Le principe des « freins et contrepoids » est, sous un certain angle, semblable à celui d'ouverture. Les freins et contrepoids ne sont pas une fin en soi. Ils sont un instrument pour assurer d'autres objectifs, tels que l'équité, la prévention de la corruption, etc.
Rappelons la parole célèbre de Lord Acton : « le pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu corrompt de manière absolue ». Le fait de contrôler l'administration du processus électoral confère un pouvoir tel qu'il est dangereux de le laisser incontrôlé. L'abus de pouvoir peut parfois être délibéré. Les gouvernements et les législateurs en exercice peuvent sciemment viser à infléchir les règles électorales à leur propre avantage. Les administrateurs électoraux responsables devant eux peuvent trouver qu'il est difficile de maintenir leur neutralité. De plus, même si ceux qui sont au pouvoir ne manipulent pas les règles intentionnellement, ils seront tentés de le faire inconsciemment. Comme nous l'avons montré dans Égalité des chances, il existe tant d'interprétations divergentes de ce qui constitue l'« équité » que les élus seront tentés d'avoir recours aux interprétations les plus favorables à leur intérêt partisan.
Un moyen de tenir en échec les tentations des gouvernements et des majorités législatives est d'investir de l'autorité sur l'administration électorale des fonctionnaires qui sont connus comme étant politiquement neutres. Une autre méthode consiste à s'assurer que la structure du pouvoir soit soumise à vérification et à critique. Les deux « contrepoids » principaux sont : les partis politiques et les candidats d'une part, les médias et la presse libre de l'autre.
Les partis politiques et les candidats à des fonctions publiques ont toutes les raisons du monde pour s'assurer que leurs rivaux jouent le jeu politique selon les règles. Par exemple, si un candidat ou une organisation locale de parti essaie de tricher quant à l'inclusion de noms au registre électoral (peut-être en persuadant leurs adeptes d'inclure les noms d'anciens électeurs qui ont déménagé ou sont décédés), le candidat ou le parti rival devrait examiner le registre électoral et s'opposer à la présence des noms qui ne devraient pas être inclus. Traditionnellement, le système britannique d'inscription électorale a largement compté sur les partis politiques pour le dépistage de pratiques déloyales.
De manière analogue, le jour de l'élection en Grande-Bretagne, chaque organisation de parti cherche à disposer d'un groupe de membres à l'extérieur de chaque bureau de vote. Une des fonctions de ces représentants (qui sont généralement des résidants locaux) est de vérifier s'il y a quelque indication de supposition de personne ou quelque autre manifestation de fraude électorale. La formation et le déploiement à cette fin de représentants par les partis rivaux sont particulièrement importants lorsque celles-ci se tiennent dans une démocratie nouvelle. Si l'on s'attend à ce que toute fraude ou pression indue sera décelée et dénoncée, on sera moins tenté de s'y livrer.
L'existence de partis politiques rivaux ne garantit cependant pas toujours qu'ils se surveilleront mutuellement. Parfois, les opposants sont de connivence pour enfreindre la loi. Il existe des preuves qu'en Grande-Bretagne, les candidats de tous les partis majeurs ont dépensé dans les élections partielles, du moins jusqu'aux années 1980, au-delà du plafond légalement admis, et ce, de manière si flagrante qu'il devait exister une conspiration du silence. Les accusations par un des candidats risquaient de déclencher des contre-accusations. Dans de telles situations, la tâche de dénoncer des pratiques illégales - c'est-à-dire de fournir des freins et des contrepoids - est abandonnée soit aux candidats de partis marginaux, soit, au besoin, à la presse.
Une presse libre est souvent le contrôle le plus puissant contre les pratiques électorales déloyales. C'est ainsi que les règlements relatifs à la divulgation des contributions politiques dépendent principalement pour leur efficacité de comptes rendus et de commentaires parus dans les journaux sur base d'informations révélées dans des documents et des dossiers officiels.