Il n’est pas aisé d’enquêter sur la corruption électorale. Les affaires peuvent se révéler hautement politisées et impliquer des personnalités politiques
connues ; et l’enquête peut parfois être dangereuse. L’accès aux témoins et aux suspects peut être difficile ; certains documents peuvent disparaître ; ou
encore l’enquête peut viser un haut fonctionnaire ou une autre personnalité puissante.
Les difficultés varient selon le contexte social et politique de chaque pays, mais comprennent généralement une ingérence politique, des menaces liées à la
sécurité physique ou une absence d’infrastructures légales et judiciaires.
Ingérence politique
Les enquêtes sur la fraude électorale peuvent impliquer des individus très puissants qui cherchent à se protéger par l’ingérence politique. Cette ingérence
peut prendre la forme de menaces visant les enquêteurs ou le ministère public afin de les dissuader de poursuivre leurs enquêtes. Ces menaces comprennent,
par exemple, la mutation des enquêteurs ou personnes chargées des poursuites à un autre poste, le refus d’un avancement professionnel voire le
licenciement, le transfert de l’enquête à une autre instance, la réduction des ressources gouvernementales fournies à l’instance qui mène l’enquête ou
engage les poursuites, et l’exercice de pressions sur d’autres agences pour qu’elles refusent de coopérer avec l’enquêteur ou la personne chargée des
poursuites.
Une bonne surveillance de l’application de la loi et un processus d’application transparent peuvent aider à réduire le risque d’ingérence politique.
Absence d’infrastructures légales et judiciaires
Certains pays en voie de transition ne possèdent pas nécessairement les infrastructures légales et judiciaires nécessaires pour mener une enquête sur la
corruption politique. Il peut exister des vides juridiques qui empêchent par conséquent les enquêteurs et personnes chargées des poursuites de prouver
qu’une loi a été violée, même s’il est évident qu’il y a eu transgression. Il est possible qu’ils ne disposent pas des moyens nécessaires pour mener une
enquête adéquate, faute de personnel, de ressources ou d’expérience institutionnelle. Le système pénal peut s’avérer dans l’impossibilité de maintenir le
suspect en détention jusqu’au procès ou le système judiciaire incapable d’assurer un procès rapide et impartial.
Par exemple, lors d’ élections au Cambodge en 1998, la Commission électorale nationale n’est pas parvenue à lutter contre la violence et les
infractions à la loi électorale. La Commission n’ayant aucun pouvoir en matière d’application de la loi, les affaires ont été renvoyées devant les
autorités gouvernementales, mais aucune n’a fait l’objet de poursuites. Ce n’est pas surprenant, compte tenu de la faiblesse du système judiciaire, qui
avait auparavant démontré son incapacité à traiter efficacement des affaires de droits de l’homme [1].
Bâtir un système judiciaire national efficace et l’infrastructure nécessaire est un processus de longue haleine. Les autorités électorales peuvent
commencer par veiller à ce que leurs élections et les lois électorales créent des bases solides pour des élections libres, justes et concurrentielles. En
particulier, les lois doivent comporter des dispositions adéquates pour l’application de la loi. Dans certains pays en voie de transition, où il n’existe
aucun antécédent d’indépendance du système judiciaire, une commission électorale avec de vastes pouvoirs, tels que ceux qui seraient généralement exercés
par des institutions judiciaires, peut être la seule façon de pallier les lacunes du système.
La culture de l’impunité
Les pays en voie de transition ou qui sortent de conflits violents peuvent connaître une certaine culture de l’impunité. C’est notamment le cas lorsque le
système d’application de la loi est faible ou ne fonctionne pas, lorsque ceux qui n’ont ni pouvoir ni influence sont arrêtés et inculpés alors que les
riches, les puissants et ceux ayant de bonnes relations sont libérés, ainsi que lorsque les fonctionnaires jouissent d’une importante immunité juridique.
Une culture de l’impunité engendre la corruption et les pratiques contraires à l’éthique. L’absence de moyens pour faire appliquer les lois affaiblit
l’intégrité du système et la primauté du droit. Briser ce cycle est extrêmement difficile ; une vive détermination de la part de la société civile et une
volonté politique forte sont nécessaires.
Sécurité personnelle
Dans une culture d’impunité et en l’absence de système judiciaire solide, les enquêteurs honnêtes qui travaillent sur la corruption et les activités
frauduleuses peuvent faire l’objet d’intimidation, subir des représailles voire être victimes de violences. La protection des enquêteurs exige non
seulement l’appui de la société civile, mais également l’attention de la communauté internationale [2]. Certains dispositifs de sécurité, comme les
missions d’observateurs internationaux pour les droits de l’homme soutenues par l’ONU, peuvent offrir un appui temporaire, mais le vrai changement doit
venir de l’intérieur.
[1]
Neou, Kassie et Jeffrey C. Gallup, « Conducting Cambodia’s Elections », Journal of Democracy, vol. 10 (2), 1999, p. 152
[2]
Voir, p. ex., Assemblée générale des Nations Unies, « Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de
promouvoir et de protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus », Résolution 53/144 de l’Assemblée générale des
Nations Unies (8 mars 1999), Document n° A/RES/53/144 ; cette résolution a officiellement adopté la Déclaration susmentionnée, communément appelée «
Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme »