L'importance que les électeurs attachent aux différents organes d'information dans une démocratie semble suggérer qu'ils sont tous aussi importants les uns que les autres. Mais cet énoncé ne s'avère pas nécessairement vrai. Même dans une démocratie saturée par les médias comme la Grande-Bretagne, entre le quart et le tiers de la population changent de chaîne lorsqu'une émission à caractère politique commence. Il existait auparavant une entente à l'effet que toutes les chaînes diffuseraient simultanément les émissions politiques pour éviter de perdre leur auditoire.
Un sondage publié en 1968 démontrait que les émissions de campagne des partis politiques représentaient la source principale d'information pour les électeurs indécis. Depuis 1987, et peut-être à cause de ce sondage, la diffusion simultanée de ces émissions a cessé et la cote d'écoute a baissé. Un autre sondage en 1990 a démontré que les émissions publicitaires des partis sont considérées par les électeurs comme étant la source la moins crédible d'information politique, exception faite du journal The Sun.37
Avant l'arrivée des médias électroniques modernes, la transmission des messages à caractère politique se faisait par deux seuls moyens disponibles, soit la presse écrite et les rencontres personnelles. Même si à cette époque, le nombre de lecteurs des journaux était plus élevé qu'aujourd'hui, il excluait quand même une large part de la population, soit les personnes illettrées et celles qui ne pouvaient pas se payer les journaux. Pour cette raison, les rencontres personnelles étaient très importantes, y compris les rassemblements politiques que tenaient les candidats et les débats publics auxquels participaient tous les candidats. Les candidats et leurs supporteurs avaient aussi largement recours à la sollicitation porte à porte et à la distribution de prospectus et d'affiches imprimées par les candidats ou les partis politiques.
Dans les pays industrialisés qui jouissent d'une variété de médias électroniques, les méthodes précitées sont de moins en moins utilisées, alors que dans d'autres pays les rassemblements politiques et les rencontres personnelles par les candidats sont demeurés fréquents. Dans les régions rurales de l'Afrique par exemple, la radio est habituellement le seul moyen de communication de masse. Toutefois, les chaînes de radio qui diffusent dans ces régions sont généralement sous le contrôle de l'État et n'accordent que très peu de temps d'antenne aux partis de l'opposition. Les difficultés de transmission de l'information sont souvent encore plus élémentaires parce que les appareils radio nécessitent des piles qui sont coûteuses et qui ne sont pas de première importance pour la population pauvre. Les contacts personnels demeurent donc toujours importants.
Même dans des conditions d'extrême pauvreté, les médias ont un rôle à jouer dans la communication de l'information. Mêmes si les communautés rurales n'ont pas accès à des médias indépendants, l'information circulé par les journaux privés par exemple finira par atteindre éventuellement les électeurs. Bien que la publicité de bouche à oreille puisse représenter la source la plus directe d'information politique, les médias continueront de jouer un rôle important dans la circulation d'une grande partie de l'information politique.
Dans les régions rurales de l'Afrique, tout comme dans toutes les régions où les communications sont difficiles, la radiodiffusion de l'information est devenue très développée et s'est raffiné durant les circonstances difficiles de colonialisme ou de dictature militaire ou unipartite. Les auditeurs se sont habitués à interpréter les messages diffusés par les médias publics et à retransmettre leurs propres versions.
Ce raffinement provient des traditions culturelles de communication contournée de renseignements et d'opinions sensibles. Comme exemple, citons les peuples Ngoni de la République centre africaine et leurs traditions de kukulawika selon laquelle les femmes émettent des chants au moyen desquels ils transmettent des messages explicites à caractère sexuel sans toutefois contenir d'obscénités. Les Tonga utilisent eux aussi un médium semblable. Durant l'occupation coloniale britannique, le personnel africain de la Central African Broadcasting Corporation à Lusaka transmettait une sorte de kukulawika contenant des messages nationalistes cachés. Ces moyens voilés de transmettre des messages politiques ont été populaires durant les gouvernements unipartites subséquents.38
Les messages politiques transmis par des moyens informels de communication sont souvent décrits, à tort ou à travers, comme étant des rumeurs. Les africains francophones ont donné à ces moyens le nom de radio trottoir. Quelle que soit son appellation, il y a peu de doute que des millions de personnes à travers le monde forment leurs opinions politiques à partir de leurs propres expériences et de leurs échanges avec des personnes fiables. Une bonne partie de cette information peut provenir des médias, bien qu'il soit difficile d'évaluer jusqu'à quel point. La mesure dans laquelle les médias peuvent influencer le vote des électeurs demeure énigmatique.
