Non-respect du droit à un recours
juridique
Dans l’ex-République yougoslave de Macédoine avant le début des élections législatives anticipées
prévues pour juin 2008, le Parlement s’est lui-même dissous sans traiter
les changements du cadre législatif relatifs aux demandes et recours d’ordre
électoral. À l’époque, une réorganisation du système judiciaire avait déjà été
initiée, conduisant à la formation d’une nouvelle juridiction administrative.
Cette juridiction devait, au niveau le plus bas, entendre les appels des
décisions des organismes administratifs et au niveau supérieur, avoir
compétence sur les recours administratifs qui étaient auparavant dirigés vers
la Division administrative de la Cour suprême.
Les élections macédoniennes sont hautement concurrentielles, tous
partis confondus de la majorité des Macédoniens d’origine à l’importante
minorité des Albanais de souche. Du côté de la communauté macédonienne, une lutte
acharnée oppose depuis longtemps le principal parti nationaliste
(« VMRO-DPMNE") et le parti social-démocrate (« SDSM »).
Lors des dernières élections, un parti analogue au SDSM, appelé
« SDPM », avait été autorisé à inscrire des candidats dont les noms
ressemblaient étrangement à ceux des leaders politiques du SDSM. Cette
situation s’est à nouveau produite en 2008, avec de nouveaux éléments indiquant
que certains des « prétendus » candidats n’avaient pas donné leur
accord pour être désignés ; le SDSM a par conséquent légitimement
présenté, auprès de la Commission électorale de l’État, un recours contre l’enregistrement
de la liste de candidats du faux parti.
Étant donné que la nouvelle juridiction administrative n’était pas
encore prête sur le plan organisationnel à entendre des appels contre des
décisions de la Commission, l’affaire du SDSM a été instruite par la Cour
suprême. Cette dernière a indiqué qu’elle n’avait plus la compétence d’une cour
administrative d’appel et qu’elle pouvait prendre en compte uniquement le Code
électoral - et non le droit administratif général - pour déterminer si le SDSM
disposait d’un recours. Mais le Code prévoyait uniquement et spécifiquement l’existence
de recours contre les décisions de la Commission par des partis politiques qui
avaient demandé l’enregistrement de leurs listes de candidats qui leur avait
été refusé, et non par les partis tentant de faire appel de l’enregistrement de
la liste d’autres partis. Ainsi, la Cour a conclu qu’aucun recours juridique n’était
possible [1].
Absence de recours juridique effectif
Les difficultés résultant d’un cadre législatif imprécis et
incomplet concernant les recours en cas de violations des lois électorales ont
également été évidentes pendant les élections législatives de 2008 dans l’ex-République
yougoslave de Macédoine. [2] Selon les observateurs
internationaux, les candidats aux élections n’avaient qu’un accès limité à des
recours et appels effectifs contre les violations présumées antérieures au jour
de l’élection, en partie en raison de certaines incohérences dans les lois,
mais aussi du fait d’une interprétation restrictive des compétences des
organismes chargés de recevoir les demandes et d’entendre les appels. Il a
également été constaté que les juges des tribunaux de première instance et des
cours d’appel connaissaient très mal leur rôle quant aux violations des règles
de campagne.
Concernant ces dernières, les voies de recours juridiques étaient
limitées et n’étaient pas précisément décrites dans la loi. Seule une disposition
du Code électoral permettait aux candidats dont les droits étaient bafoués -
« en cas d’entrave et de perturbation de la campagne d’un opposant »-
de demander réparation au tribunal de première instance compétent (avec droit
de recours devant la Cour d’appel). Toutefois, le type d’action pouvant être
présenté en vertu de cette disposition n’était pas défini, tout comme les
catégories de défendeurs (incluant éventuellement des opposants ou
organisateurs de campagne, des personnes privées, voire des fonctionnaires
municipaux ou représentants de l’État). Alors que l’expression « en cas d’entrave
et de perturbation de la campagne (…) » est totalement identique à celle
utilisée dans le Code pour décrire une infraction, l’article ne précisait pas
si l’action serait civile ou pénale.
Plusieurs tribunaux de première instance et cours d’appel
contactées par les observateurs ont adopté des approches différentes de leur
rôle dans les procédures de demande et d’appel. Certains ont affirmé ne pas
être compétents pour entendre d’affaires électorales ; d’autres ont
précisé que des poursuites pénales pouvaient être engagées (se traduisant par
des amendes, voire éventuellement une indemnisation pour les victimes) ; d’autres
encore étaient disposés à envisager des actions civiles visant à faire
constater que les droits de campagne n’avaient pas été respectés. Aucune
poursuite n’a toutefois été engagée pour violation des règles de campagne. Dans
l’ensemble, les observateurs ont constaté que la portée des recours judiciaires
à la disposition des candidats aux élections avait diminué par rapport aux
précédentes élections, en partie à cause de changements de compétences
juridiques concernant les appels administratifs.
