Pourquoi les lois électorales manquent souvent d'être appliquées
Il est de peu de valeur d'avoir des lois, à moins que ceux qui y contreviennent ne soient soumis à des sanctions. Mais il est, de surcroît, de peu de valeur d'inclure un barème de sanctions à moins que le contrevenant ne s'attende à ce que les violations de la loi fassent vraisemblablement l'objet d'investigations et à moins qu'il ne craigne des représailles pour des pratiques illégales.
Les punitions qui ne sont pas imposées ne dissuaderont pas les délinquants.
Cependant, les lois relatives à la conduite des élections, en particulier celles qui concernent le financement politique, sont souvent ignorées. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles ceci est couramment le cas.
Il peut d'abord exister une culture d'irrespect à l'égard de la loi parmi les partis politiques rivaux et les candidats. Si la plupart ou tous ferment les yeux sur les règlements, aucun d'entre eux ne voudra intenter une action contre ses adversaires politiques par crainte d'actions de représailles contre eux-mêmes. Des pactes de non-agression informels entre organisateurs professionnels de campagne de divers partis sont un phénomène commun de la vie politique.
Les institutions responsables de l'administration électorale peuvent ne pas disposer d'un agent d'exécution et, dès lors, n'être pas en mesure de lancer des enquêtes ou des contrôles de possibles irrégularités. Les infractions contre les règles (par exemple, concernant les limites de dépenses autorisées de campagne) peuvent être astucieuses et difficiles à déceler. Sans une force d'enquêteurs qualifiés et convenablement pourvus en personnel, les autorités ne prendront pas souvent de mesures à moins d'être saisies d'une plainte. Elles se contenteront de réagir, mais ne prendront pas l'initiative d'une enquête.
Lorsque les contestations judiciaires sont abandonnées aux individus ou partis touchés (par exemple, aux candidats qui trouvent qu'ils ont été battus de façon déloyale), les frais pour intenter une telle action peuvent s'avérer prohibitifs. Trop souvent des considérations de coûts ont dissuadé les candidats défaits de porter des pétitions électorales dans les tribunaux en Grande-Bretagne.
Exemples de lois rarement appliquées
Il n'est pas difficile de trouver des exemples de mise en oeuvre médiocre.
Allemagne - Selon la Bibliothèque du Congrès des États-Unis, les sanctions ne sont pas une caractéristique majeure des dispositions allemandes sur le financement des partis.
Italie - « La loi No. 515 de 1993 ... a discrètement réalisé une complète dépénalisation de toutes les infractions de financement privé des campagnes électorales en imposant exclusivement des amendes administratives qui vont de quelques milliers à quelques centaines de milliers de dollars américains. Ce sont là des sommes modestes comparées au coût astronomique que représentent pour les contribuables les pots de vin et dessous de table impliqués dans les scandales politiques seulement au cours de la dernière décennie. »
Turquie -« La Cour constitutionnelle néglige d'habitude de vérifier les comptes des partis au cours de l'année où ils sont soumis. Cela prend généralement quelques années avant que la Cour ne les examine.85
Grande-Bretagne - Les candidats parlementaires font face à des sanctions sévères en dépassant la limite légalement permise aux dépenses de campagne. Cependant la dernière pétition électorale qui finit par forcer un candidat élu à perdre son siège à la Chambre des communes date d'il y a trois-quarts de siècle.
États-Unis - La Federal Corrupt Practices Act de 1925 s'est avérée lettre morte presque dans sa totalité : dans l'histoire de cette loi de 1925, personne n'a été poursuivi pour défaut de se conformer à la loi. Deux personnes seulement - les républicains William S. Vare de Pennsylvanie et Frank L. Smith de Virginie - ont été exclus de leur mandat pour violation des plafonds de dépenses. Et cela a eu lieu en 1927 à la suite de violations commises lors de la première élection où la loi était en place. Au cours des 45 années suivantes, aucun autre candidat n'a été puni en vertu de cette loi.86
Implications des lois rarement appliquées
Deux réactions très différentes sont possibles en présence du fait que des sanctions sont rarement imposées pour des infractions aux lois électorales.
