En démocratie, la politique ne saurait subsister sans ressources financières. Les partis politiques seraient incapables de s'organiser, les politiciens ne pourraient pas communiquer avec le public et les campagnes électorales ne pourraient pas se tenir si de l'argent n'était pas recueilli. Le financement politique n'est donc pas seulement indispensable, il est aussi souhaitable.
Il n'empêche que le financement de la politique a provoqué de sérieux problèmes dans la plupart des démocraties. La première leçon à tirer de l'expérience occidentale est qu'il n'y a pas de solutions simples à ces difficultés.
Problèmes de financement politique
L'argent se trouve à la racine de plusieurs maux politiques :
(1) La corruption - Politiciens et partis peuvent être tentés d'offrir des faveurs inappropriées en échange de contributions politiques. La recherche de fonds a souvent mené à la corruption. Voir aussi Contrôle de la fraude et des pratiques déloyales.
(2) L'iniquité - L'argent peut conduire à de l'iniquité et peut fausser la compétition électorale. Si un parti est à même d'attirer des fonds disproportionnément élevés de la part de certains adeptes très fortunés, il a des chances de gagner un avantage considérable sur un parti adverse. Une campagne bien financée sera en mesure d'engager un personnel plus nombreux et de payer pour un plus grand nombre d'affiches et d'annonces publicitaires. Il est difficile d'évaluer scientifiquement la mesure dans laquelle des ressources supérieures rapportent des voix. Un budget immense n'est pas une garantie de succès. Mais il y a des circonstances où le candidat ayant le budget le plus abondant a un net avantage.
Selon une étude détaillée du Professeur Gary Jacobson, l'ampleur du budget de la campagne a un effet vital sur les résultats des compétitions pour la Chambre des représentants des États-Unis. En particulier, un candidat qui désire obtenir la victoire contre un membre sortant du Congrès a peu de chances sans un vaste budget de campagne. En 1972 et en 1974, les candidats qui affrontaient des membres sortant du Congrès gagnaient un supplément de 1 % du vote pour chaque tranche de 10 000 $ dépensée à leur campagne. Compte tenu des vastes sommes dépensées dans les élections, ces résultats sont impressionnants. Voir aussi Égalité des chances.
(3) Les barrières financières à se porter candidat - Si le succès électoral dépend de l'accès à l'argent, les citoyens qui ne sont pas fortunés peuvent être dissuadés de se présenter comme candidats à des charges publiques. Or, la santé de la démocratie demande que les membres de tous les groupes - riches ou pauvres - soient en mesure d'entreprendre une carrière en politique.
Scandales récents
Les événements dans les pays occidentaux montrent qu'il s'agit de problèmes dangereux. Le verdict du savant professeur allemand Wildenmann au sujet de la situation dans son propre pays s'applique également aux autres. « Les pratiques allemandes de financement de partis sont le point noir des gouvernements représentatifs d'aujourd'hui », écrivait-il.
Quelques-uns des scandales politiques les plus sérieux des années 1980 et 1990 ont eu trait à des abus et à de la prétendue corruption entourant les contributions aux partis politiques. Dans les cas extrêmes, des politiciens furent inculpés d'avoir accepté de l'argent de criminels, soit pour leur bénéfice privé, soit pour leurs fonds de campagne.
La chute des chrétiens démocrates en Italie a en large mesure procédé d'accusations de connections financières avec la Mafia. Au Japon, la crise politique et le défi aux libéraux démocrates au pouvoir au début des années 1990 tournaient aussi autour d'une série de scandales mettant en cause des paiements à des politiciens pour leurs (énormes) dépenses d'élection. La France est un troisième pays où de nouveaux règlements concernant le financement de la politique ont été introduits à la suite d'allégations de corruption.
En Grande-Bretagne, les problèmes ont été moins sérieux. Cependant, des accusations dans la presse nationale contre le parti conservateur ont abouti en 1993 à une enquête par le Comité des affaires intérieures de la Chambre des communes sur le financement des partis politiques. Le gouvernement travailliste, qui a pris le pouvoir en mai 1997, a promis d'introduire des réformes. En novembre 1997, le premier ministre Blair a demandé au Comité des normes dans la vie publique (comité Neill) de passer en revue les questions relatives au financement des partis politiques et de faire des recommandations quant à des changements éventuels aux présents arrangements.
Aux États-Unis et en Allemagne, les règlements sur le financement politique - introduits à l'origine comme une réponse à la corruption - ont causé de nouveaux problèmes qui ont provoqué une série apparemment sans fin de réformes des réformes.
Les dirigeants et les partis de toutes les tendances politiques ont été impliqués dans des scandales. En Belgique, les accusations d'inconduite en relation avec le financement politique concernent la gauche politique, y compris M. Claes. En Italie, c'est un parti de la droite qui a été le plus touché. En Allemagne, la caractéristique la plus notable de l'affaire Flick du début des années 1980 fut le fait que des politiciens chevronnés de tous les partis principaux avaient, paraît-il, méprisé les lois.
