Pour les milieux concernés par la liberté des médias, il n'y a pas de question plus épineuse que celle des propos haineux. Ce terme est généralement utilisé pour parler de haine nationale, raciale, religieuse ou autre. La question est de déterminer dans quelle mesure il est justifiable de restreindre la liberté d'expression lorsque les opinions exprimées visent à limiter ou à enfreindre les droits d'autres personnes ou d'autres groupes.
Un des problèmes reliés à cette question est que les propos exprimés ne sont souvent que des points de vue. Ce qui est perçu comme des propos haineux pour certains peut, pour d'autres, représenter un point de vue légitime. C'est toujours avec une certaine réticence que des restrictions peuvent être imposées sur les propos qui peuvent être exprimés.
Le dilemme s'intensifie d'avantage en période électorale, et ce pour deux raisons.
- C'est précisément lors d'une élection que des opinions politiques doivent s'exprimer. Imposer des restrictions sur l'expression de ces opinions peut limiter non seulement les droits de libre expression mais également les droits démocratiques.
- D'autre part, à cause de l'atmosphère émotive qui règne lors d'une campagne électorale, des propos inflammatoires peuvent avoir pour effet d'inciter des personnes à la violence, affectant par le fait même la liberté d'expression et les droits démocratiques de la personne.
Ces questions prennent d'autant plus d'importance dans les pays où des conflits règnent entre des communautés ou des groupes ethniques et où les médias sont soupçonnés d'attiser ces conflits. C'est pourquoi la question des propos diffamatoires a occupé une place si importante lors de l'élection en Bosnie en 1998 où les médias avaient joué un rôle considérable dans le soulèvement des conflits qui ont conduit à la ruine de la Yougoslavie.
Le problème de la diffamation ressemble à celui des propos haineux en ce que la liberté d'expression peut légitimement être atteinte pour protéger les droits de la personne. La diffamation ne représente cependant pas les mêmes problèmes communautaires en campagne électorale. Les débats vigoureux, parfois même blessants, font partie d'une campagne démocratique. La jurisprudence internationale a clairement démontré que les politiciens et spécialement les élus doivent avoir une carapace solide et qu'ils peuvent faire l'objet de moins de protection (plutôt que plus) que le citoyen ordinaire (Critiquer les politiciens et le gouvernement). Dans le contexte de notre étude, la ressemblance qui fait surface entre la diffamation et les propos haineux amène la constatation suivante : qui, entre les médias et la personne, a proféré les paroles injustifiées, doit être tenu responsable.
Droit international et jurisprudence
Ni le droit international ni l'expérience des divers tribunaux nationaux n'offre de solution définitive sur la façon délicate de protéger en même temps la liberté d'expression et les droits de la personne. Précisément à cause de la nécessité de protéger les deux, il faudra tenir compte dans chaque cas des circonstances nationales et locales aussi bien que du contexte distinct.
Les traités internationaux offrent des dénominateurs communs pour identifier les cas flagrants d'incitation à la haine ou à la discrimination. Dans les cas les plus sérieux, comme celui de la Radio-Télévision Libre des Collines au Rwanda, une chaîne de radio qui prônait le génocide, des journalistes ont été trouvés coupables de crimes envers l'humanité par un tribunal international. (voir Propos haineux - Rwanda)
La réaction générale dans la recherche du juste milieu de ce dilemme a été jusqu'à maintenant d'encourager l'expression de déclarations contraires aux propos haineux plutôt que d'interdire l'expression de points de vue controversés ou odieux. L'expérience démontre que les lois qui interdisent les propos haineux sont appliquées de façon abusive plutôt que de servir aux fins pour lesquelles elles ont été sanctionnées. Le régime qui a sanctionné le plus grand nombre de lois interdisant les propos haineux à caractère ethnique a été l'apartheid de l'Afrique du Sud. Invariablement, ses victimes ont été les gens de couleur.
Dans la plupart des pays qui se sont penchés sur cette question, la tendance a été d'interdire les propos haineux seulement lorsqu'ils incitent à la violence. Ce phénomène lui-même est difficile à définir, mais il maintient le principe que, durant une élection, personne ne doit être pénalisé pour avoir fait valoir un point de vue sauf si ce point de vue affecte de manière négative les droits de la personne. (voir Droit international et jurisprudence sur les propos haineux)
Responsabilité des médias
Dans le contexte des propos haineux et du rôle des médias en temps d'élection, deux questions distinctes surgissent :
- la diffusion par les médias de propos haineux émis par les politiciens; et
- les propos haineux émis par les médias eux-mêmes.
Dans le premier cas, les tribunaux internationaux sont unanimes à innocenter les médias de toute responsabilité pour avoir transmis les déclarations des politiciens durant la campagne électorale (voir Limiter la responsabilité). Un journaliste ou un organe médiatique est donc protégé contre une poursuite civile ou criminelle pour avoir publié les propos haineux d'un politicien. Mais cela ne permet pas au journaliste d'abdiquer sa responsabilité professionnelle, qui consiste à tempérer ces propos par des faits ou par des propos compensatoires.
Réglementation possible
Lorsque les médias eux-mêmes émettent directement des propos haineux, surtout s'ils incitent à la haine, ils ne peuvent définitivement pas s'attendre à être innocentés. Dans ces cas, l'organisme de réglementation se voit obligé de surveiller étroitement les reportages des médias, ce qui est en réalité problématique autant pour des raisons pratiques que d'éthique. Comment peut-il, par exemple, faire la distinction entre un reportage irresponsable ou de calibre inférieur de propos violents et le fait d'appuyer ouvertement ces propos? (voir Propos haineux - Intervention de l'organisme de réglementation )
Comme en toute autre circonstance, la distinction entre le contenu éditorial ou non éditorial d'un texte revêt de l'importance. Le contenu non éditorial de publicité électorale transmise par un parti politique ne peut évidemment pas être attribué aux médias. L'organisme de réglementation devra décider dans quelle mesure il juge bon de contrôler le contenu de la publicité partisane. (voir Réglementer le contenu du matériel des programmes d'accès direct)
Droit de réplique
Accorder un droit de réplique (voir Droit de réplique à la critique et aux fausses déclarations ) aux personnes visées par des propos haineux n'est pas la solution préférée des journalistes ni des défenseurs de la libre expression. Ces derniers maintiennent que dans un environnement de libre expression médiatique, les discussions se règleront d'elles-mêmes avec le temps. Malheureusement, à l'intérieur des échéanciers serrés d'une période électorale, il existe peu de chance que cette solution se réalise. La plupart des processus de réglementation ont des dispositions leur permettant d'établir l'équilibre nécessaire ou de corriger la situation, ne fusse que temporairement. Ce type de processus, accompagné du droit de réplique aux énoncés erronés ou différents des faits, peut souvent s'avérer la solution la plus efficace pour atténuer l'effet des propos haineux sans être obligé de les interdire complètement.