceptible d’influencer le vote des électeurs.
L’achat de votes, même au sens large, diffère des incitations négatives
(p. ex., pressions ou menaces) des autorités ou factions politiques afin d’empêcher
les électeurs de soutenir des opposants politiques, incitations qui sont
également relativement fréquentes. Par exemple en Géorgie, malgré un achat de votes motivé par des incitations
positives constaté par le passé, des incitations négatives de fonctionnaires ou
d’autres personnes au cours des élections législatives de 2008 ont été
rapportées en majorité [1].
Dans les pays en transition, en particulier ceux avec une
population largement rurale (tels que la Roumanie),
le pouvoir d’influence sur les électeurs par des incitations négatives est
considérable, car ces derniers doivent obtenir l’autorisation des autorités
locales pour toutes sortes d’activités essentielles, y compris le ramassage de
bois de chauffage [2]. Mais les éléments constitutifs de l’infraction que représente
le fait d’exercer une influence négative sur les électeurs se rapprochent
davantage d’autres malversations de campagne (tels que l’abus d’une fonction
officielle) que de l’achat de votes.
Application de la loi
Selon la définition légale de la pratique de l’« achat de
votes » (parfois appelée « corruption électorale »), de nombreux
obstacles peuvent empêcher de poursuivre les auteurs de telles infractions. En
voici quelques exemples :
- L’auteur a-t-il
offert un cadeau dans le but (ou, avec l’« intention
spécifique ») d’influencer l’électeur à voter en faveur d’un candidat
ou d’un parti politique ?
- La personne ayant
offert le cadeau était-elle le candidat, un agent ou un tiers ayant un
intérêt dans l’issue du vote ?
- La valeur du cadeau
était-elle suffisante pour influencer l’électeur, et l’incitation
suffisait-elle pour qu’il donne son vote en échange ?
- Le cadeau
a-t-il été offert directement aux électeurs, ou à d’autres personnes (tels
que leur famille ou leur communauté) proches des électeurs ?
- La personne ayant
offert le cadeau était-elle en position d’exercer une pression sur l’électeur,
par exemple en gardant le cadeau promis jusqu’à la fin de l’élection ?
- L’électeur lui-même
pourrait-il être tenu pour responsable s’il s’avérait qu’il avait subi une
telle influence ?
L’achat de votes semble particulièrement répandu dans les
élections organisées dans des circonscriptions à mandat unique, ceci parce que
les candidats qui gagnent les élections dans ces (relativement petites)
circonscriptions tendent à s’y implanter politiquement et économiquement. Il
est également plus facile d’exercer une influence sur un nombre suffisant d’électeurs
pour peser sur les résultats d’une telle circonscription électorale.
Lors des élections législatives de 2008 en Géorgie, l’« achat de vote » a été redéfini [3] pour y inclure les incitations
matérielles auprès des « citoyens », et non plus seulement les
électeurs, afin d’y intégrer les cadeaux aux communautés. Toutefois, la
fourniture de biens et de services exploitables doit créer des
« incitations » pour les électeurs, élément difficile voire
impossible à prouver.
Les observateurs internationaux ont signalé que les demandes à ce
sujet ont été rejetées pour divers motifs juridiques, par exemple : un
agent public qui exerçait ses fonctions n’a pas effectivement demandé des votes
pendant son discours lors d’un rassemblement électoral ; d’autres
personnes étaient impliquées dans l’« achat de votes », mais pas un
candidat ou une organisation de campagne ; la valeur du cadeau ou de la
promesse était insuffisante pour influencer le vote de l’électeur ; et/ou
il n’a jamais pu être prouvé que l’influence exercée avait eu un impact réel
dans l’isoloir.
En
Arménie, l’expérience montre
également qu’il est difficile de faire appliquer les dispositions contre l’achat
de votes. Lors des élections législatives de 2007, organisées au printemps, le
code électoral arménien comportait une disposition claire et complète mais
inhabituelle, dans la mesure où les éléments de l’infraction d’achat de votes
ne nécessitaient pas techniquement l’intention d’influencer le vote des
électeurs. Cette disposition, appliquée uniquement pendant la campagne
électorale, couvrait toute promesse ou fourniture de biens ou de services aux
électeurs (modifiée ultérieurement pour s’appliquer plus généralement aux
citoyens) [4].
Par
conséquent, aucune preuve d’une « intention spécifique » d’influencer
les électeurs n’était nécessaire pour que des cadeaux aux électeurs constituent
une infraction pendant la campagne électorale (dès l’enregistrement des
candidats jusqu’à peu de temps avant le jour de l’élection). En outre, les
candidats auraient été passibles de sanctions s’ils avaient
« personnellement ou par d’autres moyens » offert des cadeaux, une
clause qui aurait pu s’appliquer également aux partisans d’un candidat ou à ses
agents.
Malgré
cela, la disposition a été très peu appliquée par l’administration électorale
ou par les tribunaux, car de nombreux incidents rapportés concernaient des
cadeaux aux « communautés », et non aux électeurs ; de même, les
transferts étaient souvent réalisés avant la campagne électorale ou par des
personnes qui n’étaient pas clairement des agents des candidats ou des partis
politiques. En outre, de nombreux cas signalés (y compris pendant la campagne
électorale, et même le jour de l’élection ou le jour précédent, alors qu’il
était interdit de faire campagne) n’ont pas pu être vérifiés par les
enquêteurs.