Rejet des recours juridiques
Les lacunes dans la résolution des litiges ont été le sujet
principal des préoccupations internationales et des critiques au niveau
national concernant les élections géorgiennes
de 2008. [3]. Pendant les élections présidentielles et législatives,
relativement peu de demandes et de recours ont été présentés au cours de la
campagne électorale ; et ceux qui ont été instruits étaient généralement
infructueux. Au cours des deux élections, toutefois, un très grand nombre de
demandes ont été déposées - principalement par des observateurs d’organisations
non gouvernementales (ONG) accréditées et, dans une moindre mesure par des
partis d’opposition - concernant la conduite du scrutin et du dépouillement et
l’adoption des protocoles par les Commissions électorales de secteur (CES). Peu
de ces demandes ont été reconnues par les commissions électorales ou les
tribunaux de niveau supérieur, et la plupart ont été rejetées pour des raisons
techniques.
Élections présidentielles
Au cours des élections présidentielles extraordinaires de janvier
2008, relativement peu de demandes ont été déposées avant le jour du scrutin.
Selon le rapport final de l’OSCE/BIDDH, les partis de l’opposition et les ONG
ont attribué ce manque de confiance à l’impartialité de l’administration
électorale et des tribunaux. Par ailleurs, un nombre considérable de demandes n’a
pas été entièrement pris en compte ou correctement traité par les différents
niveaux de l’administration électorale et les tribunaux. Les rapports du BIDDH
indiquent que 31 appels ont été déposés auprès de la CEC et
19 affaires au tribunal municipal de Tbilissi (dont six ont par la suite
été renvoyées à la Cour d’appel). Les principaux sujets de ces affaires
portaient sur l’utilisation abusive des ressources de l’État, l’achat de vote,
et le fait que des agents publics fassent campagne dans l’exercice de leurs
fonctions officielles.
Après les élections, toutefois, de très nombreuses (plus de
1 000) demandes ont été déposées concernant le déroulement du scrutin et
le dépouillement par les commissions électorales de secteur, et quelque
400 appels ont été présentés aux Commissions électorales de district
(CED). La CEC a considéré que seul un petit nombre (24) des recours avait été
correctement présenté et a annulé les résultats de cinq commissions électorales
de secteur. Les résultats de huit autres ont été annulés par les tribunaux.
Selon les dispositions du Code électoral alors en vigueur, les
commissions électorales de district n’étaient pas habilitées à annuler les
résultats de commissions électorales de secteur ; par conséquent, même si
la commission électorale de district reconnaissait l’appel, celui-ci devait
être validé par la commission électorale centrale. (Si un appel déposé auprès
de la commission électorale de district n’aboutissait pas, il fallait alors
saisir le tribunal et non la commission électorale centrale.)
Les dispositions pertinentes relatives aux appels
(article 77.1-2 de l’ancien Code électoral) autorisaient généralement que
les recours contre les décisions des commissions électorales soient traités par
la commission électorale de niveau supérieur ou le tribunal municipal.
Toutefois, la Cour suprême a développé une autre interprétation juridique, l’a
communiquée au parlement et aux agents électoraux, et a donné des instructions
aux juges des tribunaux d’appel et de district.
L’interprétation portait sur l’ancien article 77.28 du Code
électoral, qui créait une exception à la double voie de recours pour les appels
effectués à l’encontre de décisions des commissions électorales de district
concernant les procès-verbaux de résultats d’une commission électorale de
secteur ou l’ordonnance par laquelle ils étaient adoptés. En vertu de ce
principe, ces appels devaient être présentés au tribunal après leur rejet par
la commission électorale de district. Les juges se sont appuyés sur la règle
« la loi spéciale déroge à la loi générale » pour l’étendre à l’ensemble
de ces appels – ce qui a eu pour conséquence l’impossibilité de faire appel
directement auprès de la commission électorale centrale.
D’un point de vue technique, le problème avec l’interprétation de
la Cour suprême était que ces maximes d’interprétation ne devraient être
appliquées qu’en cas de contradiction entre les lois ; et aucune
contradiction de ce genre n’existait dans ce cas. Les importantes implications
juridiques et politiques des agissements du tribunal étaient cependant encore
plus inquiétantes. En effet, le tribunal a ouvert la voie à la suppression
massive des droits d’appel des participants à l’élection et elle a affaibli la
règle de l’État de droit en informant seulement les fonctionnaires et juges de
première instance de sa volonté.
