En Suisse, la démocratie directe est
apparue au niveau fédéral en 1848, bien que des formes de démocratie directe aient
été utilisées dans certains cantons dès le 14e siècle. Il en existe
différentes formes tant pour le niveau fédéral que cantonal; et en moyenne, les
électeurs suisses peuvent avoir l’occasion quatre fois par année de s’exprimer
lors de scrutins fédéraux.
Lorsque l’on évoque la démocratie directe,
la Suisse est
habituellement citée comme un pays ayant un système de gouvernement qui s’approche
le plus de la démocratie directe. Bien que la Suisse présente certaines caractéristiques d’une
démocratie de représentation (par exemple un Parlement élu), on a recours
fréquemment à la démocratie directe aux niveaux national, cantonal et local (ou
communal). La présente étude de cas porte sur les mécanismes entourant la
démocratie directe en Suisse et l’utilisation qu’on en fait.
Histoire et contexte
La démocratie directe est une tradition de longue date dans certains
cantons suisses, laquelle remonte aussi loin qu’au 14e siècle. Quand
la Suisse est
devenue un État fédéral en 1848, la démocratie directe a fait son entrée sur la
scène nationale. Dans la fédérale, on
retrouve un principe exigeant de tenir un référendum afin de pouvoir changer la
Constitution et prévoyant également le recours à l’initiative populaire pour
une revue complète de la Constitution. D’autres modalités entourant les droits aux
référendums ont été intégrées en 1874, et d’autres encore touchant à l’initiative
populaire pour une revue partielle de la Constitution en 1891. De 1848 à février
2004, il s’est tenu 517 référendums, alors que de 1892 à mai 2004, on dénombre
244 initiatives.
Formes de démocratie directe –
niveau fédéral
En Suisse, la démocratie directe peut s’exprimer de diverses façons au
niveau fédéral. Globalement, on retrouve deux grandes catégories : les
référendums et les initiatives. Il n’y a aucune disposition sur la demande de
destitution en Suisse. Chaque catégorie permet d’atteindre des résultats différents
et comporte des caractéristiques distinctes au chapitre de la conception.
Référendums
À la différence d’autres pays, en
Suisse, ce n’est pas le gouvernement qui détermine si l’on doit tenir un
référendum sur un enjeu donné. La Constitution du pays définit précisément les
circonstances permettant qu’on puisse recourir au référendum.
Le référendum obligatoire est une première forme de démocratie directe.
Il s’agit d’un référendum que le gouvernement doit tenir en lien avec certaines
grandes questions politiques, notamment :
- une revue partielle ou complète de la Constitution fédérale;
- l’adhésion à une organisation aux fins de la sécurité collective ou à
une organisation supranationale;
- la présentation, de manière urgente, d’une loi fédérale dont l’application
durera plus d’un an, et ce, sans qu’elle bénéficie des assises Constitutionnelles
requises (une telle loi doit être soumise au vote au cours de l’année
suivant son adoption par le Parlement);
- les initiatives populaires en faveur d’une revue complète de la Constitution;
- les initiatives populaires en faveur d’une revue partielle de la Constitution
sous forme de proposition générale qui aurait fait objet d’un rejet par le
Parlement;
- la question de savoir si une revue complète de la Constitution devrait
aller de l’avant si les deux chambres du Parlement s’y opposent.
Pour les trois premiers types de
référendums obligatoires, une double majorité est requise pour l’adoption: il
doit y avoir une majorité populaire (une majorité des suffrages exprimés au
référendum) ainsi qu’une majorité au sein d’une majorité des cantons. Pour les
trois derniers, qui s’inscrivent dans un processus d’initiative, une majorité
populaire suffit.
Les référendums facultatifs peuvent
porter sur des lois fédérales ou des traités internationaux, qu’ils soient
nouveaux ou amendés. Le référendum législatif facultatif a
trait à toutes les lois fédérales et les lois fédérales urgentes en vigueur
pour plus d’une année. Le
référendum facultatif sur des traités internationaux a trait aux
traités internationaux de durée illimitée et auxquels on ne peut mettre fin, ainsi
qu’aux traités internationaux qui prévoient une adhésion à un organisme
international ou ayant des dispositions législatives qui doivent être mises en œuvre
au moyen de lois fédérales. Les référendums facultatifs sont tenus une fois qu’on
a recueilli, dans un délai de 100 jours, 50 000 signatures en appui à sa
tenue ou si 8 cantons en font la demande; la question soumise est adoptée si
elle obtient une majorité populaire. Jusqu’en 2004, aucun groupe de cantons n’avait réussi à
obtenir la tenue d’un référendum facultatif; le premier du genre a eu lieu le
16 mai 2004.
