Le cadre juridique pose les fondations sur lesquelles sont bâties les institutions de l’État. En matière d’intégrité électorale, il est généralement défini par plusieurs lois liées entre elles et complétées par des règlements. Un bref aperçu des différentes démarches adoptées pour la conception et l’élaboration du cadre juridique des élections, et notamment des dispositions relatives à l’intégrité électorale, est donné dans la présentation générale consacrée à l’égalité et à l’impartialité.
Le cadre juridique est aussi l’un des fondements de la protection de l’intégrité des élections. Les constitutions énoncent les libertés politiques requises pour mener des élections pluralistes. Les règlements garantissent la régularité des opérations, l’égalité des chances et la redevabilité de tous les participants. Les codes de conduite permettent d’éviter les comportements contraires à l’éthique.
Dans la plupart des cas, le système électoral trouve son fondement dans la Constitution, c’est-à-dire la loi suprême d’un pays. (Le « système électoral » au sens large désigne pour l’essentiel la manière dont les citoyens peuvent viser une fonction d’élu et les modalités d’attribution de cette fonction à l’issue d’un scrutin.) Si la Constitution elle-même contient une description complète (par exemple, le nombre exact de mandats disponibles au parlement national), les caractéristiques précises sont souvent déterminées par voie législative, notamment par le biais d’une loi organique ou constitutionnelle. Dans de nombreux pays, par exemple, la Constitution prévoit une fourchette pour définir le nombre de sièges au Parlement (entre 50 et 70, par exemple, aux îles Salomon).
Dans certains pays, les bases de l’administration électorale proprement dite (telles que la nomination, la structure et les fonctions d’une commission électorale nationale) sont également définies par la Constitution. Cette base solide rehausse le rang perçu des administrateurs électoraux et permet de garantir leur indépendance et leur statut professionnel. Cela dit, la structure de l’administration électorale peut être définie tout aussi efficacement par d’autres lois.
De même qu’il existe deux grandes approches (professionnalisme et impartialité contre équilibre politique) en matière de constitution des commissions électorales nationales, plusieurs approches peuvent régir les nominations en vue de l’administration électorale. Dans certains systèmes, c’est le Parlement lui-même qui supervise les organismes électoraux et nomme leurs membres (même si ces fonctions peuvent être jugées contraires aux principes de la séparation des pouvoirs, puisque le pouvoir législatif exerce certaines fonctions du pouvoir exécutif). Dans d’autres systèmes, on applique le principe de l’équilibre des pouvoirs : un ou plusieurs organismes (y compris, le cas échéant, le Parlement et des associations non gouvernementales telles que les conseils judiciaires ou de la magistrature) proposent des nominations et le Parlement ou le chef de l’État les entérine, ou inversement.
Le fait d’introduire un équilibre des pouvoirs dans la procédure de nomination, ou plus généralement la notion que les nominations doivent être le fruit d’un consensus politique, contribue à renforcer la confiance dans un organisme de gestion électorale et sa crédibilité. Dans ce contexte, la nomination du président revêt une grande importance politique, en particulier s’il détient une voix prépondérante dans une commission. Ce point a constitué une pierre d’achoppement majeure dans les négociations entre partis politiques organisées par l’OSCE, le Représentant spécial de l’Union européenne et l’ambassade des États-Unis dans l’ex-République yougoslave de Macédoine avant les élections parlementaires de 2002. Il s’agissait des premières élections au Parlement depuis la guerre civile. (En fin de compte, il a été décidé que le président de la Commission électorale de l’État serait nommé par décision du président de la République, soumise à l’approbation du Parlement.)
Le cadre juridique des élections englobe également d’autres textes législatifs : les lois électorales, le code pénal et le code de l’organisation judiciaire, les lois de protection des droits civils, mais aussi les règlements et les codes de conduite ou d’éthique promulgués par les autorités électorales, habituellement en concertation avec les organisations concernées (partis politiques, société civile, médias, fonction publique, etc.).