Types de règlements
Depuis la Deuxième Guerre mondiale la plupart des démocraties occidentales ont introduit des législations conçues pour contrôler les abus du financement politique. Les gouvernements ont tenté de réglementer et de subventionner le financement politique de plusieurs manières :
- La limitation des dépenses - Des plafonds, par exemple, sur les dépenses autorisées pour chaque candidat au parlement ou pour chacune des organisations nationales de parti;
- la limitation des contributions - Des restrictions sur les montants qu'un individu est autorisé à verser;
- les règlements de divulgation - Déclaration obligatoire des noms des contributeurs aux campagnes et aux partis et divulgation des montants versés par chacun;
- l'interdiction de certains types de contribution - Par exemple, la réglementation ou la restriction de contributions politiques par des compagnies commerciales, syndicats ou organisations étrangères et des citoyens étrangers;
- l'interdiction de certains types de dépenses - Par exemple, des interdictions de pots-de-vin à des électeurs individuels, de boissons et de repas aux électeurs et des interdictions dans certains pays de l'achat de temps d'antenne à la télévision pour de la propagande de parti;
- les mesures destinées à encourager les contributions - Dégrèvements fiscaux, crédits de taxes et autres formes de remise d'impôts sur les contributions politiques;
- les subventions en nature - Par exemple, la fourniture aux partis et aux candidats d'installations gratuites ou à vil prix, la franchise postale pour la littérature électorale, des facilités gratuites ou subventionnées aux partis pour la diffusion à la télévision ou à la radio;
- les subventions publiques - Paiements financiers aux partis ou candidats à même les deniers publics.
Objectifs des règlements
Les propos de la législation ont varié d'un pays à l'autre selon la nature des problèmes qui ont servi d'aiguillon à la réforme.
(1) Contrôler la corruption - Ceci a été un objectif primordial de la plupart des efforts de réforme. Un argument commun pour rendre obligatoire la déclaration des contributions politiques est que celle-ci va sûrement dissuader les politiciens de conclure des marchés louches en échange de contributions (voir aussi Participation à la vie politique).
(2) Promouvoir l'équité - Limiter le montant que les politiciens sont autorisés à dépenser a pour but non seulement de contrôler la demande de contributions (et de limiter ainsi les possibilités de corruption), mais aussi de réduire les disparités de ressources entre organisations politiques riches et pauvres (voir Égalité des chances).
(3) Contrôler la croissance rapide des frais des campagnes.
(4) Favoriser l'émergence de partis politiques vigoureux - Les partisans des subventions financières aux partis soulignent que la démocratie a besoin de partis forts et compétitifs. Si les partis doivent être à même de se présenter aux électeurs et s'ils doivent être à même de faire des recherches sur des nouvelles politiques, ils ont besoin des moyens financiers pour s'adjoindre un personnel suffisamment nombreux. Le meilleur moyen d'assurer que les partis ont des ressources suffisantes pour accomplir leurs fonctions démocratiques est de leur accorder des subventions en puisant dans les deniers publics. Cet argument vient surtout (mais pas exclusivement) de la gauche politique.
(5) Encourager la participation de la base - Ce point de vue opposé est défendu en particulier par la droite politique. Selon cette optique, la caractéristique essentielle des partis démocratiques est qu'ils sont des organisations volontaires qui comptent sur le soutien et les efforts des membres. Ils ne devraient dépendre ni de l'État ni de vastes contributions privées. Leurs finances devraient être basées sur un grand nombre de petites cotisations. Dans les systèmes unipartites, dans lesquels l'adhésion au parti gouvernant entraîne des avantages matériels, les gens vont vraisemblablement adhérer dans l'intérêt de leur emploi et de leur carrière.
En revanche, la participation aux activités politiques dans un système multipartite ne fournit pas de telles faveurs. Dans les systèmes multipartites, les dirigeants des partis démocratiques doivent attirer des adeptes qui offriront leur soutien pour des mobiles idéalistes. C'est pourquoi il est important que les partis démocratiques reçoivent de la part des membres ordinaires non seulement des contributions financières, mais aussi une assistance dans les tâches de propagande électorale. Il découle de ce point de vue qu'un objectif principal des règlements de financement politique devrait être d'encourager une large participation individuelle grâce à des contributions de petits montants et à des cotisations. Cet objectif est d'une importance particulière dans une démocratie nouvelle dans laquelle les organisations de parti sont faibles et doivent recruter des membres (voir aussi Participation à la vie politique).
On prétend parfois qu'il est irréaliste de s'attendre à ce que dans des régions du monde où les revenus sont très bas, les partis politiques puissent rassembler des fonds significatifs en cotisations de membres. Dans ces conditions, les seules sources d'argent disponibles sont les subventions des deniers publics ou des secours de donateurs étrangers. Mais il y a de fortes raisons de s'opposer à ce point de vue. Le danger existe notamment dans ces pays que la croissance organique des partis soit étouffée par de tels secours. Si les dirigeants de parti sont à même de bénéficier d'assistance financière, ils perdront fréquemment leurs racines locales. Dans un nombre considérable de nouvelles démocraties, les partis politiques se sont dégradés par suite de subventions financières à court terme, bien intentionnées mais trop généreuses.