Initiatives
On peut recourir aux initiatives afin
de proposer des changements à la Constitution fédérale. En outre, en 2003, la Suisse a adopté une
nouvelle forme d’initiative à utiliser par rapport à des dispositions législatives
d’ordre plus général. Une fois qu’une initiative est déposée, il faut
recueillir un nombre précis de signatures valables (soit les signatures des
électeurs inscrits) afin d’obliger le Conseil fédéral et le Parlement à prendre
l’initiative en considération et à tenir un référendum.
Des amendements à la Constitution peuvent
être proposés au moyen de deux types d’initiatives. L’initiative populaire en faveur d’une
revue partielle de la Constitution donne aux électeurs l’occasion de
proposer une ébauche des changements à apporter à une partie de la Constitution
fédérale. La tenue d’un référendum sur une proposition est sujette à la
cueillette de 100 000 signatures d’électeurs. L’initiative populaire en
faveur d’une revue complète de la Constitution nécessite également le soutien de 100 000
électeurs. Dans les deux cas, les signatures doivent être recueillies dans un
délai de 18 mois suivant le dépôt de l’initiative.
Depuis la fin de 2006, les électeurs
suisses peuvent aussi
recourir à l’initiative populaire générale. Celle-ci peut servir à ce qu’on
oblige la tenue d’un référendum sur l’adoption d’une proposition générale qui
sera intégrée à la Constitution ou qui deviendra loi; l’initiative doit
récolter l’appui de 100 000 signataires.
Jusqu’en 2006, les initiatives en
Suisse pouvaient être soumises comme une proposition générale ou dans le texte à
adopter si l’initiative proposée était adoptée. Depuis la mise en œuvre de l’initiative
populaire générale, l’initiative populaire en faveur d’une revue partielle de
la Constitution est acceptée seulement si elle prend la forme d’une proposition
écrite (l’initiative populaire générale devant servir pour les propositions d’ordre
général ayant trait à la Constitution). Si les initiatives satisfont aux
exigences entourant le nombre de signatures à recueillir, le Parlement suisse
conseille les citoyens sur l’adoption ou le rejet de la proposition. En
outre, le gouvernement peut formuler une contre-proposition qui apparaîtra sur
le bulletin. Lors du vote, les électeurs peuvent dire « oui » aux
deux propositions et le nombre de votes reçu détermine celle qu’ils préfèrent. La
proposition qui récolte le plus de votes est adoptée.
Formes de démocratie directe –
niveau cantonal
L’usage de la démocratie directe est
encore plus répandu dans les 26 cantons que compte la Suisse (soit les États),
mais il varie d’un canton à un autre. De 1970 à 2003, Zurich a tenu 457 référendums,
et Ticino, seulement 53 (le canton du Jura n’a tenu que 45 référendums mais n’a
été constitué comme tel – par voie de référendum – qu’en 1979).
Les cantons suisses ont recours aux
types de référendums et d’initiatives qui sont utilisés au niveau fédéral, et à
d’autres.
Contrairement au niveau fédéral,
depuis longtemps l’initiative législative
donne aux électeurs des cantons l’occasion de proposer des amendements aux
lois. Dans certains cantons, l’initiative
administrative peut être utilisée pour exiger la réalisation de certains
travaux sur le territoire (par exemple la construction de nouvelles écoles ou
de nouvelles routes). De plus, certains cantons prévoient une initiative obligeant
l’administration cantonale à déposer un projet de loi à l’assemblée fédérale.
Tous les cantons suisses prévoient des
référendums législatifs pour des lois adoptées par le parlement
cantonal; selon le canton, ces référendums sont obligatoires ou facultatifs.
Les référendums administratifs
peuvent porter sur les grands projets publics nécessitant d’importantes dépenses
gouvernementales (et pouvant entraîner une hausse des impôts); on les appelle
parfois les référendums budgétaires. Enfin, on peut tenir des référendums
administratifs sur des questions non budgétaires de l’administration publique
et mentionnées précédemment.
