Les contrôleurs du financement politique (CFP) doivent gérer une quantité grandissante de renseignements financiers reçus des participants à une élection, mais aussi, souvent, répondre à de nouvelles exigences législatives de divulgation publique de cette information. Le tout présente un défi important, que rendent encore plus ardu les exigences de la population et des médias, actifs et informés. Le CFP qui veut être vu comme crédible doit réussir à gérer et à divulguer l’information efficacement, comme l’exigent la législation et la réglementation.
Lorsque l’information sur le financement politique est accessible facilement aux partis politiques, aux organisations de la société civile, aux médias, aux politiciens réformistes, aux chercheurs et, au bout du compte, aux électeurs, il en résulte une surveillance publique accrue, qui motive à son tour une autosurveillance accrue. Dans Buckley v. Valeo, une décision majeure rendue en 1976, la Cour suprême des États-Unis a déterminé ce qui suit :
Grâce à la divulgation de l’information, l’électorat peut savoir d’où viennent et comment sont dépensés les fonds de campagne du candidat, ce qui facilite l’évaluation de celui-ci. En effet, les électeurs peuvent ainsi situer chaque candidat dans le paysage politique, souvent avec plus d’exactitude que s’il se fiait seulement à l’appartenance politique et aux discours électoraux. L’électeur qui connaît la source des fonds du candidat est également plus à même de savoir quels intérêts celui-ci sera porté à servir, et ainsi de prédire son travail comme élu [1] .
Dans le domaine du financement politique, l’accès à l’information implique la divulgation complète de l’information sur le financement politique et sa mise à la disposition du grand public aux fins d’examen et d’analyse. L’accès à l’information est essentiel à la transparence fondamentale de la réglementation du financement politique. Comme on l’énonce dans une étude inédite sur les projets « Money and Politics » de l’IFES :
La transparence du financement politique, qui passe par la divulgation et l’accessibilité de l’information politique, peut aider à faire la lumière sur les problèmes de corruption et d’illégalité, à amenuiser leurs conséquences, et à récompenser les participants qui respectent la loi. La divulgation des comptes de campagne est une condition nécessaire – bien qu’insuffisante – à la responsabilisation des acteurs politiques et à la réduction de la corruption politique [2] .
Les deux étapes de la transparence : le cadre juridique et la divulgation
La première étape de l’établissement d’un système de financement politique transparent consiste à mettre en place un cadre juridique qui exige la production des rapports financiers réguliers et exhaustifs par les partis politiques, les candidats et les autres participants à une élection. La création du cadre est complexe, car il faut clairement déterminer quels participants sont tenus de produire des rapports, et quels doivent en être les destinataires, le calendrier, le contenu et la forme. Cette première étape doit également prévoir des mesures d’exécution et des exigences de vérification.
La deuxième étape est appelée communément la « divulgation », c’est-à-dire la publication dans la population de l’information financière reçue par les autorités électorales. Elle peut prendre plusieurs formes, et les autorités électorales peuvent se limiter à publier des déclarations générales sur la conformité avec les obligations de reddition de comptes, ou des résumés de données. Le véritable accès à l’information nécessite toutefois une divulgation publique complète et suffisante pour informer le grand public et faciliter l’exécution des règles et des obligations sur le financement politique.
La législation et la réglementation électorales doivent préciser les divers aspects de la pleine divulgation publique de l’information sur le financement politique :
Qui est responsable de la divulgation? Une même autorité – habituellement le contrôleur du financement politique – devrait recueillir et diffuser les données, et elle devrait être habilitée à vérifier les chiffres et à exécuter la loi [3] .
Qui doit fournir ces rapports? Les participants aux élections soumis aux obligations de déclaration du financement politique, au nombre desquels doivent figurer les élus, les candidats, les partis politiques et les organisations politiques [4] .
Quel doit être le contenu de ces rapports? Toute l’information financière pertinente doit y être déclarée, dont, par exemple, les contributions monétaire et non monétaires (en nature), les recettes et les dépenses de campagne, les recettes et les dépenses courantes des groupes politiques, et un état de l’actif et du passif [5] .
Quand les rapports doivent-ils être produits? La divulgation devrait être régulière, détaillée, compréhensible et opportune [6] , sans quoi la surveillance publique sera considérablement moins efficace. Le mieux serait que la divulgation publique ait lieu avant le jour d’élection afin que les électeurs, forts de ces connaissances sur les activités financières des candidats et des partis, puissent les prendre en ligne de compte au moment de voter. En effet, après les élections, les renseignements divulgués ont beaucoup moins d’impact politiquement, et ils sont moins à même de forcer les participants à respecter les règles en matière de financement politique.
Les CFP utilisent divers mécanismes pour recueillir et conserver l’information sur le financement politique; par exemple, celle-ci peut être recueillie sous forme imprimée ou électronique, et versée dans des dossiers ou dans une base de données. Au moyen de consultations avec les entités réglementées, il faut mettre au point des règles que ces dernières seront capables de respecter, et des formulaires qu’elles pourront remplir facilement et efficacement. Une fois les règles et les formulaires prêts, une période de formation et d’éducation doit suivre, pour expliquer les obligations à respecter.
Méthodes de divulgation
Parmi les méthodes de divulgation de l’information sur le financement politique, le recours aux médias imprimés est celle qui est peut-être la plus fréquemment utilisée par les CFP. Habituellement, ces derniers publient les renseignements dans un journal ou une gazette d’État à tirage limité; les renseignements ainsi publiés appartiennent au domaine public, mais leur accessibilité est limitée. Parfois, seul un résumé des renseignements déclarés est publié.
