Les prochains fichiers examineront quelques-unes des questions techniques touchant la réglementation des activités des partis politiques et des candidats au cours des campagnes électorales. Des considérations étroitement techniques, même si elles sont vitales, ne sont pas suffisantes pour assurer qu'une élection se déroule conformément à des critères d'équité, de liberté de parole, et des autres principes directeurs exposés plus haut (voir Principes directeurs). Par exemple, même si le temps d'antenne public est alloué équitablement entre partis politiques et candidats, ceci peut constituer une petite île d'équité entourée d'une mer houleuse d'injustice. La raison en est que ces émissions ne sont qu'une infime partie de la production de la télé-radiodiffusion publique.
Le présent fichier commence, dès lors, par examiner le contexte d'ensemble - la mer - à l'intérieur duquel les élections ont lieu. Il examinera, en particulier, les avantages que les gouvernements peuvent acquérir, même s'ils se conforment à la lettre des règlements de la campagne électorale proprement dite.
Il examinera aussi le sens du terme « campagne électorale ». Les partis politiques maintiennent souvent des organisations permanentes au niveau national, régional et local. Est-il possible de distinguer, que ce soit à des fins juridiques ou à des desseins plus théoriques, entre activités et coûts de routine et de campagne?
Campagnes électorales : abus possibles des gouvernements
Les gouvernements se composent d'êtres humains, normalement des êtres humains ambitieux, anxieux de conserver le pouvoir. Les dirigeants de gouvernements feront vraisemblablement tout ce qu'ils pourront pour manipuler l'opinion publique. S'ils font face à des restrictions lors de la campagne électorale elle-même, ils tenteront d'obtenir chaque avantage possible dans les semaines et les mois qui précèdent cette campagne. S'ils ne sont pas retenus par une presse vigilante, par des protestations efficaces de la part des partis d'opposition, des groupes de pression ou par d'autres dirigeants sociaux et religieux, ils utiliseront leurs prérogatives gouvernementales pour faire ce qui équivaut à un appel déguisé - ou parfois à peine déguisé - à la faveur publique.
Beaucoup d'abus de la télé-radiodiffusion publique sont possibles, si les cadres qui gèrent les stations de télévision et de radio sont favorables au gouvernement. Le temps alloué aux partis pour des émissions électorales sera d'habitude relativement insignifiant comparé à l'ensemble de la production de diffusion. Comment les bulletins de nouvelles sont compilés et présentés est plus important. L'opinion publique peut aussi être influencée par les programmes de discussion, les spectacles, les feuilletons. Les programmes autres que les émissions d'intérêt public et même les feuilletons peuvent être conçus avec des intentions de propagande.
Le gouvernement peut abuser de son autorité en utilisant les services d'information du gouvernement pour présenter de la propagande partisane sous l'apparence d'information publique objective. Ou il peut faire usage de ses pouvoirs d'employeur pour financer sa campagne électorale à charge des deniers publics : les fonctionnaires peuvent être dégagés de leurs fonctions à condition de consacrer leur temps à la campagne électorale. Il y a de nombreuses autres manières dont les gouvernements peuvent utiliser leur pouvoir pour acquérir des avantages électoraux.
Dans les cas où il y a menace de violence et d'intimidation, les gouvernements ne manqueront pas de supprimer l'existence même de lois de campagne équitables et d'une administration électorale efficace.
Exemples de manipulation des ondes par le gouvernement
Le problème sous-jacent évoqué par les exemples ci-dessus s'applique à de nombreux pays :
- Malaisie, 1982 - Les bulletins de nouvelles à la télévision étaient pleins de ministres inaugurant des écoles, des temples, des ponts, des routes, et pratiquement n'importe quoi d'autre qui pouvait être inauguré durant les semaines avant l'élection. 64
- Mexique, 1994 - Le Parti d'Action nationale (PAN) et le Parti de la Révolution démocratique (PRD) accusèrent les chaînes de reportage tendancieux en faveur du PRI. Ils critiquèrent en particulier Televisa, une chaîne regardée par 80 % des téléspectateurs mexicains. En juillet 1994, Televisa ignora un des plus grands rassemblements PRD de la campagne, tandis qu'elle consacra 22 minutes de temps d'antenne au président, Ernesto Zedillo. PRD a appelé Televisa « un des piliers qui soutient le régime autoritaire ».