Caractéristiques de l’utilisation
de la démocratie directe en Suisse
Participation électorale
En moyenne, les électeurs suisses ont
la possibilité de se prononcer quatre fois par année à l’occasion de
référendums fédéraux. En général, les électeurs sont appelés aussi à voter sur différentes
questions cantonales et locales le jour d’un scrutin fédéral. Dans la deuxième
moitié du 20e siècle, le taux de participation aux référendums
fédéraux, qui oscillait entre 50 % et 70 %, est passé à une moyenne
d’environ 40 %; on observe un déclin semblable pour les élections
fédérales où le taux est passé d’environ 80 % à 45 %. Certains sont d’avis
que ce taux de participation relativement bas est lié au nombre absolu de votes
que les Suisses sont appelés à faire. Cependant, plusieurs soutiennent que le
pourcentage de la population qui est politiquement active est beaucoup plus
élevé que le chiffre de 40 %, car ce ne sont pas nécessairement les mêmes électeurs qui votent
d’une fois à l’autre.
Enjeux
Compte tenu du grand nombre d’occasions où l’on peut recourir à la
démocratie directe en Suisse, il ne faut guère s’étonner de la variété des
questions pouvant faire l’objet d’un référendum. Depuis
1990, ils ont porté sur des sujets tels que :
- l’interdiction de construire des centrales nucléaires;
- la construction de nouveaux chemins de fer dans les Alpes;
- une nouvelle Constitution fédérale;
- le contrôle de l’immigration;
- la suppression de l’armée;
- l’adhésion aux Nations
Unies;
- la diminution des heures
de travail;
- la libéralisation des marchés de l’électricité.
Incidence de la démocratie directe
Il ne fait aucun doute que la
démocratie directe a joué un rôle primordial dans l’élaboration du système
politique de la Suisse
moderne. Cependant, il importe de s’interroger sur l’incidence réelle de la
démocratie directe sur les questions législatives qui, dans d’autres pays, demeurent
sous la responsabilité des représentants élus.
D’un côté, on pourrait soutenir que
l’incidence est limitée : au cours du premier siècle (1891-2004) où l’on a
eu recours à l’initiative en Suisse, seules 14 initiatives ont été adoptées. Mais
cette statistique ne révèle pas les conséquences indirectes majeures de la
démocratie directe. Bien que la majorité des initiatives n’aient pas été
adoptées, le simple fait qu’il y a une initiative – et la campagne afférente – accroît
le bruit qu’il y a autour du dossier en question et la connaissance que le
public peut en avoir. Ceci peut créer une pression accrue sur le gouvernement et le pousser à adopter
des moyens pour traiter de la question, même s’il n’y est pas tenu en vertu du
résultat référendaire. Une initiative peut donc réussir à atteindre
certains des objectifs poursuivis par ses partisans, même si elle n’est pas
adoptée. Ce phénomène explique le dépôt en bonne et due forme, puis le retrait
de nombreuses initiatives, le gouvernement choisissant d’agir avant qu’une
initiative n’ait atteint l’étape du référendum.
Une autre incidence de la démocratie
directe en Suisse est la pression exercée sur le gouvernement afin qu’il
recherche un consensus plus large au sujet de mesures législatives (et constitutionnelles)
qu’il compte présenter que ce ne serait le cas dans un système fondé uniquement
sur la représentation. Dans un système de représentation, le parti au pouvoir
peut, en l’absence d’une forte majorité, devoir obtenir un large consensus sur
une question parmi les différents partis afin de s’assurer que le projet de loi
sera approuvé. Dans le système suisse, le spectre d’un référendum facultatif oblige
le gouvernement à s’assurer qu’il détient un consensus auprès de groupes non
parlementaires et ainsi contrer
la possibilité qu’ils s’activent en vue de faire annuler la nouvelle loi.
À l’inverse, l’importance de la
démocratie directe au sein du système suisse est souvent citée comme raison de
la faiblesse des partis politiques suisses et de la faible importance qu’on
attache, relativement parlant, aux élections. Ceci découle du fait que les
partis politiques ne sont pas les seuls à déterminer l’ordre du jour fédéral, étant donné la
prééminence de la démocratie directe. En outre, il arrive souvent que celle-ci
mette en présence des enjeux qui divisent les représentants des partis.