En juin 2004, les citoyens de 25
pays européens sont allés aux urnes pour élire leurs représentants au Parlement
européen. Nombreux sont ceux
qui le faisaient pour la première fois, alors que d’autres habitaient des pays qui
avaient déjà vécu l’expérience d’au moins cinq élections pour le Parlement. En
2004, tous ont tenu leurs élections avec un système électoral proportionnel.
Le premier texte de loi portant sur les élections au Parlement européen remonte
à 1976, après l’adoption de l’Acte portant
élection des représentants de l’assemblée au suffrage universel direct.
Comme le nom l’indique, cette loi déterminait les principes entourant l’élection
directe des représentants de chaque État membre. Au début de l’Union européenne,
les membres du Parlement européen étaient nommés par l’Assemblée
législative de chaque État membre, sans apport direct de l’électorat. Avec l’adoption
de l’Acte en 1976, désormais les membres seraient élus au suffrage universel
direct dans chaque État membre. Les premières élections du Parlement européen se
sont tenues en 1979 dans les neuf États membres, soit la Belgique, le Danemark, la France, la République fédérale
d’Allemagne, l’Italie, le Luxembourg, la Hollande, l’Irlande et le Royaume-Uni –
donnant lieu à l’élection de
410 représentants.
L’Acte de 1976 traitait de nombreuses questions liées aux élections, telles
que la durée du mandat parlementaire et l’admissibilité des candidats, mais il n’a
pas déterminé en soi le système électoral à utiliser lors de ces élections. Il a
donné au Parlement européen la responsabilité d’élaborer une proposition de
procédure électorale uniforme. Jusqu’à l’entrée en vigueur de cette procédure, la
loi laissait aux États membres le soin de décider des dispositions nationales entourant
les procédures électorales. Comme la plupart des États membres utilisaient
alors une forme ou une autre de représentation proportionnelle (RP) pour élire
les membres de leurs assemblées législatives, que ce soit de manière autonome ou
en tant que composante du système électoral, le choix du système électoral à
utiliser pour le Parlement européen a été simple. La Belgique, le Danemark, la République fédérale d’Allemagne, l’Italie, le Luxembourg
et la Hollande connaissaient une forme ou une autre de système de représentation
proportionnelle à scrutin de liste (RPSL) et tous leurs représentants ont donc été
élus sous un système de RPSL (exception faite du représentant du Groenland,
inclus dans la représentation du Danemark, qui a été élu sous le système de
scrutin majoritaire uninominal (SMU) jusqu’au retrait du Groenland de la
Communauté européenne en 1985). L’Irlande a choisi d’élire ses représentants en
utilisant son système préférentiel de vote unique transférable.
Il n’y avait que deux exceptions :
le Royaume-Uni (R.-U.) avec son système électoral de SMU et la France avec son système de scrutin
à deux tours pour les élections nationales constituaient les deux pays peu
familiers avec le système de RP. Le R.-U. a opté pour tout simplement
reproduire le système électoral utilisé aux élections à la Chambre des communes
et l’appliquer pour celles au
Parlement européen. Ce système convenait très bien aux deux grands partis, les
travaillistes et les conservateurs, et il rendait difficile l’entrée en scène d’un
troisième parti. La résistance contre la détention par un représentant d’un
double mandat a contribué également à l’adoption au R.-U. du SMU pour les
élections au Parlement européen. Si l’on devait interdire le fait de
servir simultanément au Parlement européen et au Parlement britannique, comme
le souhaitaient certains politiciens britanniques, et si une certaine forme de
RP devait être adoptée, les listes des partis étaient susceptibles de se
composer de candidats inconnus non élus à tout autre corps national ou local,
ce qui risquait de miner l’importance perçue des élections européennes. Un
système axé sur le candidat avec des circonscriptions uninominales où les
candidats seraient plus près de leur électorat était une meilleure solution, du