Une étude faite par l'académie mexicaine des droits de la personne sur les nouvelles aux programmes « 24 Horas » de la chaîne Televisa et Hechos du réseau Azteca Television, de janvier à avril 1994, trouva que le PRI avait un avantage de 3 contre 1 en temps d'antenne total comparé au PAN et au PRD, qui étaient les deux partis d'opposition les plus puissants.65
La conclusion qui se dégage de ces exemples et de beaucoup d'autres est qu'un système politique équitable requiert une attention aux questions plus vastes du professionnalisme des diffuseurs et du besoin de maintenir l'indépendance des médias par rapport au gouvernement du jour. Il ne suffit donc pas pour les dirigeants politiques et les observateurs étrangers de concentrer leur attention sur l'allocation de temps d'antenne aux émissions gratuites des partis rivaux pendant la période limitée avant l'élection.
Comme au Mexique, un système de surveillance de la production des médias de radiodiffusion par des groupes académiques ou de droits de la personne peut être utile en attirant l'attention sur toute attitude partiale.
Une liste de contrôle des questions pertinentes à un reportage politique équitable devrait comporter, outre l'allocation de temps d'antenne pour les émissions électorales de parti :
- l'allocation de temps d'antenne aux partis politiques entre les élections;
- les mesures pour assurer l'équité dans les nouvelles et dans les programmes d'affaires courantes;
- les arrangements quant aux débats télévisés entre les dirigeants de partis rivaux pendant les campagnes électorales;
- les arrangements quant à la nomination et au renvoi de cadres supérieurs de radiodiffusion qui aident à assurer l'indépendance par rapport au contrôle ou à la manipulation du gouvernement.
Mauvais emploi du pouvoir du gouvernement à des fins de campagne
Il est parfois difficile de distinguer entre les moyens légitimes dont les gouvernements ont le droit de se servir pour proclamer leurs exploits et l'abus de la propagande officielle à des fins partisanes. De même, il est difficile de distinguer entre les récompenses raisonnables offertes par les gouvernements à leurs supporters sous forme d'emplois de faveur, les contrats publics injustement attribués et les actions corrompues et ignobles. Bien que la ligne de démarcation puisse être douteuse dans certains cas, ceci n'invalide en rien la distinction.
Il est de peu de valeur de passer des lois contre l'achat de voix ou d'autres formes de corruption électorale par les partis politiques et par les candidats si le gouvernement du jour est à même d'accomplir des activités qui ne sont, en pratique, guère différentes de l'achat de voix.
S'attaquer aux abus de pouvoir et au risque de violence
Bien qu'il n'y ait pas de solutions simples, il y a diverses manières d'améliorer l'atmosphère dans laquelle une élection se déroule. Celles-ci incluent :
- les codes de conduite pour partis politiques et candidats (voir Codes de conduite pour les partis politiques);
- les programmes d'éducation politique organisés par les partis eux-mêmes (voir Formation des représentants des partis);
- l'observation par des groupes de droits de la personne à l'intérieur du pays;
- diverses formes d'assistance internationale ou missions d'observation (celles-ci seront plus vraisemblablement couronnées de succès si elles commencent bien avant le jour de l'élection) (voir Contributions étrangères);
- une presse libre.
Distinction entre activités permanentes et activités de campagne
Il est difficile de distinguer entre une activité de routine et une activité de campagne, même en ce qui concerne les candidats individuels. Par voie de conséquence, il est également difficile de tracer la ligne de démarcation entre les dépenses électorales et non électorales.
Lorsque les législateurs écrivent des lettres à leurs électeurs ou chargent des collaborateurs de s'occuper de leurs problèmes personnels, accomplissent-ils simplement leurs devoirs normaux de représentants, ou mènent-ils déjà campagne pour leur réélection?