Le cadre juridique peut octroyer à certains organismes des pouvoirs relatifs à certaines fonctions particulières. Il peut toutefois restreindre ces pouvoirs en les partageant entre différentes institutions soumises au principe de l’équilibre des pouvoirs, aussi appelé système de freins et contrepoids. Ainsi, il est possible de séparer l’administration électorale de l’exécution des lois ; ou bien d’accorder à un organisme électoral le pouvoir d’administrer les élections, et à un autre celui de découper la carte électorale ou de gérer les fonds publics destinés aux partis politiques. Un « frein » peut être instauré en déléguant à une organisation de supervision ou à un bureau (l’inspection générale, par exemple) la responsabilité de surveiller l’administration des élections, de cerner les éventuels problèmes et de recommander des solutions. Dans plusieurs pays, comme en Allemagne, en Autriche, en Croatie ou en Roumanie, la Cour constitutionnelle exerce des fonctions de supervision et d’appel en ce qui concerne le processus électoral.
L’exécution des lois est indispensable pour protéger l’intégrité électorale. Le cadre juridique doit instaurer des mécanismes permettant d’exécuter les normes électorales, d’assurer la redevabilité des autorités électorales et des autres participants tout au long du processus et aussi de prévenir tout comportement irrégulier ou illégal. La compétence répressive est habituellement confiée au système judiciaire, à la police et aux tribunaux, mais des sanctions administratives et civiles peuvent également être prévues pour les cas moins graves.
Dans les démocraties récentes, les règles relatives à l’organisation d’élections libres et équitables peuvent ne pas être encore tout à fait fixées. Dans ce cas, il peut être important d’inclure les principes fondamentaux de l’administration électorale dans le cadre juridique. Une fois le cadre juridique de base établi, il est possible de continuer à développer le cadre institutionnel et administratif des élections. Dans les pays en transition d’un régime autoritaire à un système démocratique, « la difficulté consiste à négocier des règles électorales qui pourront être acceptées et respectées par toutes les parties » [1].
Une réforme du cadre juridique menée à d’autres fins peut également permettre de renforcer l’intégrité du processus électoral. C’est notamment le cas du Mexique, où une réforme de la loi a opéré des changements démocratiques. Un nouveau cadre institutionnel a vu le jour, caractérisé notamment par un Tribunal électoral fédéral, ainsi que par de nouveaux modes de participation des citoyens. Les nouvelles institutions ont ensuite instauré des procédures et des modes opératoires qui ont renforcé les nouvelles dispositions relatives à l’intégrité électorale [2].
Dans la plupart des pays, le cadre juridique des élections repose désormais sur une association complexe de lois, de règlements, de décisions judiciaires et de pratique. Certaines lois électorales peuvent être nouvelles et actualisées, tandis que d’autres n’ont pas changé, mais sont encore en vigueur. Dans un but d’intégrité, il est important de revoir régulièrement l’ensemble du cadre juridique et de déterminer s’il est nécessaire d’y apporter des modifications. En particulier, il est essentiel de combler les lacunes, les chevauchements et les incompatibilités des différentes dispositions du cadre juridique. Qu’ils créent un nouveau système ou qu’ils révisent celui qui est en place, les administrateurs électoraux et les décideurs politiques devront examiner attentivement l’ensemble des lois, règlements et procédures qui contribuent à protéger l’intégrité électorale.
Les administrateurs électoraux doivent être à même de comprendre comment s’agencent les différents éléments juridiques et administratifs, de manière à fournir un cadre juridique cohérent permettant d’encourager et de protéger l’intégrité électorale. Par exemple : le code pénal couvre-t-il la fraude électorale, qui est de nature pénale ? Dans un système fédéral, les autorités nationales ou étatiques ont-elles compétence en matière de conduite des élections ? Une violation pourrait-elle échapper à la détection et aux sanctions en raison d’un vide juridique ou d’une faille dans le cadre administratif ?
[1] Pastor, Robert A., « Mediating Elections », Journal of Democracy, vol. 9(1), 1998, p. 160.
[2] Schedler, Andreas, Distrust Breeds Bureaucracy: The Formal Regulation of Electoral Governance in Mexico, Mexico, FLACSO, 1999.