Au cours des deux élections multipartites qui se sont tenues durant les années 1990 au Malawi, plusieurs projets d'observation systématique des médias par des ONG ont été amorcés. Ces projets ont été entrepris à cause de la forte partisannerie démontrée par la Malawi Broadcasting Corporation (MBC) lors du référendum de juin 1993 tenu pour décider si le pays devait tenir des élections multipartites. Bien que le résultat du référendum était en faveur d'élections multipartites, certains craignaient que les médias publics continuent à démontrer leur préférence, ce qui pourrait affecter le résultat des élections prévues pour l'année suivante.
La MBC était le seul radiodiffuseur au pays, mais son absence de neutralité ne se basait que sur certaines anecdotes, personne n'ayant analysé de façon systématique ses présumés reportages partisans. De plus, aucune des équipes d'observateurs des Nations Unies n'avaient une idée du contenu des reportages qui avaient été diffusés en Chichewa, la langue nationale.
ARTICLE 19, le Centre africain pour la liberté d'expression, ayant son siège à Londres, avait fait la promotion de la libre expression au Malawi depuis plusieurs années (voir http://www.article19.org). La législation du pays en matière de censure était plutôt complexe et était demeurée en grande partie intacte même à l'approche des élections de 1994. Le monopartisme autoritaire du gouvernement était loin d'encourager les groupes d'action civique, de là l'absence d'ONG ou d'organismes communautaires de protection de la liberté d'expression et des droits de la personne.
ARTICLE 19 décida d'entreprendre un projet d'observation des médias et recruta, pour occuper un poste cadre, Edge Kanyongolo, un activiste malawite connu et ex-prisonnier politique qui a éventuellement été un des fondateurs d'un nouveau mouvement des droits de la personnes, le Civil Liberties Committee. On entretenait l'espoir que l'expérience que lui apporterait le projet pour lequel il avait été recruté serait profitable au nouveau comité.
Kanyongolo était professeur de droit à l'université du Malawi à Zomba et les observateurs faisant partie du projet ont tous été recrutés parmi ses étudiants, l'opinion étant qu'ils étaient parmi les rares Malawites possédant l'expérience requise pour mener des recherches structurées. Le fait qu'ils provenaient tous de la même maison d'enseignement facilitait de plus l'organisation et la surveillance de leur travail. Les activités avaient lieu dans un laboratoire de langue du campus, la majorité des étudiants résidant sur place ou non loin, ce qui permettait d'assurer une observation constante des médias. Au départ, ARTICLE 19 fit appel, pour la formation de ses observateurs, au personnel du Media Monitoring Project in South Africa (voir http://www.sn.apc.org/mmp/).
Éventuellement, les responsables du projet ont réalisé que l'observation des médias en Afrique du Sud et au Malawi était tout à fait différente. En Afrique du Sud, les groupes de chaînes médiatiques étaient privées (certaines appartenant à des multinationales) et faisaient preuve de partisannerie, bien que de manière complexe et subtile, alors qu'au Malawi, les médias ne consistaient que d'un seul radiodiffuseur sous le contrôle du gouvernement, d'un quotidien et de quelques nouveaux journaux privés. Ces derniers cependant étaient de qualité inférieure, n'étaient publiés que sporadiquement et leur existence était de courte durée. La qualité de professionnalisme des reportages médiatiques et des journalistes malawites était également inférieure dans son ensemble. Ils ne se gênaient pas d'ailleurs pour afficher leurs préférences politiques.
Dès le départ, le projet d'observation des médias a préparé des rapports hebdomadaires qu'ils ont distribués à tous les intervenants, soit le gouvernement, la commission électorale, l'équipe d'observateurs de l'ONU, les partis politiques, les diplomates étrangers et les médias eux-mêmes. Ces derniers ont à leur tour commenté publiquement les rapports des observateurs des médias. Le radiodiffuseur public étant fortement en faveur du parti au pouvoir, il a réagi aux critiques des responsables du projet en les accusant d'appuyer l'opposition. Ces accusations n'ont pu être réfutées qu'en produisant la documentation supportant leurs observations, une tâche plutôt ardue.
L'observation des médias au Malawi a connu un certain succès à améliorer la qualité des reportages de la MBC, dû à deux principaux facteurs. Premièrement, plusieurs radiodiffuseurs étaient eux-mêmes sympathiques au nouveau courant de démocratisation du pays en dépit du fait qu'ils avaient auparavant supporté le monopartisme. Ayant à coeur de changer la manière de pratiquer leur profession, ils n'étaient que trop heureux de s'inspirer des rapports du groupe d'observation des médias. Deuxièmement, le facteur le plus important qui a inspiré des améliorations a été l'indépendance et la vigilance de la commission électorale qui, après avoir étudié avec soin les rapports du projet d'observation, a obligé la MBC à s'y conformer.
Cinq ans plus tard, le Malawi a tenu ses deuxièmes élections multipartites. Cependant, avant ces élections, les premières chaînes privées de radio se sont vues accorder des licences et le pays adopta la Loi sur les communications qui, soi-disant, garantissait l'indépendance de la MBC du gouvernement. Les ONG du Malawi étaient à peine plus puissant qu'en 1994 et ARTICLE 19, après avoir consulté les intervenants locaux, décida d'y retourner afin de réactiver le projet d'observation des médias mais, hélas, les rapports de ses observateurs furent à peu près semblables à ceux qu'ils avaient produits lors de la campagne électorale de 1994. La seule différence a été l'absence des progrès perceptibles d'égalité qu'avaient connu les reportages de la campagne précédente. Le nouveau gouvernement démocratique avait conservé un contrôle sévère des radiodiffuseurs, tout comme l'avait fait précédemment le gouvernement à parti unique.
Il n'y avait pas de nouveau courant démocratique lors de l'élection de 1999 comme il en avait existé en 1994 et, d'importance majeure, à peine quelques mois avant la nouvelle élection, le gouvernement avait remplacé la commission électorale par une autre composée de membres généralement perçus comme étant plus sympathiques envers le parti au pouvoir. Il va sans dire que la nouvelle commission n'a pas donné suite aux rapports des observateurs des médias comme l'avait fait son prédécesseur en 1994.
Il ne faut toutefois pas conclure que le travail des observateurs des médias en 1999 n'a pas porté fruit. Si leur travail de 1994 a été d'une certaine influence sur les réformes législatives qui ont suivi et qui ont abouti à un pluralisme plus perceptible, leur rapport de 1999 pourrait avoir pour effet de faire réaliser, dans la pratique, les intentions de la réforme législative. Ce rapport de 1999 a démontré, documentation à l'appui, que le gouvernement avait fait usage des ressources publiques pour publier des informations erronées sur les partis de l'opposition. Ces documents ont par la suite permis à l'opposition de contester devant les tribunaux les résultats de l'élection. Les retombées de ces événements ont causé des remous chez les électeurs et pourraient imposer certaines pressions au gouvernement, l'obligeant à doter les médias publics d'une plus grande indépendance. 120