moins croyait-on. Mais cette façon de voir les choses ne pouvait s’appliquer à
l’Irlande du Nord. Le souci d’assurer la représentation des communautés majoritaires
et minoritaires, combiné au fait que les partis d’Angleterre, d’Écosse et du pays
de Galles ne participent pas normalement aux élections à cet endroit, a mené à
l’usage du scrutin à vote unique transférable pour
les trois sièges de l’Irlande du Nord. Il y a eu une tentative de contester en
cour l’utilisation du système de SMU pour les élections au Parlement européen
en Angleterre, en Écosse et au pays de Galles sur la base que l’Acte favorisait l’utilisation
d’une seule et même procédure électorale; mais cette tentative a échoué. Le
système utilisé en Angleterre, en Écosse et au pays de Galles n’a changé qu’en
1999 après l’adoption d’une loi sur les élections parlementaires européennes,
au moment où le R-U anticipait les changements qui seraient obligatoires avec l’amorce
du processus ayant conduit à la décision du Conseil de 2002 (voir ci-dessous). À
partir de 1999, le R.-U. s’est joint aux autres États membres pour utiliser un
système de RP, choisissant la RPSL avec des listes fermées et des
circonscriptions électorales régionales.
En France – en dépit de son système
de scrutin à deux tours utilisé aux élections pour l’Assemblée nationale – un
système de RP de liste fermée à une circonscription nationale a été adopté dès
1977, avant les premières élections du Parlement européen en 1979. Il y a
plusieurs raisons à cela. L’un des principaux avantages d’un système
majoritaire – la formation de gouvernements majoritaires stables – n’était de
toute évidence pas pertinent pour ces élections et la représentation
proportionnelle de tous les partis politiques était perçue comme étant un
critère beaucoup plus
important pour la conception du système électoral. La circonscription nationale
et le seuil de 5 % étaient vus comme procurant un équilibre entre un fort
caractère proportionnel d’une part, et le désir d’exclure des partis bénéficiant
de peu de soutien, d’autre part. La possibilité de pourvoir aux sièges
vacants entre les élections par la personne suivante sur la liste d’un parti – écartant
de ce fait la nécessité de tenir des élections partielles – est un autre
avantage ayant conduit à l’adoption du système de RPSL. Après cinq élections,
le souhait de renforcer le rapport entre les électeurs et les représentants et
le désir d’une plus grande représentation géographique (un nombre
disproportionné de ceux élus résidait à Paris) ont conduit à l’abandon de la
circonscription nationale avant l’élection de 2004. Celle-ci a été remplacée
par huit circonscriptions plurinominales destinées à élire les 78 représentants
de la France
au Parlement européen.
L’autre texte législatif important régissant
les élections du Parlement européen a été adopté en 2002, soit la décision
8964/02 du Conseil modifiant l’Acte portant
l’élection des représentants de
l’assemblée au suffrage universel direct, un amendement à l’Acte de 1976. Ainsi, 26 ans
après l’institution de dispositions sur des élections directes, cette décision a
précisé une famille commune de systèmes électoraux devant s’appliquer dans tous
les États membres pour les élections au Parlement européen. L’article 1
stipule : « Dans chaque État membre, les membres du Parlement européen
seront élus sur la base de la représentation proportionnelle, en utilisant le
système de listes ou le scrutin à vote unique
transférable ». Aux élections de 2004, tous les 25 États membres ont
utilisé un système de RP.
Alors que tous ces systèmes
appartiennent à la même famille, ils diffèrent également à quelques égards. En
tout, 23 pays (l’Allemagne, l’Autriche,
la Belgique,
Chypre, le Danemark, l’Espagne,
l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, la
Hollande, la Hongrie, l’Italie, la
Lettonie, la
Lituanie, le Luxembourg, la Pologne, le Portugal, la
République tchèque, la
Slovaquie, la Slovénie,
la Suède et le R.-U.) utilisent la RPSL, alors que la République de Malte et l’Irlande
emploient le scrutin à vote unique transférable.
