L’intégrité électorale s’appuie sur un système juridique et institutionnel qui encourage et protège des élections justes et équitables ainsi que l’application de mesures spécifiques visant à protéger l’intégrité en fonction des normes et bonnes pratiques relatives aux élections démocratiques. Les mesures adéquates doivent être adaptées au contexte social et politique de chaque pays, mais les objectifs fondamentaux sont identiques et découlent de la nécessité de garantir des élections honnêtes et crédibles. Parmi les principes directeurs susceptibles de contribuer à l’organisation d’élections menées avec intégrité, on peut citer :
- le respect des principes de la démocratie électorale ;
- un comportement éthique ;
- le professionnalisme et la rigueur ;
- des mesures de protection institutionnelles ;
- la surveillance et l’application de la loi ;
- la transparence et la redevabilité.
Le respect des principes de la démocratie électorale
Selon les principes de la démocratie électorale, tous les citoyens jouissent de mêmes droits de participer en tant qu’électeur et que candidat ; ils doivent tous jouir des mêmes droits de vote ; le secret du vote doit être assuré ; les électeurs doivent avoir véritablement accès aux informations relatives aux élections et à la campagne électorale ; l’administration des élections doit être organisée de manière équitable et impartiale ; les élections doivent être organisées régulièrement ; enfin, les résultats des scrutins doivent dépendre des suffrages librement exprimés par les citoyens.
Pour qu’une élection soit jugée honnête et crédible, il ne suffit pas que l’administration électorale se déroule de manière relativement ordonnée et professionnelle. La tenue d’une élection libre dépend aussi des libertés d’expression, de réunion, d’association et de circulation, mais aussi de l’absence de toute crainte. La régularité de l’élection suppose en outre un processus électoral transparent, des lois, règlements et systèmes électoraux équitables, l’égalité des chances de tous les participants, l’existence d’une commission électorale indépendante et impartiale, l’absence d’intimidation, des procédures en bonne et due forme, une compilation exacte et l’acceptation des résultats de l’élection [1].
En réalité, on sous-estime généralement à quel point les principes de la démocratie électorale se fondent sur le droit international (essentiellement le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et ses interprétations officielles) et sur les normes connexes de mise en œuvre. Pour consolider les liens existants entre les normes électorales et le droit international, la Fondation Carter a créé une ressource en ligne de suivi des principes de la démocratie électorale baptisée « Database of Obligations for Democratic Elections » (base de données des obligations en vue d’élections démocratiques) [2].
Un comportement éthique
L’intégrité d’une élection dépend du comportement éthique des administrateurs électoraux, des responsables électoraux, des candidats, des partis et de tous les participants au processus. Cela suppose que tous les participants se conduisent de manière à favoriser un processus libre et équitable et à décourager toute attitude qui remettrait en cause l’intégrité des opérations. Pour y parvenir, ils doivent s’acquitter de leurs obligations avec professionnalisme, transparence et impartialité. Ainsi, les agents publics (y compris les administrateurs électoraux) ne doivent pas utiliser leurs fonctions à des fins personnelles ou dans l’intérêt de leur parti. De même, les candidats et les partis ne doivent pas utiliser les dons de campagne à mauvais escient. Enfin, les participants et les intérêts extérieurs ne doivent pas se servir de leur argent ou d’autres moyens de persuasion pour influencer indûment un administrateur électoral ou un agent public. En revanche, ils sont tenus de divulguer les fonds versés et les dépenses engagées, conformément à la loi.
Un comportement éthique se définit également par le respect des droits et activités politiques d’autrui ; par l’acceptation − tant par les citoyens que par les administrateurs électoraux − du droit de chacun à débattre librement de questions politiques et à défendre des opinions politiques différentes ; et par l’acceptation du fait que nul n’a le droit d’interférer avec les actions menées par les partis politiques pour diffuser leur message ou avec les activités politiques d’autres citoyens.
De nombreuses lois électorales prévoient des codes de conduite qui définissent le comportement attendu des différents participants à une élection, c’est-à-dire les candidats et les partis politiques, le personnel et les responsables électoraux, les autres agents publics ainsi que les médias dans certains cas. Certains systèmes abordent également d’autres problèmes, tels que l’achat de voix ou la corruption électorale, en imposant des restrictions particulières aux activités concernées (comme la remise d’argent ou la fourniture d’autres avantages aux électeurs d’une circonscription ou à leur communauté), plus spécialement en période électorale [3].
Le professionnalisme et la rigueur
On estime souvent que les problèmes d’intégrité découlent de pratiques malhonnêtes ou frauduleuses, mais ils peuvent aussi résulter d’une erreur humaine ou d’une erreur de bonne foi. Il est indispensable que l’administration des élections soit professionnelle et rigoureuse. Une négligence ou des inexactitudes dans le décompte des voix peuvent soulever des questions d’intégrité et compromettre la validité des résultats. Les mesures visant à limiter les abus de pouvoir et à assurer la redevabilité peuvent également permettre de repérer les erreurs.