Une approche est de prôner des sanctions relativement légères, telles que des amendes petites ou moyennes. La justification est que si les sanctions sont modérées, il y aura une incitation additionnelle pour les autorités électorales d'intenter des poursuites. Si la sanction pour une infraction à la loi est très lourde - comme la perte d'un siège à l'assemblée législative - ceux accusés de contraventions se battront rigoureusement pour éviter d'être déclarés coupables. La mise en oeuvre deviendra particulièrement coûteuse, et, par voie de conséquence, elle deviendra rare.
L'approche opposée est que, comme l'exécution des lois sera vraisemblablement irrégulière, il est d'autant plus important que les sanctions pour infractions démontrées et significatives soient sévères.
La politique en matière de sévérité des sanctions est influencée aussi par un autre facteur, à savoir la possibilité d'infractions aux lois résultant d'erreurs authentiques plutôt que d'une intention ou d'un dessein d'enfreindre la loi. Ce problème concernant les sanctions trop sévères est qu'elles peuvent entacher de manière excessive des partis et candidats nouveaux et relativement inexpérimentés. Elles peuvent ainsi dissuader de tels nouveaux acteurs d'entrer dans l'arène électorale tout en laissant intacts les partis établis, qui connaissent probablement mieux la loi ainsi que les moyens les plus efficaces pour la contourner. Compte tenu de ce problème, la loi électorale en Grande-Bretagne permet aux candidats déclarés coupables d'enfreindre la loi (par exemple, concernant les plafonds de dépenses de campagne) d'en appeler au tribunal pour une réduction des sanctions en vertu du fait que l'infraction a été mineure ou non intentionnelle.
L'impact des lois électorales sur les types d'infractions
Les infractions varient beaucoup d'un pays à l'autre selon les lois contre lesquelles des transgressions ont été commises ou prétendument commises. Par exemple, les règlements concernant le financement de campagne en Grande-Bretagne se rapportent principalement à des candidats individuels et à leurs agents. Au pis aller, les candidats élus risquent de perdre leur siège si de sérieuses infractions sont démontrées. Toutefois, cette sanction de la perte de siège à l'assemblée législative sera inopportune et difficile à concevoir pour les systèmes de liste de représentation proportionnelle. Dans ces systèmes, c'est le parti, plutôt que le candidat individuel qui se présente à l'électorat.
Donnons un autre exemple : là où les partis politiques bénéficient d'un financement public, il deviendra possible d'utiliser le retrait d'un tel financement comme sanction.
En général, il devient plus difficile d'imposer une sanction sévère à un candidat pour une élection présidentielle que pour une élection législative. De même, il est plus difficile d'imposer une sanction sévère à un parti entier qu'à un candidat. Si des candidats individuels perdent leur siège, ceci n'invalidera pas l'élection nationale et ne risque guère de changer l'équilibre entier du pouvoir entre les partis politiques au sein de l'assemblée législative. En revanche, si un candidat présidentiel élu, ou un des principaux partis, est déclaré coupable d'enfreindre les lois relatives au plafond de dépenses, ceux qui se préoccupent de la loi électorale se voient placés devant le choix inconfortable entre une sanction qui est trop faible et une qui est probablement trop lourde.
Une sanction financière même grande ne sera guère une punition juste et adéquate si le candidat gagnant a remporté la victoire grâce à un degré significatif de fraude, et est autorisé à jouir des fruits de sa duperie. Par ailleurs, si la sanction pour une infraction aux règlements relatifs aux dépenses comporte la sanction d'invalidation de l'élection, les enjeux des enquêtes concernant de prétendues infractions seront rien moins que révolutionnaires. Un tribunal aura entre les mains la possibilité de renverser un président, ou d'invalider les sièges d'un parti entier.
Types de sanctions
Les sanctions les plus courantes sont :
- la perte des contributions obtenues en contravention des lois ou des règlements;
- la perte par un parti politique d'une partie ou de la totalité de son droit au financement public;
- des amendes;
- une peine d'emprisonnement;
- la perte temporaire du droit de siéger et de voter à l'assemblée législative par des candidats élus qui ont négligé de soumettre à temps un relevé de leurs dépenses;
- la perte de son siège à l'assemblée législative par un candidat élu qui par la suite a été déclaré coupable d'une infraction sérieuse;
- la perte de leurs droits civils par ceux qui ont été déclarés coupables d'infractions - ceci peut inclure la perte du droit de voter pour une certaine période de temps, la perte du droit de se présenter comme candidat dans la circonscription dans laquelle l'infraction a eu lieu, voire la perte du droit de se présenter comme candidat dans toute circonscription.