En
dépit de la disposition de fond du Code électoral, les autorités électorales et
autres organes compétents ont continué d’affirmer que l’élément moral
(intention) devait être démontré pour que ces agissements constituent une « corruption
électorale », telle que la pratique est appelée dans ce pays. Enfin, les
autorités ont maintenu qu’il était nécessaire de démontrer que de tels actes de
« corruption » avaient en effet eu une influence sur le vote (ce qui
bien sûr n’a pas pu être démontré, en raison du secret du scrutin) [5].
Finalement, les autorités chargées des poursuites n’ont porté
aucune affaire devant les tribunaux, faisant valoir que les affaires pénales
devaient être jugées en vertu des lois anticorruption. Les électeurs eux-mêmes,
s’ils sont appelés à témoigner, pourraient se rendre pénalement responsables ; il est par conséquent difficile de le prouver [6].
Recours
Dans les Îles Salomon, où
toutes les élections au Parlement sont tenues dans des circonscriptions à mandat
unique, les allégations d’achat de votes sont très répandues et plusieurs
candidats élus ont fait l’objet de poursuites judiciaires. En 2011, la Haute
Cour a estimé qu’un achat de votes apparemment mineur par le candidat et ses
partisans constituait une infraction, nécessitant l’organisation de nouvelles
élections dans la circonscription [7].
Cette décision découlait d’une disposition de la « National
Parliament Electoral Provisions Act » (loi relative aux dispositions
électorales nationales du parlement) qui prévoyait qu’« aucune élection ne
sera valide s’il y a eu corruption ou pratique illégale relativement à celle-ci
par le candidat ou son agent » [8]. En s’appuyant sur la jurisprudence,
le juge a estimé que ce paragraphe n’exigeait pas que l’action en question ait
affecté le résultat des élections pour que ces dernières soient invalidées. Il
suffisait que les agissements relèvent de l’infraction de « corruption
électorale » figurant dans la loi [9], ce qui les rendrait illégaux, même s’il
n’y a pas eu corruption. Alors qu’il était nécessaire d’examiner la question de
savoir si le candidat avait eu l’intention spécifique d’influencer les
électeurs, le juge a indiqué que l’intention requise pouvait être déterminée au
vu des circonstances.
Le candidat avait été aperçu donnant une petite somme d’argent
(50 SBD, soit 7 dollars US chacun) à une dizaine de personnes qui
avaient pagayé sur une distance considérable pour assister un événement de
campagne ; promettant à des électeurs que 300 panneaux solaires leur
seraient livrés en tant que « résultat escompté » de son
élection ; l’on savait par ailleurs qu’il était responsable de la
distribution d’un certain nombre de lecteurs MP3à des électeurs. (Certains des
lecteurs ont par la suite été récupérés par des personnes associées au
candidat, soi-disant parce que les bénéficiaires n’avaient pas voté pour lui.)
Ces agissements n’étaient pas anodins, mais la preuve de l’intention
n’était pas évidente. En effet, les dons en espèces n’ont pas été versés
explicitement en échange d’une contrepartie.
La promesse de livraison de panneaux solaires a été annoncée publiquement
et ne se limitait pas aux partisans. Même chose pour les lecteurs MP3, qui ont
été distribués aux électeurs avant l’élection. Le juge a fait valoir, toutefois,
que ces facteurs devaient être considérés en fonction des pratiques habituelles
d’offre de cadeaux dans la région, selon lesquelles l’acceptation d’un cadeau
entraînait une obligation correspondante.
La Cour a par conséquent conclu que le candidat avait perdu son
mandat en raison d’agissements illégaux et que de nouvelles élections devaient
avoir lieu. (Cette conclusion a toutefois engendré une situation étrange car,
en vertu du système législatif, le candidat pouvait participer à l’élection
partielle et briguer le siège duquel il avait été déchu).
[1] Dans une affaire célèbre, un fonctionnaire local a été filmé
menaçant de licenciement des employés d’une administration locale si sa
candidature ne faisait pas l’objet d’un vote massif. Le président Mikheïl
Saakachvili a ensuite fait une déclaration mettant en garde contre de telles
pratiques, et le fonctionnaire local a retiré sa candidature. Voir OSCE/BIDDH, EOM Report, Georgia Parliamentary Elections
2008,p. 12-13.
[2] Voir Romania,
Presidential and Parliamentary Elections, 28 November and 12 December 2004,
OSCE/ODIHR Assessment Mission Report (Varsovie,
14 février 2005), p. 17.
[3] Georgie, Code électoral unifié (éd. 2008),
article 73.9[a]
[4] En Géorgie voisine, la disposition correspondante s’appliquait
aux « citoyens », mais les cadeaux aux communautés ont néanmoins
continué. Voir les rapports finaux de l’OSCE/BIDDH, Georgian Special
Presidential and Parliamentary Elections, 2008.
[5] Voir Republic of
Armenia, Parliamentary Elections, 12 May 2007, Election Observation Mission
Final Report, p. 12-13
[6] Ibid.
[7] Ha’apio v.
Hanaria, action civile no 343 (2010), arrêt
(7 décembre 2011) (Opinion du juge Chetwynd)
[8] Îles Salomon, National Parliamentary Electoral Provisions
Act (loi relative aux dispositions électorales nationales du parlement) (NPEP),
article 66 (1). Selon un autre paragraphe, article 66 (2), un tel
résultat surviendrait uniquement si la corruption ou les pratiques illégales
« ont si largement prévalu que l’on peut raisonnablement penser qu’elles
ont affecté le résultat. » (En vertu de ce paragraphe, le candidat élu
perdrait non seulement son mandat parlementaire, mais serait inéligible jusqu’à
la prochaine élection générale, et ne pourrait participer à l’élection
partielle déclenchée par la perte du mandat.)
[9] Îles Salomon, loi NPEP, article 71