Si les tentatives délibérées de détourner le processus électoral ou de manipuler les résultats du scrutin constituent une infraction pénale, les problèmes provoqués par des erreurs ou des inexactitudes entraînent habituellement, quant à eux, des sanctions disciplinaires ou civiles. Les imprécisions, erreurs ou ambiguïtés du cadre juridique et institutionnel, de même que celles figurant dans la description des mécanismes régissant sa mise en œuvre ou son exécution, peuvent involontairement causer de nombreux problèmes, voire encourager les pratiques déloyales ou frauduleuses. Par exemple, le personnel et les responsables électoraux n’osent parfois pas appliquer avec vigueur les principes d’identification des électeurs ou enquêter sur d’autres irrégularités dans les scrutins ou dans l’inscription des électeurs en raison de l’existence de dispositions légales engageant leur propre responsabilité en cas d’atteintes au droit de vote. (Le cas s’est produit, notamment, dans les ex-Républiques yougoslaves.)
Les mesures de protection institutionnelles
Des mesures de protection institutionnelles fondées sur un système d’équilibre des pouvoirs sont parfois utilisées pour protéger l’intégrité des élections. Le principe consiste à partager le pouvoir de mener les différentes opérations électorales entre plusieurs organismes afin de créer des contrepoids dans l’administration électorale. Des dispositions légales peuvent par exemple distinguer l’administration et l’application d’une loi afin de limiter les conflits de compétence. Elles peuvent également dissocier les pouvoirs des autorités judiciaires et des tribunaux qui rendent des jugements. Les pouvoirs associés à la surveillance peuvent être délégués à une inspection générale ou à un tribunal (parfois à une cour électorale spéciale).
En cas de division des pouvoirs électoraux entre plusieurs organismes, il est important de développer une coordination efficace entre les organismes concernés afin qu’ils puissent œuvrer de concert sans que leurs activités se chevauchent ou se contredisent. De même, il est important de veiller à ce que l’opinion publique, la classe politique et les partis soient informés des rôles et responsabilités de chaque organisme pour éviter toute confusion ou tout malentendu.
En Nouvelle-Zélande, par exemple, la responsabilité de tâches électorales précises est répartie entre diverses institutions. Le Directeur général des élections, fonctionnaire du ministère de la Justice, est chargé d’organiser les élections. Le Centre d’inscription électorale (qui dépend de la poste néo-zélandaise) gère l’inscription des électeurs et la maintenance des listes électorales. La Commission électorale est une institution indépendante qui a pour mandat d’enregistrer les partis politiques et leurs logos, d’informer le grand public des questions électorales, d’allouer des fonds publics pour la diffusion des campagnes à l’antenne et de recevoir les rapports sur le financement des campagnes électorales. La police est chargée d’enquêter sur les violations de la loi électorale et de poursuivre les contrevenants. La Commission de représentation est un organisme public indépendant responsable du découpage de la carte électorale. Un comité parlementaire supervise l’administration des élections et peut recommander des modifications de la législation électorale [4].
Dans les pays en transition ou dans lesquels il n’existe pas de fonction publique fiable, un moyen de limiter l’influence des institutions existantes consiste à mettre en place une commission électorale indépendante dotée de pouvoirs étendus, à l’instar de la Commission électorale australienne. Par exemple, beaucoup de pays du Commonwealth ont abandonné le modèle britannique d’administration directe des élections par des agents de la fonction publique au profit de la création de commissions électorales aux compétences exécutives variables.
Le système électoral mexicain, marqué par une série de réformes entre 1990 et 1996, est un bon exemple de réforme électorale efficace instaurant la séparation des pouvoirs et un système d’équilibre entre ces pouvoirs. L’administration des élections ne relève plus de la compétence du ministère de l’Intérieur. Elle a été transférée à un organisme de gestion électorale permanent, impartial et autonome, l’Institut fédéral électoral (IFE). En outre, un tribunal judiciaire spécial a été créé pour trancher les litiges électoraux. (Les réformes comportaient également d’autres éléments [5].)
La surveillance et l’application de la loi
Pour obliger les administrateurs et les participants à rendre des comptes, les cadres juridiques et institutionnels prévoient la surveillance et l’application des lois électorales. La surveillance constante des opérations par le biais de mécanismes internes et externes permet de repérer les problèmes du système et d’identifier les groupes ou les individus responsables.
