Les lois qui régissent le financement des campagnes électorales,
des candidats et partis politiques visent généralement à atteindre tout ou
partie des objectifs politiques suivants :
- décourager la
corruption, l’influence indue des personnes financièrement privilégiées
et/ou d’intérêts particuliers, l’utilisation abusive des ressources de l’État,
l’achat de votes, et d’autres formes de fraude électorale ;
- garantir l’équité et
l’égalité des ressources financières disponibles pour les candidats et les
partis (c.-à-d. des
« règles du jeu équitables ») ;
- promouvoir une
concurrence loyale entre partis et entre candidats ;
- restreindre les
dépenses globales associées aux campagnes électorales et aux activités
politiques ;
- encourager la
transparence et l’accès du public aux informations relatives au
financement de campagne en établissant des exigences concernant les
rapports financiers, afin que les électeurs disposent des informations
importantes et que les normes relatives au financement de campagne soient
effectivement appliquées.
Ces objectifs politiques visent un objet plus vaste :
encourager le respect du processus électoral et des institutions politiques, et
renforcer la confiance du public.
La réglementation du financement politique est généralement
justifiée par la nécessité de décourager la corruption. Une société peut
considérer que le processus politique est vulnérable à l’influence
inappropriée, excessive ou secrète de l’argent ou d’autres ressources. En
conséquence, elle peut interdire certaines sources de financement politique
(p. ex. donateurs étrangers) et limiter les contributions provenant de
sources légales, c’est-à-dire le montant que les donateurs ont le droit de
verser à un parti politique ou à un candidat.
Il est également possible qu’une société s’inquiète de l’éventuelle
prédominance de quelques donateurs importants ou intérêts particuliers ou de
leur influence excessive sur des partis politiques, candidats, autres
participants à l’élection et titulaires d’une fonction publique ; par
exemple concernant le fait que ceux qui exercent cette influence soient en
mesure de dénaturer les politiques publiques, de détourner des fonds publics,
de menacer l’intégrité des élections et de porter atteinte à la démocratie.
Même en l’absence de corruption manifeste ou apparente, il est
possible qu’une société juge excessives les sommes d’argent considérables
versées pour les activités politiques et campagnes électorales et que les
partis, candidats et autres participants à l’élection consacrent trop de temps
à la collecte de fonds. Aux États-Unis,
où les hommes et femmes politiques disposent de sommes d’argent colossales
pendant les élections, la réglementation du financement politique a été limitée
par des restrictions liées à la liberté d’expression (« Premier
Amendement ») ainsi que par des désaccords au niveau des institutions de
réglementation (la Federal Election Commission, composée à parts égales de membres
des deux principaux partis politiques).
En outre, conformément à décision de la Cour suprême des
États-Unis dans l’affaire Buckley v.
Valeo [1], les contributions au financement
politique ont en réalité été considérées comme une forme de libre expression
politique, non seulement pour les individus et la société civile, mais
également pour les intérêts commerciaux. Cette approche a été considérablement
renforcée au cours de l’affaire plus récente Citizens United v. Federal Election Commission [2]. Mais, sur le plan procédural, il a
été noté que les opinions des juges dans ladite affaire permettent d’améliorer
la redevabilité du financement politique, y compris par la publication de l’identité
et de l’ampleur des contributions des donateurs, notamment des entités
commerciales.
Par conséquent, chaque démocratie doit prendre d’importantes
décisions concernant la réglementation du financement politique, et en
particulier sur la restriction des sources de financement et les modalités de
dépenses autorisées aux partis politiques et candidats. Pour ce faire, les pays
peuvent s’appuyer sur différents modèles. Ils doivent choisir ce qui correspond
à leur culture et à leur situation politiques, adopter des politiques qui
peuvent être mises en œuvre efficacement par leurs administrations et
organismes chargés de l’application de la loi, et reconnaître que le fait de
restreindre la liberté d’expression et d’alourdir la réglementation pour les
participants à l’élection, quoique fait en toute bonne foi, peut affaiblir l’intense
compétition sur le marché politique des idées.