Responsabilité des infractions
Qui devrait être redevable si un travailleur de campagne enfreint la loi dans l'intérêt de son parti ou de son candidat? Est-il juste de pénaliser les candidats pour des actions commises en leur nom, mais sans leur autorisation?
Il n'y a pas de réponse simple. Si ceux qui se trouvent au sommet de la hiérarchie de campagne sont tenus responsables de chaque infraction de moindre importance, ils risqueront d'être pénalisés pour des actions sur lesquelles, en pratique, ils n'ont pas eu de contrôle. Par ailleurs, si le candidat est dégagé de responsabilité, les organisations de campagne seront fort tentées de ne pas tenir compte de la loi, sachant pertinemment que si elles sont démasquées, ni le candidat ni le parti n'en souffriront. Dans certains pays, on s'attend à ce qu'un représentant subalterne soit celui qui sera trouvé coupable et ira en prison, s'il le faut, pour la cause. Il recevra alors par la suite sa récompense de la hiérarchie du parti pour avoir épargné les principaux acteurs d'incarcération ou d'autres sanctions sérieuses.
Un dispositif fut introduit en Grande-Bretagne au 19e siècle pour veiller à ce problème, et il a été adopté dans d'autres pays qui ont copié le modèle de Westminster. Comme l'on ne peut s'attendre à ce que les candidats s'occupent des détails de l'organisation et des dépenses de campagne, alors qu'ils passent leur temps à faire des discours et à rencontrer des électeurs, les candidats peuvent déléguer la tâche de gérer la campagne, ainsi que les dépenses, à un agent. Comme ils ont eu le loisir de nommer un agent de leur choix, les candidats sont, par conséquent, responsables des infractions commises par l'agent. Aussi bien, l'agent doit assurer qu'aucune dépense de campagne ne soit encourue sans son autorisation.
Application par les autorités électorales ou les tribunaux
Là où il existe une autorité électorale spéciale, elle peut avoir certaines responsabilités de mise en oeuvre. Par exemple, la Federal Election Commission des États-Unis est autorisée à parvenir à des accords avec ceux qui sont accusés d'infractions aux lois de financement de campagne. Si ceux qui sont accusés d'infractions sont disposés à parvenir à un tel accord, ils n'auront normalement pas à faire face à des poursuites devant les tribunaux.
Un accord de conciliation entre cet organisme et la personne contre laquelle une plainte a été déposée consiste en trois éléments :
- une description des faits;
- une admission par l'accusé d'une violation de la loi;
- une sanction financière.
En 1991 au Canada, la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis a pris position en faveur d'une mise en oeuvre administrative, plutôt que criminelle :
Premièrement, le terme « infraction criminelle » ne devrait s'appliquer qu'aux infractions qui portent atteinte aux valeurs fondamentales de la société. C'est seulement lorsqu'on peut prouver hors de tout doute raisonnable qu'une personne a enfreint la loi sciemment ou délibérément qu'on devrait la reconnaître coupable d'un crime et lui infliger les sanctions qui en découlent. Or la plupart des dérogations électorales sont de nature administrative ou réglementaire. Nous proposons que toutes les dérogations sous la Loi électorale du Canada soient divisées en deux types : les contraventions et les infractions. Les contraventions relèveraient du domaine administratif ou réglementaire, ou de la procédure, et entraîneraient des peines moins sévères. Elles seraient jugées exclusivement par la Commission électorale du Canada, avec possibilité de pourvoi devant la Cour fédérale du Canada. Les infractions seraient des actes plus graves commis de façon intentionnelle, et entraîneraient des peines plus lourdes, notamment des amendes plus élevées, l'emprisonnement ou la perte de certains droits démocratiques.87
Dans certains pays, à l'exception des commissions électorales et des tribunaux, l'application des lois électorales est une responsabilité du président de l'assemblée législative (comme en Allemagne et en Grèce).
Sanctions : non-respect de la loi électorale et des accords conclus
Cette distinction est pertinente là où, comme indiqué plus haut, une autorité électorale est parvenue à un accord de conciliation avec une personne accusée d'une violation légale. Là où cet accord inclut une amende et où le contrevenant manque de payer l'amende, il devra y avoir une disposition pour une sanction distincte, additionnelle pour non-respect de cet accord.
Pour plus d'informations sur cette question et sujets apparentés, voir aussi Cadre législatif.