Des études de la Chambre des représentants des États-Unis ont exposé en détail comment les représentants mènent ce qui équivaut à une campagne permanente et utilisent l'assistance financière et en personnel qu'ils reçoivent des fonds publics soi-disant pour accomplir leurs obligations publiques pour se faire bien voir de leurs futurs électeurs. Des questionnaires sous l'apparence de requêtes d'opinions des électeurs sont destinés à faire connaître le nom du représentant au Congrès. Une autre technique est une lettre à toute personne qui atteint l'âge de voter disant « Je suis ici pour t'aider » - une fois de plus avec la même intention.
Dans les pays où les organisations locales de parti existent à titre permanent, il est plus difficile encore de dire quand la campagne proprement dite commence. Jusqu'à une date récente, les associations de circonscription du parti conservateur britannique avaient un bureau local permanent pourvu d'un agent et d'une secrétaire à temps plein. Avec les membres du bureau directeur de l'association cet agent a la tâche de constituer une liste des membres et de faire des préparatifs entre chaque élection en prévision des semaines précédant immédiatement la prochaine élection générale. Ceci comportera vraisemblablement l'achat d'équipement de traitement de texte et autre attirail de propagande électorale. Pourtant, ce ne sont que les frais encourus pendant la courte période de la campagne officielle qui sont inclus dans les coûts qui doivent être confinés dans les limites légales du candidat.
Au siège national aussi la distinction entre campagne et non-campagne peut être artificielle. Si le bureau central d'un parti politique fait réaliser des sondages d'opinion privés de manière régulière, à quel stade le coût de ces sondages devient-il une dépense de campagne?
Comme il ne peut y avoir de division étanche et objective entre les frais de routine et de campagne, les organisations de parti font la répartition qui leur est la plus avantageuse. Par exemple, au niveau de la circonscription, il y a une forte incitation pour les organisations de parti en Grande-Bretagne de placer les dépenses aussi souvent que possible dans la catégorie non-campagne. Elles échapperont ainsi aux règlements et aux restrictions qui s'appliquent uniquement aux coûts de campagne. En revanche, lorsque la Cour constitutionnelle en Allemagne de l'Ouest statuait dans les années 1960 que les subventions publiques ne pouvaient aller qu'aux activités de campagne des partis politiques, l'incitation était de surcharger la catégorie des dépenses de campagne pour la bonne raison que, directement ou indirectement, tout l'objectif d'une organisation de parti est de gagner les élections et que la catégorie de dépenses de routine est un terme inapproprié.
Une généralisation réaliste est que partout où des restrictions spéciales sont imposées aux activités et dépenses définies comme activités de campagne, les partis et les candidats tâcheront de redéfinir autant de frais que possible comme dépenses courantes.
La tâche déjà difficile de tracer une ligne de démarcation entre campagne et non-campagne est rendue parfois plus difficile pour deux raisons.
D'abord, dans les pays où il n'y a pas de date fixe d'élection (comme en Grande-Bretagne), les partis doivent se mettre en état de préparation pour une élection qui pourrait être déclenchée par le gouvernement à bref délai. Dans les étapes ultimes du mandat d'un parlement, lorsque les chances d'une soudaine campagne électorale deviennent plus grandes, les partis politiques et leurs candidats doivent intensifier leurs activités de propagande électorale, au cas où l'élection serait déclenchée. Il peut y avoir un nombre de fausses alertes. Le résultat de l'incertitude est une période préélectorale variable, et parfois prolongée : une période de semi-campagne.
Finalement, le problème de distinguer entre dépenses de routine et de campagne n'est pas seulement une question de l'époque à laquelle les dépenses sont encourues. On peut soutenir que certaines dépenses encourues avant le début de la période électorale devraient être classées comme frais de campagne, tandis que d'autres frais encourus durant l'élection devraient être classés comme frais de routine.