Mise en place d’un cadre juridique
Le processus pour l’adoption de lois sur le financement politique
est l’un des principaux éléments de l’intégrité électorale, et l’un des
premiers devant être traités. Idéalement, ces lois sont rédigées et adoptées
par un corps législatif légitimement élu. Le pouvoir exécutif peut contribuer
au processus législatif et, souvent, donne son approbation finale. L’ensemble
du processus se déroule publiquement par le biais des médias d’information, et
toute organisation de la société civile informée peut y participer. Cet idéal
est plus susceptible de se concrétiser dans des démocraties bien établies que
dans des pays qui sortent d’un régime autoritaire ou d’un conflit.
Par exemple, en Russie,
un décret présidentiel de 1993 a établi le cadre législatif des élections
parlementaires de l’ère postsoviétique, y compris les règles concernant le
financement de campagne. Au Mozambique
en 1993 et 1994, une assemblée nationale dirigée par le parti au pouvoir
(FRELIMO) a adopté des dispositions électorales concernant les subventions
publiques destinées aux partis politiques ; cette loi faisait suite à d’importantes
négociations post-conflictuelles avec les principales forces politiques
concurrentes (une ramification des anciens rebelles du RENAMO) et d’autres
partis. Ces négociations se sont poursuivies jusqu’à l’élection. En Indonésie en 1999, après la chute du
président Suharto, à la tête du pays depuis 32 ans, les membres de l’assemblée
législative indonésienne, choisis lors d’une élection contrôlée par le régime
de Suharto, ont adopté une loi électorale.
Dans chacun de ces exemples, le processus d’adoption du cadre
législatif relatif au financement de campagne est contestable. Des éléments
politiques concurrentiels nouvellement formés ayant pu exercer une influence
importante, les lois électorales ont pourtant été largement acceptées, et des
élections ont ainsi pu être organisées avec succès. Les lois adoptées dans de
telles circonstances comportent généralement uniquement des dispositions
rudimentaires quant au financement de campagne, mais elles peuvent constituer
un point de départ pour étudier les principales préoccupations politiques du
pays. Lors d’élections ultérieures, les pays cités ci-dessus ont apporté des
ajouts et des précisions au cadre législatif de réglementation du financement
politique (malgré des résultats mitigés en termes d’efficacité et d’application).
Même les démocraties bien établies doivent réviser régulièrement leurs lois sur
le financement politique par un processus législatif équitable et transparent.
Organisme de régulation du financement
politique
Après la mise en place d’un processus légitime permettant de
mettre au point un cadre législatif pour les élections, il est essentiel de
conférer une compétence juridique à un organisme ayant pour mission de mettre
en œuvre et d’appliquer les lois sur le financement politique. Cet organisme de
régulation du financement politique peut être chargé de :
- rédiger et mettre en
œuvre des règlements qui précisent et définissent les objectifs
stratégiques des lois sur le financement politique ;
- gérer les politiques
concernant les subventions publiques aux participants à l’élection et les
obligations de déclaration en matière de financement politique ;
- appliquer les
restrictions légales en matière de financement et les obligations de
déclaration à l’aide de processus administratifs ou quasi judiciaires.
Ces responsabilités sont généralement confiées à l’autorité
responsable des élections générales (p. ex., une commission électorale
nationale), mais d’autres organes permanents ou organismes publics spéciaux
peuvent assumer une partie ou la totalité d’entre elles. Pour les organismes de
régulation du financement politique comme pour les organismes de gestion
électorale de manière générale, l’indépendance, l’impartialité et la capacité
institutionnelle sont de mise. L’équité et la transparence sont tout aussi
essentielles pour la nomination des membres de ces organismes que pour celle
des administrateurs électoraux.
[1] 424 U.S. 1 (1976)
[2] 558 U.S. 310 (2010)