Supervision officielle
Certains pays (comme l’Allemagne,
l’Autriche, la Croatie et la Roumanie)
attribuent un rôle important de supervision du processus électoral à leur cour
constitutionnelle respective ; certaines d’entre elles ont même une
compétence d’appel pour les recours électoraux. Le rôle de la cour
constitutionnelle pendant les élections dans ces pays semble refléter le grand
respect accordé à ces juridictions en tant qu’institution devenue, suite aux
antécédents de conflits internes et externes des pays, un important garant de
la gouvernance constitutionnelle.
Dans certains pays, on considère qu’il peut y avoir conflit d’intérêts
lorsque l’organisme superviseur des élections a également compétence pour
entendre les recours électoraux ; en effet, la cour serait alors amenée à
examiner le processus même qu’elle est censée avoir supervisé. En Croatie,
cette problématique a été partiellement résolue sur le plan procédural par la
création de voies différentes pour envoyer les questions liées aux élections
devant la Cour constitutionnelle (CC).
En Croatie, les demandes
concernant l’administration électorale sont déposées auprès de la Commission
électorale d’État, dont les décisions subséquentes peuvent être contestées
uniquement devant la CC. Conformément à la loi régissant la CC, cependant, elle
peut également exercer son pouvoir de « supervision » des élections
ou concernant les « litiges » électoraux. (L’exercice du pouvoir de
supervision est décidé par l’ensemble des juges de la Cour ; les litiges
sont généralement instruits par des collèges spéciaux composés de trois juges.)
Cette distinction entre supervision des élections et litiges électoraux a été
créée par le droit constitutionnel et est comprise dans le règlement de la
CC.
Avant les élections, la Cour a instruit six affaires, rejetant
tous les appels. Elles comprenaient cinq « litiges », dont :
deux appels pour non-enregistrement de listes de candidats ; une affaire,
présentée comme un « litige », pour laquelle il a fallu statuer sur
la constitutionnalité de la récente loi électorale ; un litige concernant
le montant du remboursement de frais de campagne pour un membre du Parlement
ayant quitté son parti pour se présenter sur une liste indépendante ; et
un litige déposé par des partis de l’opposition pour contester l’emplacement
des bureaux de vote dans une région. Une autre affaire, visant la
« supervision », portait sur le refus du comité d’éthique de
reconnaître qu’un parti politique aurait dû avoir la possibilité de faire
diffuser l’une de ses publicités (voir ci-dessous).
La séparation de la compétence de la CC en matière électorale est
très technique, et a rendu l’issue des affaires relativement imprévisible. Lors
des élections législatives de 2007, plusieurs affaires importantes portées
devant la CC ont été jugées en s’appuyant sur des motifs purement
juridictionnels. La situation est devenue d’autant plus complexe que deux
organismes différents, la CC et une « Commission d’éthique »,
jouaient un rôle pour déterminer si la loi avait ou non été enfreinte.
Mise en place uniquement pour la campagne électorale, la
Commission d’éthique est créée (en tant qu’instance
« supra-partisane ») en vertu de la loi électorale ; elle est
constituée d’experts indépendants et de représentants de partis. Elle
fonctionne de manière très informelle conformément à des procédures simples,
qui ne comprennent pas de mécanismes de protection, tels que la publication de
son ordre du jour ou la notification de ses délibérations à toutes les
personnes concernées.
Le rôle de la Commission d’éthique est d’examiner la
« publicité électorale » et les comportements connexes des
participants selon un Code d’éthique électorale géré par la Commission. Son
principal recours pour les questions portées à son attention est de publier une
brève annonce concernant sa position quant à leur aspect éthique. Au cours des
années précédentes, la Commission d’éthique avait tourné au ralenti, et avant
les élections législatives de 2007, la CC a émis un avis concernant sa
formation tardive (en raison de la non-désignation de membres par les partis
politiques). Mais pendant les élections, un certain nombre de problématiques
importantes ont été présentées à la Commission et examinées.