Pourquoi se dérobe-t-on souvent aux règlements de financement politique?
Il sera utile d'esquisser quelques-unes des façons dont on s'est dérobé aux réformes des années récentes. Un examen de ces techniques utilisées pour transgresser les lois fournira aux législateurs d'aujourd'hui des avertissements, ainsi que le bénéfice de l'expérience. L'éminent érudit allemand Karl-Heinz Nassmacher a résumé les difficultés éprouvées par les réformateurs dans les nations occidentales.
La pratique politique de près de deux décennies a souligné une fois de plus le paradoxe général des mesures de réforme constitutionnelle. L'exécution de la législation de réforme fait naître le besoin de législation de réforme supplémentaire et plus complexe. Les restrictions minutieuses conçues pour contrôler le flux d'argent vers le processus politique a encouragé les politiciens professionnels à se lancer dans une recherche inventive d'échappatoires possibles soit dans l'application des lois existantes, soit lors de la rédaction des amendements indispensables 17.
De même, Herbert Alexander a souligné les pièges des propositions de reforme mal avisées. La législation de réforme a tendance à créer des problèmes nouveaux et inattendus. On en trouvera la preuve dans la série sans fin de réformes de réformes dans nombre de pays comme la France, les États-Unis, l'Italie et l'Allemagne (voir aussi Vides législatifs).
Pourquoi s'est-il avéré si difficile de concevoir des lois satisfaisantes pour réglementer le financement politique? Il y a au moins deux raisons fondamentales.
(1) Les échappatoires - Les contributions aux partis politiques et aux campagnes électorales sont deux des canaux les plus importants et les plus directs par lesquels de l'argent peut être utilisé pour influencer la politique. Au demeurant, ce ne sont pas les seuls : les restrictions au financement des partis et des élections risquent de ne pas produire l'effet souhaité si d'autres formes de financement pertinentes politiquement demeurent incontrôlées. La question cruciale des échappatoires est discutée dans un autre fichier (voir Vides législatifs).
(2) Une mise en úuvre inadéquate - Dans un domaine aussi controversé et complexe que le financement des partis et des campagnes, les lois ont besoin d'une supervision et d'une mise en úuvre efficaces. Comme l'a dit Khayyam Paltiel : l'exécution demande une autorité forte dotée de pouvoirs légaux suffisants pour superviser, vérifier, enquêter et, si nécessaire, intenter une action judiciaire. Moins de cela mènerait à un échec (voir aussi Infractions et sanctions).
L'Allemagne fournit un exemple dramatique de non-application de la loi relative au financement politique. Les révélations du début des années 1980 autour de l'Affaire Flick suggéraient qu'il y avait eu quelque 1800 cas d'infraction à la loi et que tous les partis principaux étaient impliqués, de même que quelques-unes des figures politiques les plus chevronnées et de nombreuses entreprises de premier plan du pays.
Dans un écrit de 1994, Alexander et Rei Shiratori rapportaient qu'en Italie une enquête tardive était en train de découvrir des abus de plusieurs années. L'enquête, appelée Opération mains propres, a coûté la vie à sept personnalités de haut rang, y compris un ancien ministre, qui se suicidèrent après avoir été formellement notifiés qu'ils étaient sous investigation pour violation des lois sur le financement des partis. À ce jour, 1500 politiciens - y compris deux anciens premiers ministres - et hommes d'affaires ont été emprisonnés ou interrogés et six ministres du gouvernement et quatre dirigeants de grands partis politiques ont démissionné de leurs fonctions 18.
La question de l'exécution de la réglementation pose cependant un autre dilemme. D'une part, les lois sont de peu de valeur si elles ne sont pas respectées. D'autre part, les exigences de l'obligation de rendre des comptes peuvent s'avérer si accablantes qu'elles accroîtront elles-mêmes considérablement les frais de la campagne et dissuaderont les citoyens ordinaires de se présenter pour un mandat politique.
Telle a été l'expérience des États-Unis. Les règlements au sujet de la divulgation des contributions politiques et des plafonds des contributions autorisées par donateur y sont devenues si complexes que les candidats ont été obligés d'engager des juristes spécialisés et des comptables. La loi électorale a été un champ florissant d'activité - et de profit - pour la profession d'avocat.
Ces avertissements ne sont pas destinés à pousser au désespoir. Ils sont destinés, en revanche, à encourager la rigueur et les précautions. Il est vital de considérer les détails aussi bien que les principes de toute législation projetée concernant le financement politique.
À la lumière des nombreuses complexités qu'implique le contrôle du financement politique, il convient de considérer les lois avec soin. Les règlements sont sans valeur à moins que ne soit créé un système de mise en úuvre bien préparé, professionnel et neutre. Deux des types de règlements les plus prometteurs sont ceux qui prescrivent un temps d'antenne gratuit pour les partis politiques pendant les campagnes électorales et ceux qui prévoient des incitations fiscales (ou des subventions équivalentes) pour de petites contributions.