Lors d'un référendum et d'une élection au Zimbabwe en 2000, la majorité des électeurs ont ignoré les conseils donnés par les principaux médias. L'État exerçait le monopole et le contrôle total des réseaux de radiodiffusion. Lors du référendum sur la réforme constitutionnelle et ensuite lors des élections législatives, les partis d'opposition n'ont eu que très peu d'accès à la radio et à la télévision et les éditorialistes des deux médias étaient fortement en faveur du parti au pouvoir. Lors des deux événements électoraux, les électeurs ont toutefois voté en faveur de l'opposition.
Il se peut que l'information critique publiée par les journaux privés ait été d'une certaine influence. En fin de compte, la manière de voter de nombreux électeurs semble avoir été influencée par des facteurs différents. Un groupe indépendant d'observateurs des médias a même suggéré que des émissions de dernière minute en faveur du gouvernement peut avoir influencé les électeurs marginaux à voter pour l'opposition lors du référendum. La qualité de l'étude de l'auditoire ne permet malheureusement pas de tirer des conclusions définitives.39
Une étude de groupes cibles menée en Ukraine laisse planer le même doute sur les médias qui n'ont pas été perçus comme étant libres et à qui les citoyens n'ont pas accordé leur confiance. Les groupes consultés maintiennent que les médias n'ont d'abord pas présenté suffisamment de reportages analytiques, et qu'ils ne visaient pas assez à éclairer la population sur les questions politiques de l'heure et à préparer les électeurs à voter. Ils ont de plus maintenu que "les efforts des médias de masse pour jeter suffisamment de lumière sur les développements politiques et économiques en temps opportun ne sont pas efficaces (voir Provenance de l'information reçue par la population - Ukraine).40
Même dans les pays démocratiques industrialisés où les médias prennent une place importante dans la publication de l'information politique, l'opinion à savoir si les médias ont une influence importante n'est pas concluante. En Grande-Bretagne par exemple, pendant plusieurs années The Sun, le journal le plus affluent a appuyé le Parti conservateur et pourtant la majorité de ses lecteurs, de la classe ouvrière, a voté pour le Parti travailliste. Il se peut évidemment que le journal ait influencé ses lecteurs marginaux et en nombre possiblement important à changer leur choix de parti. En 1997, The Sun a changé d'allégeance en appuyant le Parti travailliste et s'est attribué le mérite de son élection, bien que les sondages de l'opinion publique et la forte majorité accordée au Parti travailliste indiquent que d'autres facteurs beaucoup plus importants ont influencé les résultats. En réalité, le journal a probablement eu une plus forte influence sur le parti que sur les électeurs parce que les dirigeants du parti désiraient fortement jouir de bonnes relations avec le propriétaire du journal Robert Murdoch. C'est là une illustration du nouvel ordre mondial selon lequel les entreprises médiatiques sont devenues de puissantes corporations multinationales.
En général, le cas de la Grande-Bretagne illustre bien jusqu'à quel point les médias peuvent avoir une influence sur la politique. La grande majorité des médias appuient le Parti conservateur. S'il est vrai que les médias ont une si forte influence sur les électeurs, il n'y aurait jamais eu de gouvernement travailliste. Il est donc évident que ce n'est pas le cas. Mais l'influence indirecte des médias est plus difficile à évaluer. À vrai dire, ils exercent plutôt une influence sur les politiciens en faisant valoir les questions qui sont importantes pour la droite, comme l'ordre public une politique restrictif d'immigration. Un gouvernement travailliste pourrait de ce fait adopter des politiques plus conservatrices parce qu'il se rend compte que les médias engagent les électeurs dans ce sens.