Au cours de ces élections, une distinction est apparue entre les
questions relatives à la campagne qui portaient atteinte aux relations
juridiques, aux droits électoraux, ou simplement aux intérêts politiques :
concernant les relations juridiques, la Commission électorale d’État a statué
dans deux affaires concernant deux chaînes de télévision n’ayant pas honoré
leurs obligations contractuelles de diffuser les messages publicitaires payés
par les partis politiques dans les périodes convenues et ayant donc violé la
loi [1]. Dans de nombreuses autres affaires, sans rapport avec les
relations juridiques ou les droits des participants à une élection, la
Commission d’éthique a publié des décisions à titre consultatif.
Un problème de compétence est par ailleurs apparu dans une affaire
concernant les droits électoraux. Un parti de droite, dont la diffusion du
message publicitaire n’avait été acceptée ni par le radiodiffuseur public ni
par une chaîne de télévision privée, a porté l’affaire devant la Commission d’éthique,
qui a refusé de considérer les agissements de ces médias comme contraires à l’éthique [2]. Lors de l’appel devant la Cour
constitutionnelle [3], les juges auraient été divisés sur la question de savoir
si la Cour devait simplement examiner la mesure prise par la Commission d’éthique,
ou exercer leur pleine compétence (de supervision) [4].
En ne prenant en compte que l’examen de la mesure prise par la
Commission d’éthique, le choix de la Cour semble supposer que la Commission
dispose de pouvoirs plus larges qu’un simple pouvoir consultatif. (Peut-être
aurait-il été plus approprié que la Cour examine entièrement, de novo, et dans l’exercice de son rôle
de supervision, une question qui portait atteinte au droit d’un parti d’avoir
ses messages publicitaires électoraux diffusés.) La CC et les juges ont alors
manifesté un profond désaccord sur un point de décision : traiter la
question comme un « litige » (examen de la décision de la Commission)
au lieu d’une demande de supervision de l’ensemble de la question. (La question
a d’abord été portée devant certains membres de la Cour, mais a par la suite
été examinée par l’ensemble des juges.) Cela impliquait que la Commission
disposait de pouvoirs plus larges qu’un simple pouvoir consultatif, mais n’a
laissé aucun recours au plaignant contre sa décision [5].
En Autriche, le Comité
fédéral des communications
(Bundeskommunikationssenat ou BKS), une entité autonome au sein du
ministère de la Justice, surveille la conduite de la presse et supervise les
questions relatives aux médias, y compris durant les élections. Le BKS est
composé de cinq membres, dont trois doivent être des juges, qui sont
indépendants dans leurs activités officielles ; le Comité a le statut d’« autorité collective dotée des mêmes pouvoirs
qu’un tribunal » [6]. La seule solution qu’il peut imposer
à l’égard des activités des médias pendant les élections est d’émettre une
décision que les radiodiffuseurs sont tenus de publier [7].
Décisions post-électorales
Dans de nombreux pays, la Cour constitutionnelle ou une autre
juridiction supérieure (tels que la Cour suprême) jouent également un rôle
direct dans le règlement des litiges électoraux, parfois en appel de décisions
d’autres juridictions. Les tribunaux, quels qu’ils soient, ont deux rôles
fondamentaux dans l’examen de litiges électoraux : au cours du processus
électoral, concernant une mauvaise conduite officielle présumée ou de
violations des règles de campagne à titre privé ; et/ou à la fin du
processus électoral, pour statuer sur l’équité globale d’une élection.
Dans les pays qui viennent d’être mentionnés, où les affaires
électorales sont entendues par une juridiction supérieure (en particulier une
cour constitutionnelle), cette dernière est souvent le principal lieu, voire le
seul, pour la résolution des litiges électoraux; résolution qui intervient
uniquement à la fin du processus électoral. C’est notamment le cas en
Allemagne, en Autriche et en Roumanie, par exemple. Dans ces pays, la Cour
constitutionnelle a une excellente réputation auprès du public, qui la
considère comme un important garant de leurs droits civils et politiques. Le
public est donc confiant que les affaires électorales seront résolues
équitablement même si les élections ont déjà eu lieu au moment de l’examen des
recours.
