Les vides législatifs dans les règlements, en particulier dans ceux qui régissent le financement politique, ne résultent qu'en partie de négligences rédactionnelles juridiques. La difficulté de les éviter est inhérente à la matière. C'est pourquoi il importe non seulement d'examiner quelques vides en particulier, mais aussi de comprendre les raisons fondamentales qui en sont la cause et les choix entre des objectifs incompatibles qui s'imposent aux législateurs.
Difficulté d'éliminer les vides législatifs
Le flux d'argent qui s'écoule vers l'arène politique peut se comparer à l'eau qui descend une colline pour se jeter dans un nombre de rivières. Si une rivière est bloquée, le flux va probablement creuser un nouveau passage. De même, l'adoption de nouvelles lois pour limiter ou contrôler les contributions à des partis politiques ou à des campagnes électorales risque de n'avoir d'autre conséquence que de détourner l'argent le long d'un parcours de rechange ou à travers des routes inattendues.
Il existe de nombreux exemples de ce processus de création de filières nouvelles. Dans les années 1960, la Cour constitutionnelle allemande a imposé plusieurs restrictions au financement des partis politiques. Elle statua que les subventions publiques ne pouvaient être données que pour les activités de campagne électorale des partis; il n'était pas permis de subventionner leurs activités organisationnelles de routine entre deux élections. Il a été facile d'échapper à cette décision constitutionnelle, et des subventions publiques pour des activités de routine furent données à des fondations de parti. Étant juridiquement distinctes des partis proprement dits, ces organismes n'étaient pas couverts par les restrictions imposées à ceux-ci. En pratique, chaque fondation était étroitement reliée à un parti apparenté. La distinction entre un parti et une fondation de parti n'était guère plus qu'une fiction juridique (voir Fondations politiques).
La technique des fondations de parti a été fréquemment copiée. Aux États-Unis, les organisations de recherche politique, connues sous le nom de think tanks, ne sont pas couvertes par les mêmes lois que les partis politiques. Une corporation commerciale n'est pas autorisée à faire un paiement à un parti politique, mais elle peut contribuer généreusement à un think tank, même si celui-ci est en connexion étroite avec un parti politique en particulier.
D'une manière plus générale, il y a toute une gamme de groupes d'intérêt, d'organisations religieuses et de médias, qui sont activement mêlés aux affaires publiques et au débat partisan. Comme ils ne présentent pas de candidats à des charges électives, ils ne sont pas définis par la loi comme étant des partis. L'existence de ce type d'organismes présente un dilemme pour les législateurs qui cherchent à contrôler l'utilisation d'argent à des fins politiques. D'une part, il semble faire peu de sens de réglementer les partis seulement, sans tenter de réglementer ces autres organisations également. D'autre part, toute tentative pour étendre la portée des règlements de manière à couvrir non seulement les partis et les candidats à des charges électives, mais aussi les groupes de pression, les médias et les organisations religieuses aura pour effet de limiter la liberté d'expression et les libertés individuelles de manière intolérable.
Illustrons le problème en rappelant cet exemple britannique 6. Lors de l'élection générale britanniques de 1992, les deux partis principaux -- les conservateurs et les travaillistes -- dépensèrent environ le même montant à leur campagne électorale. Cependant, de nombreux partisans travaillistes se sont plaints que presque tous les journaux nationaux avec les plus forts tirages appuyaient les conservateurs. À quoi servait l'égalité relative des dépenses par les organisations de parti -- raisonnaient-ils -- si l'opinion publique est manipulée par une poignée de propriétaires de journaux multimillionnaires pro-conservateurs? Certains faisaient valoir qu'il devrait y avoir des limites à la manière dont les journaux sont autorisés à faire rapport sur les campagnes électorales. D'autres estimaient qu'une telle limitation draconienne à la liberté de presse serait un prix trop lourd à payer, même si l'objectif était d'assurer que les messages des partis de l'opposition soient entendus équitablement (voir Groupes d'intérêts : tiers).