Ces différences ne sont pas une surprise puisque le système de RPSL représente au
moins une partie du système électoral pour les assemblées législatives nationales
de 21 des 23 pays (la France
et le R.-U. étant les exceptions), alors que l’Irlande et la République de
Malte utilisent le scrutin à vote unique transférable
pour leurs élections nationales. Dans les 23 pays utilisant la RPSL,
certains font usage de listes fermées, alors que d’autres ont fait le choix de listes ouvertes
– un choix qui dans la plupart des cas reflètent ceux des élections nationales,
à l’exception de la Grèce. De même, certains États membres, particulièrement
les plus petits, élisent leurs membres à partir d’une circonscription
nationale, alors que d’autres ont institué un certain nombre de
circonscriptions au niveau régional. Le seuil d’admissibilité pour obtenir
une représentation au sein des différents États membres varie également. La
décision de 2002 permet à chaque pays de déterminer le seuil, mais elle fixe le
plafond de tout seuil officiel à 5 %. Certains pays, par exemple Chypre, la Hongrie et la Suède, emploient des seuils officiels,
reflétant encore pour la plupart leur utilisation au niveau national (bien que la Belgique, qui emploie un
seuil officiel pour les élections nationales, ne le fasse pas pour les
élections au Parlement européen). Outre les seuils officiels, le niveau réel du
soutien requis pour obtenir une représentation – les seuils naturels – varie de
manière importante entre les États membres. La raison pour ces écarts entre les
seuils réside dans la combinaison du nombre de représentants à élire dans
chaque pays et de la détermination des circonscriptions électorales (plus
spécifiquement, le nombre de représentants à élire dans chaque circonscription).
L’Italie, avec une circonscription nationale et 78 représentants à élire, a un seuil d’admissibilité
dans les faits qui est très faible, soit moins de 1 %; en Irlande, les
quatre circonscriptions électorales et les 13 représentants signifient qu’un candidat
gagnant sous le scrutin à vote unique transférable aura
remporté un pourcentage beaucoup plus élevé des suffrages. En 2004, les
gagnants en Irlande ont reçu entre 12,9 % et 25,9 % des votes de
première préférence dans leur circonscription.
Même si une famille commune de
systèmes électoraux est maintenant indiquée pour les élections au Parlement européen,
peu d’indices militent en faveur d’une plus grande intégration. Bien que des
groupes de parti se constituent au sein du Parlement européen, il n’y a aucun
signe que les partis nationaux soient disposés à abandonner tout rôle important
de chef de file aux partis paneuropéens. Il est donc fort probable que les
décisions entourant les détails du système électoral demeureront la chasse
gardée des politiciens nationaux, qui agiront en tenant compte de leurs propres
intérêts et de leurs traditions nationales existantes. Il y a plus de chances
que le débat porte sur le faible taux de participation électorale aux élections
du Parlement européen, une préoccupation majeure des États membres de l’Union
européenne. En dépit de l’utilisation d’un système de RP dans tous les pays – une
famille de système électoral qui est liée habituellement à un taux de
participation électorale plus élevé que d’autres systèmes – le taux de
participation reste encore très faible. Aux élections de 2004, les 15 pays
membres avant l’élargissement en 2004 affichaient un taux moyen de
participation de 52,9 % et les 10 nouveaux États membres avaient un score encore
plus bas avec 40,2 %. Il s’avère qu’aussi longtemps que l’électorat verra les
élections du Parlement européen d’un œil secondaire, ne sachant trop ce qui changerait si les résultats
électoraux étaient différents, l’intérêt et le taux de participation resteront peu
élevés. Les systèmes électoraux utilisés ne constituent pas un sujet de controverse
et il y a peu de débat important en vue de les amender. Il est donc probable que les
systèmes électoraux demeureront assez stables dans un proche avenir.