Il est indispensable d’appliquer des mesures juridiques et réglementaires pour contrôler les actes servant des intérêts personnels ou particuliers. Les activités répressives ont un pouvoir dissuasif sur les individus qui envisagent des actions illicites ou contraires à l’éthique. Elles permettent également de sanctionner ceux qui ont transgressé la loi. Sans cela, le sentiment d’impunité et l’absence de répression peuvent favoriser un climat de corruption et des performances médiocres. L’application constante des lois est une priorité importante pour éradiquer toute corruption du processus électoral, poursuivre les responsables en justice et entretenir la confiance dans le système.
La transparence et la redevabilité
Les pays adoptent également des règles de transparence afin de protéger l’intégrité électorale. Grâce à la transparence, les structures institutionnelles et les mesures ou décisions qu’elles prennent sont largement accessibles et mieux comprises. Il est difficile de maintenir ou de justifier publiquement un système qui autorise les abus et la corruption. Avec une législation appropriée, les administrateurs et responsables électoraux peuvent être appelés à rendre compte des décisions qu’ils prennent en matière d’administration électorale ; les législateurs endossent la responsabilité du contenu des lois qu’ils adoptent et du montant des fonds alloués aux élections ; quant aux candidats et aux partis politiques, ils rendent compte de leur conduite et de celle de leurs partisans pendant la campagne électorale.
En général, la confiance des participants à une élection augmente s’ils ont accès à des informations détaillées sur les procédures et s’ils peuvent comprendre le fonctionnement du processus électoral. La transparence, au même titre que l’examen public qui s’ensuit, fournit habituellement aux administrateurs et responsables électoraux une motivation supplémentaire d’agir dans le respect des règles et de se tenir prêts à rendre compte de leurs actes.
Des consultations régulières des organismes d’élaboration de politiques et de gestion électorale ainsi que des participants aux élections permettent d’instaurer une administration électorale transparente et d’inspirer davantage confiance à ces derniers. Ces consultations régulières sont d’autant plus utiles dans les pays en transition, où l’élaboration des procédures n’est pas encore terminée et où les candidats peuvent s’inquiéter de la capacité de l’institution électorale et d’autres organismes à mener des élections libres et équitables.
La transparence permet également de comprendre les opérations, les difficultés rencontrées et les raisons pour lesquelles les administrateurs et responsables électoraux prennent leurs décisions. De ce fait, une transparence accrue renforce la crédibilité du processus et la légitimité des résultats. Si le processus électoral est libre, équitable, exact, transparent et dûment contrôlé, et si les lois et règlements sont appliqués comme il se doit, il devient plus difficile pour les participants et les électeurs de refuser les résultats d’un scrutin ou la légitimité des nouveaux élus.
[1] Pour de plus amples renseignements d’ordre général sur des élections libres, équitables et démocratiques, voir Elklit, Jorgen et Palle Svensson, « What Makes Elections Free and Fair? », Journal of Democracy, vol. 8 (3), 1997 ; Beetham, David, « Freedom as the Foundation », Journal of Democracy, vol. 15 (4), 2004, p. 61-67 ; Union interparlementaire, Déclaration sur les critères pour des élections libres et régulières, 1994 ; Commission européenne pour la démocratie par le Droit (Commission de Venise), Code de bonne conduite en matière électorale : lignes directrices et rapport explicatif, 2002.
[2] La base de données peut être consultée en ligne (en anglais) à l’adresse : www.cartercenter.org/des-search/des/Default.aspx
[3] En Arménie, par exemple, plusieurs tentatives visant à influencer les électeurs au moyen d’avantages offerts par les candidats ou leurs partisans aux électeurs eux-mêmes ou à leur communauté lors des campagnes électorales ont été signalées. Ces fraudes ont été observées notamment au cours d’élections parlementaires menées avec scrutin majoritaire parallèle au niveau des circonscriptions. Le Code électoral s’est efforcé de remédier à ces abus en abaissant le niveau de la preuve (portant sur le critère d’intention des actes, les relations entre les auteurs de la tentative et les candidats et même les tentatives visant à influencer indirectement les électeurs par le biais de cadeaux à leur communauté). L’application de ces mesures s’est malheureusement révélée problématique, car les électeurs hésitent à témoigner à ce sujet devant les autorités, de peur d’être poursuivis pour corruption. Dans tous les cas, il a été difficile de prouver que l’influence exercée sur eux avait été suffisante pour affecter leur choix. Voir OSCE/BIDDH, Final Report, Republic of Armenia Parliamentary Elections, 12 May 2007, Election Observation Mission Report, (Varsovie, 10 septembre 2007), p. 12-13. Voir également, plus loin dans ce chapitre, l’étude de cas consacrée à l’achat de voix.
[4] Voir, à titre général, Commission électorale néo-zélandaise, Everything You Need to Know About Voting Under MMP, Wellington, GP Publications, 1996.
[5] Schedler, Andreas, Distrust Breeds Bureaucracy: The Formal Regulation of Electoral Governance in Mexico, Mexico, FLACSO, 1999