Par exemple, si un parti politique dépense de l'argent à la préparation de films à utiliser dans ses émissions électorales, ces coûts devraient - selon un point de vue - être inclus comme coûts de campagne, quelle que soit la date à laquelle ils ont été encourus. En revanche, si la location d'un immeuble occupé en permanence par le siège central du parti se fait pendant l'élection, on peut raisonnablement l'appeler un coût non électoral, car le parti l'aurait payé même si la campagne n'avait pas eu lieu.
À ce stade, tout effort pour maintenir la séparation élection/non-élection devient fort embrouillé. Pourtant, les lois qui s'appliquent aux campagnes électorales rendent la nécessité de distinguer ces deux catégories inévitable. Les problèmes sont bien illustrés par une étude réalisée à l'initiative de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, au Canada.
Canada : dépenses d'élection ou hors d'élection
La Loi électorale du Canada impose des plafonds, non seulement aux dépenses électorales autorisées des candidats, mais aussi à celles des organisations nationales de parti. La division entre dépenses électorales et non électorales est, dès lors, d'importance.
Au niveau national, il y a une incitation pour de grands partis à étendre la définition de dépenses non électorales, car sinon ils risquent de dépasser le plafond des dépenses permises. En revanche, les partis plus petits ont l'incitation opposée. Leurs dépenses sont bien en dessous du plafond. Dès lors, ils ont des chances de gagner en déplaçant des frais vers la catégorie élection, car celles-ci sont en partie remboursées par l'État - ce qui n'est pas le cas des frais de routine.
Les problèmes de définition sont un régal pour les juristes et les régulateurs car l'interprétation d'un simple mot dans la législation pertinente peut avoir des conséquences d'une portée considérable. Le professeur Stanbury a souligné, par exemple, que la définition de dépenses électorales dans la Loi électorale du Canada requiert qu'une dépense soit faite « dans le but de favoriser ou de contrecarrer directement, en période électorale, un parti enregistré en particulier ».
L'ambiguïté passe maintenant au mot « directement ». Quel genre d'activités joue indirectement à l'avantage des espoirs électoraux d'un parti? Conformément à des directives émises en 1988 par le directeur général des élections, le coût de la collecte et de l'analyse de l'information d'une enquête n'est pas une dépense d'élection, comme cette activité n'aboutit pas à la promotion 'directe' d'un parti. D'autres catégories sont exclues pour les mêmes motifs.66
Au niveau de la circonscription, une ambiguïté à propos d'un point obscur relatif à la définition de dépenses d'élection dans la loi canadienne mena à l'affaire dite Masse. Marcel Masse démissionna de son poste au Cabinet lorsqu'il fut annoncé qu'il était sous investigation en ce qui concerne ses dépenses électorales à la suite de l'élection de 1984. Le directeur général des élections estima devoir faire remarquer dans son rapport statutaire de 1985 que « la présente définition de dépense d'élection est si vague et imprécise que son application à divers articles de la loi est devenue extrêmement difficile ».67
Pour compliquer plus encore les choses, les définitions de dépense d'élection varient sous différentes juridictions à l'intérieur même du Canada. Selon le rapport final de la Commission Lortie, « On relève dans la législation canadienne, au niveau fédéral et provincial, différentes approches de la définition des dépenses électorales. L'une, parfois qualifiée d'« inclusive », présente une définition initiale large suivie de quelques exclusions spécifiques et, dans certains cas, d'inclusions. Sur les sept provinces qui possèdent une telle législation, cinq ont adopté cette méthode : l'Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et l'Île-du-Prince-Édouard. Quant à la définition fédérale, elle comporte un énoncé initial, suivi d'une énumération des postes de dépense couverts. Cette liste, sans être exhaustive, aide à préciser le sens de la définition. »68
Il serait erroné de juger le législation canadienne trop sévèrement. Certes, il faut en convenir, c'est la tâche des législateurs de rédiger des mesures claires. Mais la tâche de trouver une formulation qui établisse la démarcation entre activités et dépenses électorales et non électorales est aussi difficile que de faire une distinction juridiquement étanche entre des termes comme « grand » et « petit ».