En conséquence, la commission électorale centrale a sommairement
rejeté, après expiration du délai de présentation de l’affaire au tribunal
(deux jours), plusieurs centaines de recours contre des décisions des CED de
rejeter les appels portant sur les résultats des commissions électorales de
secteur. Elle a également rejeté de nombreux autres appels pour diverses
raisons techniques, telles qu’une adresse incomplète, par exemple omission du nom de la ville ou municipalité après le
numéro et l’emplacement de la commission électorale de secteur en question. (L’article 61.2
[c] du Code électoral dispose que l’« adresse » de la commission
électorale de secteur doit être mentionnée.)
Des pourvois similaires devant les tribunaux ont toutefois connu
une issue plus favorable. Sur les 70 actions intentées, environ 50 ont été
jugées recevables et les autres ont été rejetées pour diverses raisons
techniques. Cinq demandes ont été partiellement reconnues par les tribunaux de
district, et les résultats de huit circonscriptions ont été annulés. Alors que
d’autres raisons ont été invoquées concernant le rejet des demandes, la
principale cause aurait été l’absence de recours préalable devant la CED contre
les résultats du comptage des voix d’une commission électorale de secteur (tel
que l’exige l’ancien article 77.28 pour les appels concernant le protocole de
résultats de commissions électorales de secteur ou contre l’ordonnance par
laquelle il a été adopté), ou le fait de ne pas avoir respecté la date limite
de dépôt (souvent la conséquence du dépôt auprès la commission électorale
centrale et non des tribunaux, conformément à l’interprétation de la Cour
suprême).
Élections législatives
Demandes préélectorales
Selon le rapport final de l’OSCE/BIDDH sur ces élections, avant le
jour du scrutin en mai 2008, 69 recours avaient été déposés auprès
des commissions électorales de district (qui sont responsables de l’enregistrement
des candidats aux élections majoritaires dans leurs districts) et 27 auprès de
la commission électorale centrale (responsable de l’enregistrement de la liste
nationale des candidatures, ainsi que de l’examen en appel des décisions des
commissions électorales de district). Les tribunaux de district ont reçu
40 recours, dont 19 ont fait l’objet d’appel devant la cour d’appel ;
et deux procédures ont été portées devant la Cour constitutionnelle.
La demande préélectorale la plus connue a été déposée devant la
CEC par plusieurs partis de l’opposition, demandant l’annulation de l’inscription
de la liste des candidats du parti United National Movement (UNM). Elle faisait
suite au désistement de dernière minute de la candidate en tête de la liste, l’ancienne
présidente du Parlement Nino Burjanadze, dans des circonstances qui ont soulevé
des questions sur le fait de savoir si la liste finale de l’UNM avait pu être
déposée à temps. (Les plaignants se sont vu refuser l’accès aux actes de
candidature qui ont été déposés avant la date limite.) La demande a été rejetée
par la CEC et le recours devant le tribunal municipal de Tbilissi a été refusé
pour des motifs juridiques et de procédure.
Comme pour les élections présidentielles, la plupart des demandes
préélectorales concernaient l’abus de fonction ou l’utilisation abusive des
ressources de l’État par des agents publics (voir étude de cas distincte), et d’autres
violations des règles de campagne, telles que l’achat présumé de votes (idem) qui pourraient justifier l’annulation
de l’enregistrement d’un parti ou d’un candidat, ou encore d’autres mesures
punitives. (En vertu des modifications apportées au Code électoral promulgué en
mars 2008, les dispositions relatives à l’ensemble de ces sujets ont été
largement révisées.)
Demandes post-électorales
D’après le gouvernement, 1 210 demandes au total ont été
déposées auprès des commissions électorales le jour même de l’élection ou après
l’élection. Sur ces 1 210 demandes, 854 ont été présentées
devant les commissions électorales de secteur, 339 devant les commissions
électorales de district et 17 auprès de la CEC. 48 autres recours ont été
présentés devant les tribunaux.
Après la confusion provoquée par des voies de recours
contradictoires pendant les élections présidentielles, les amendements
législatifs promulgués avant les élections législatives ont largement révisé
les règles dans ce domaine. Les dispositions de base provenaient
des articles 77 et 771du Code électoral, le premier
énonçant des principes généraux et le second des dispositions plus spécifiques
concernant la capacité juridique à saisir les tribunaux.