Exemples de vides législatifs
Les exemples sont nombreux; certains sont fournis dans d'autres fichiers.
- Si les règlements s'appliquent aux partis politiques et aux candidats à des fonctions publiques, mais ne s'appliquent pas aux activités politiques des groupes de pression ou aux fonds personnels recueillis par les politiciens, il y aura une tendance à échapper aux règles en faisant suivre l'argent des partis et des candidats par le truchement de ces organismes qui sont leurs alliés incontrôlés (voir Groupes d'intérêts : tiers).
- Contributions en nature au lieu de paiements financiers - Par exemple, en mettant des voitures, des appartements, des bureaux, des téléphones à la disposition d'un parti ou d'un candidat (voir Contributions en nature).
- Entreprises commerciales bidon de partis politiques - Un parti politique peut rendre un service pour lequel le donateur paie des tarifs au-dessus du prix du marché, déguisant ainsi ce qui sont essentiellement des contributions politiques. Des exemples courants sont les annuaires et autres publications de parti dans lesquels des entreprises et des individus achètent de l'espace publicitaire, ou les services de consultants et de conseillers fournis par des notables de partis, ou encore, les achats en grand nombre de journaux et de littérature de parti et d'attirail politique tel que boutons, rosettes, cravates, etc. (voir Revenus d'entreprise des partis).
- Contournement des règlements de divulgation - Si les contributions politiques par un individu ou par une entreprise doivent être déclarées dès qu'elles dépassent un certain seuil, il est possible d'échapper à la règle en les répartissant en une série de contributions, chacune légèrement en deça du montant à partir duquel l'exigence d'une déclaration prend effet. Si la limite de divulgation est de 20 000 DM, des contributions de 19 999 DM peuvent être versées par un conjoint, plusieurs enfants, des employés, et par chacune des diverses compagnies dont la famille donatrice est propriétaire (voir Règlements de divulgation).
- Contributions de l'étranger - Il est facile d'échapper aux interdictions de contributions étrangères à des élections. Dans certains cas, les partis qui souhaitent recueillir des contributions étrangères ont établi des fondations indépendantes externes au parti pour recevoir l'argent. Dans d'autres cas, les paiements ont été faits par le truchement de filiales intérieures des compagnies étrangères (voir Interdiction de certains types de contributions).
Stratégies pour réduire le nombre de vides législatifs
Une combinaison d'approches a des chances de s'avérer la plus efficace. Les lois elles-mêmes doivent être rédigées avec soin et ne sauraient être trop ambitieuses. Des sanctions doivent être introduites dans le corps des règlements et il est important qu'elles soient mises à exécution. Outre l'appareil juridique du contrôle, il importe de réaliser, tant que faire se peut, un consensus de l'ensemble des partis sur les règlements et un appui public à leur égard. La réprobation publique du comportement des politiciens qui enfreignent la lettre ou l'esprit de la loi est une dissuasion plus grande que la possibilité d'une amende ou de quelque autre sanction. Observons aussi qu'un parti politique aura plus tendance à obtempérer aux lois s'il estime que ses rivaux en feront autant. L'éducation, la consultation, et même les codes de conduite peuvent par conséquent s'avérer salutaires.
Un exemple du rôle de pressions et d'accords informels est le succès des règlements introduits en Grande-Bretagne dans l'Illegal and Corrupt Practices Act de 1883 pour limiter les dépenses des candidats à la Chambre des communes. On a souvent fait remarquer que les limites introduites par cette loi ont des vides législatifs importants. En particulier, elles ne s'appliquent qu'aux campagnes électorales locales, et non aux dépenses des états-majors centraux des partis. Toutefois, le fait est que la nouvelle loi a eu de l'effet, à telle enseigne qu'elle a produit une diminution des frais totaux des campagnes électorales. Ceci était dû presque certainement au fait que la nouvelle loi exprimait les voeux des politiciens des partis principaux à la Chambre des communes qui tous souhaitaient voir finir l'escalade des frais qu'ils avaient tous eu tant de mal à supporter.