En ce qui concerne les dernières élections législatives en
Allemagne et les dernières élections présidentielles en Autriche, les
observateurs internationaux ont suggéré qu’un dernier recours judiciaire à la
fin du processus électoral était contraire aux normes internationales et aux
meilleures pratiques [8]. Dans une note de bas de page, les observateurs ont indiqué
diverses mesures juridiques non contraignantes pour étayer cette
conclusion [9]. (Ils reconnaissaient néanmoins que des lois et règlements
pertinents continuaient d’être appliqués pendant la période électorale, malgré
l’absence de recours spécifiquement électoraux.) [10]
En cas de report des appels à la fin du processus électoral, les
juges sont peu disposés à prendre des mesures défavorables, car cela pourrait
renverser tout ou partie des résultats, après la tenue d’un événement juridique
et politique aussi important. Cela dit, outre les pays que nous venons de voir,
un grand nombre d’autres pays diffèrent également l’examen des recours
électoraux en soi jusqu’à la fin du processus électoral.
C’est également le cas dans les administrations électorales, y
compris de nombreux pays du Commonwealth, qui ont adopté la même approche que
le Royaume-Uni figurant dans la Representation of the People Act (Loi
britannique sur la représentation du peuple). Selon cette approche, une
élection ne peut être contestée qu’au moyen d’une demande d’invalidation
présentée après l’annonce des résultats. Il faut également cependant préciser -
comme en témoignent certaines des autres études de cas - que dans les pays où
il est possible de faire appel aux tribunaux pendant le processus électoral,
les procédures peuvent s’avérer insuffisantes et les recours disponibles pas
toujours efficaces.
[1] Lettre de la commission électorale d’État concernant la
demande des sociaux-démocrates déposée contre NOVA TV,
21 novembre 2007 ; Lettre de la commission électorale d’État
concernant la demande du Parti de la jeunesse croate contre Youth TV, 22 novembre 2007
[2] Annonce de la Commission d’éthique concernant la demande du
HSP contre Youth TV, 10 novembre 2007. Il peut être intéressant de
noter qu’une autre affaire instruite par la Commission d’éthique au cours de la
même élection concernait le refus du radiodiffuseur d’État de diffuser une
annonce publicitaire excessive d’un parti ultranationaliste relative à la
prétendue absence de soutien d’autres partis au Général Ante Gotovina, un héros
de la guerre d’indépendance croate. Ce général a par la suite été reconnu
coupable de crimes de guerre par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie,
puis son acquittement en appel a conduit à sa libération en novembre 2012.
[3] Décision no U-VII/4189/2007
(20 novembre 2007)
[4] Vecernji List, 22 novembre 2007
[5] Voir OSCE/BIDDH, Republic
of Croatia, Parliamentary elections, 25 November 2007, Limited Election Observation Mission Final
Report, (Varsovie, 30 avril 2008), p. 18-20.
[6] Loi KommAustria, article 12
[7] OSCE/BIDDH, Republic
of Austria, Presidential Election, 25 April 2010, ODIHR Election Assessment
Mission Report (Varsovie, 9 juillet 2010), p. 14-15
[8] Ibid., p. 17 :
« Le système actuel, jouissant de la confiance générale, n’est pas
compatible avec les engagements de l’OSCE, en particulier le
paragraphe 5.10 du Document de Copenhague de 1990 qui prévoit que
« tout individu disposera d’un recours effectif contre les décisions
administratives de façon à garantir le respect des droits fondamentaux et à
assurer la sécurité juridique ». Le paragraphe 13.9 du Document de
clôture de la réunion de Vienne de 1989 (CSCE) réaffirme le « droit d’être
entendu[es] équitablement et publiquement, dans un délai raisonnable, par un
tribunal indépendant et impartial. » Le Document de Moscou de 1991 dispose
que « les États participants veilleront à prévoir un recours
juridictionnel contre de tels règlements et décisions [administratifs]. »
[9] Ibid. : « Outre les engagements de l’OSCE, les
engagements internationaux et meilleures pratiques incluent : l’Observation
générale no 31, paragraphe 15, qui exige que les États
« veillent à ce que toute personne dispose de recours accessibles et
utiles pour faire valoir [ses] droits » et souligne « l’obligation
[...] de faire procéder de manière rapide, approfondie et efficace, par des
organes indépendants et impartiaux, à des enquêtes sur les allégations de
violation. » Le paragraphe 95 du Code de bonne conduite en matière
électorale de la Commission de Venise souligne qu’il est important que les
recours liés à des questions préélectorales soient résolus rapidement avant le
jour de l’élection.
[10] Ibid.