Le principal changement (figurant à l’article 77.1 du Code
électoral) était la suppression d’une voie alternative de recours (devant le
tribunal) en spécifiant à quoi faisait référence une « règle en trois
étapes »- c’est-à-dire que les demandes/recours sont en
premier lieu déposés devant la commission électorale compétente, puis devant la
commission de niveau supérieur suivante, et ensuite devant les tribunaux de
district (avec la possibilité d’un recours auprès de la cour d’appel). Ainsi
les demandes relatives aux commissions électorales de secteur leur seront d’abord
présentées, puis seront portées devant la commission électorale de district
compétente, puis pourront faire l’objet d’un appel devant les tribunaux. Les
demandes concernant les commissions électorales de district seront présentées à
ces mêmes commissions, avec appel devant la CEC (et les tribunaux). Les
demandes à propos de la CEC seront déposées auprès de cette dernière, puis
examinées par la CEC avant de faire éventuellement l’objet d’un appel auprès
des tribunaux.
D’autres dispositions du Code électoral permettent également de
déterminer la nature et le calendrier d’une demande, afin d’appliquer la règle
appropriée. Conformément à l’article 61 du Code électoral, une demande
portant sur les procédures de vote doit être déposée entre l’ouverture du vote
(à 7 heures) et la fin du vote et l’ouverture de l’urne (alinéa 1).
Une demande relative au dépouillement et à la présentation du scrutin à la
commission électorale de secteur, ou visant l’annulation des résultats, doit
être déposée avant de remplir le procès-verbal (alinéa 5, tel qu’amendé en
2008). Si la CES refuse ces demandes, elles peuvent être déposées auprès des
CED, dans les délais fixés (alinéa 4, tel que modifié, et alinéa 6).
La distinction ci-dessus présente un intérêt quant à la voie de
recours, étant donné que le gouvernement a indiqué peu après l’adoption des
amendements que les recours concernant l’adoption ultérieure du procès-verbal
par les CES et leur approbation par le CED constituerait une exception à la
règle de trois étapes. Dans ce cas, l’appel de la commission électorale de
district serait directement interjeté devant les juridictions plutôt qu’auprès
de la CEC [4]. Cette disposition succède à la disposition précédente
(article 77.28 du Code électoral) qui a provoqué une extrême confusion
juridictionnelle au cours des élections présidentielles. Toutefois, le
gouvernement a rapidement opéré un revirement et indiqué que l’alinéa contenait
une phrase erronée et qu’il avait par conséquent été retiré à la demande d’organisations
non gouvernementales [5].
Les demandes/recours déposés après les élections législatives ont
donc eu davantage de résultats favorables qu’au cours des élections
présidentielles. Selon l’équipe spéciale interinstitutions sur les élections
géorgiennes, dans l’ensemble, les résultats de 41 circonscriptions ont été
annulés : 27 CES annulés par les CED au cours des élections
proportionnelles et majoritaires, et deux autres au cours des élections
majoritaires uniquement. Les CED ont également pris un certain nombre de
mesures disciplinaires à l’encontre des contrevenants. Portés en appel, les
tribunaux se sont prononcés en faveur du requérant dans le cadre de
11 affaires, engendrant 12 autres annulations. Les tribunaux ont
également ordonné un recomptage dans une CES et demandé à deux CED de revoir
leur décision antérieure. Les tribunaux ont examiné 42 des 48 affaires « sur
le fond », plutôt que de les rejeter pour raisons techniques (mais bien
sûr, cela ne signifie pas nécessairement que les éléments de preuve ont été
entièrement pris en compte).
[1] OSCE/BIDDH, The
Former Yugoslav Republic of Macedonia, Early Parliamentary Elections, 1 June
2008, OSCE/ODIHR Limited Election Observation Mission Report (Varsovie,
20 août 2008), p. 15
[2] Voir OSCE/ODIHR Election Observation Mission
Final Report, Former Yugoslav Republic of Macedonia, Early Parliamentary
Elections, 1er juin 2008, p. 15
[3] D. Finn, expert de l’OSCE, « demandes et
recours »; ébauche de chapitre (25 septembre 2008, 10 p.) pour
le projet de livre du Conseil de l’Europe (bureau de Tbilissi) et la mission de
l’OSCE en Géorgie, Georgia,
Presidential and Parliamentary Elections 2008: Lessons Learned, dont
la publication a été annulée en raison de la fermeture inattendue de la mission
de l’OSCE à Tbilissi en janvier 2009.
[4] Gouvernement de Géorgie, équipe spéciale interinstitutions
sur les élections, volume 1 mis à jour, 26 mars 2008
[5] Ibid., équipe
spéciale interinstitutions sur les élections, volume 2 mis à jour,
14 avril 2008