Les nouvelles technologies permettent la diffusion sur les sites Internet gouvernementaux de résumés ou de versions numérisées des rapports financiers. Les rapports numérisés sont diffusés plus largement que les versions papier, mais on ne peut y faire de recherches de renseignements. Malgré tout, cette solution peut être la meilleure pour certains CFP, puisqu’elle coûte moins cher que l’entrée des données dans une base de données.
La méthode de divulgation passive la plus fréquente consiste simplement à mettre les rapports financiers à la disposition du grand public, au bureau du CFP ou d’une autre organisation gouvernementale. Le gros du fardeau incombe alors aux particuliers qui veulent consulter ces rapports, ainsi qu’à l’organisation responsable de leur garde. En effet, le plus souvent, ces documents doivent être consultés sur place sous stricte surveillance. Les organisations de la société civile et les journalistes qui souhaitent consulter l’information financière se plaignent donc de problèmes tels que le manque de temps de consultation et la mauvaise classification des fichiers.
Il reste que l’accès physique aux rapports financiers des partis, des candidats et des autres participants à une élection peut être une très bonne méthode de divulgation si certaines conditions sont respectées :
Un bureau de divulgation doit être établi pour soutenir l’examen public des rapports financiers. Il doit disposer du personnel et de l’équipement nécessaires pour recevoir, photocopier, organiser, classer et présenter au public les rapports, le tout dans des délais satisfaisants. Il faut également que ses locaux soient adaptés à la consultation des rapports, et qu’il y soit possible de faire des photocopies facilement et à un prix raisonnable.
L’accès à l’information doit être ouvert à tous les groupes et particuliers intéressés, dont les journalistes, les universitaires, les organisations de la société civile et les participants aux élections [7] .
Le recours aux lois sur l’accès à l’information est une autre façon – plus conflictuelle – de consulter l’information sur le financement politique. Cette méthode nécessite parfois la soumission d’une requête écrite. En Roumanie, par exemple, une organisation de la société civile, Asociatia Pro Democratia, a invoqué les lois du pays sur l’accès à l’information pour obtenir de l’information qu’elle a affichée sur Internet. Cependant, tant pour le demandeur que pour l’organisme de divulgation, les requêtes d’accès représentent un processus lourd, et il arrive que l’information soit fournie arbitrairement, selon sa nature ou la personne qui la demande [8] .
De nombreux pays, à divers ordres de gouvernement (Australie, Bolivie, Bosnie‑Herzégovine, États-Unis, Géorgie, Grande-Bretagne, Lituanie, Pérou, etc.), ont lancé des bases de données consultables sur Internet (ou au bureau du CFP ou d’une autre organisation gouvernementale). La diffusion des données sur le Web, sous forme consultable, présente plusieurs avantages sur la publication imprimée :
- Les données sont facilement accessibles à toute personne branchée sur Internet, et particulièrement aux groupes de la société civile et aux médias, qui utilisent pour la plupart Internet.
- Les organisations et les médias peuvent examiner et analyser les rapports, citer les données déclarées dans leurs reportages, et déposer des plaintes [9] , autant de facteurs qui favorisent la responsabilisation et encouragent les entités réglementées à fournir des rapports plus précis.
- Le fardeau du CFP est allégé, et les processus de détection des infractions et d’exécution de la loi sont facilités.
À mesure que les CFP et les entités réglementées se familiarisent avec les technologies de l’information, une pratique exemplaire se dessine. En Lituanie, le Comité électoral central remet aux partis politiques et aux candidats des formulaires de déclaration électroniques qui, une fois remplis, sont versés dans une base de données Oracle. Ces formulaires ne sont pas obligatoires, mais beaucoup de participants les utilisent parce qu’ils facilitent la comptabilité interne et éliminent des entrées de données superflues. Cette base de données est accessible aux autorités fiscales responsables de l’examen des comptes des participants aux élections, et le grand public peut la consulter sur Internet.
Protections
La divulgation politique doit être transparente, détaillée et exhaustive, et se faire dans des délais raisonnables, mais il ne faut pas oublier que les rapports – surtout ceux des candidats – peuvent contenir de l’information personnelle ou de nature très délicate. Cette information peut être utilisée à des fins inappropriées ou même, dans certains environnements politiques, servir à harceler les partis de l’opposition ou leurs partisans [10] .
Compte tenu de ces risques, les lois sur le financement politique doivent prévoir des protections contre la mauvaise utilisation de certaines catégories définies de renseignements et l’abus des mesures d’exécution envers les opposants au parti au pouvoir [11] .
NOTES
[1] Buckley v. Valeo, 424 U.S. 1 (1976), p. 67.
[2] Carlson, Jeffrey et Marcin Walecki. Money and Politics Guide: Applying Lessons Learned from Emerging Democracies (inédit).
[3] Voir Money in Politics Handbook: A Guide to Increasing Transparency in Emerging Democracies, Washington, D.C., US Agency for International Development, 2003,
p. 21–26.
[4] Money and Politics Guide.
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Dahl, Robert. Money and Politics in Indonesia, Washington, D.C., IFES, 2003, « IFES Project Report », vol. 4.
[8] Elena, Sandra, Procop Buruiana et Violaine Autheman. Global Best Practices: Income and Assets Disclosure Requirements for Judges, Washington D.C., IFES, 2004, p. 16, coll. « IFES Rule of Law White Paper Series ».
[9] Money and Politics Guide.
[10] Money in Politics Handbook, p. 25.
[11] Global Best Practices: Income and Assets Disclosure Requirements for Judges, p. 19.