Par Velko Miloev
Introduction
Dans le cadre d’un système électoral de représentation
proportionnelle (PR), la possibilité de soutenir des candidats individuels des
listes ouvertes de partis est largement perçue comme un réel progrès
démocratique tant en Bulgarie qu’en Bosnie‑Herzégovine. Toutefois, le recours
au « vote préférentiel » a entraîné des répercussions inattendues
dans les deux pays. Ce sont de ces répercussions que traite la présente étude
de cas.
En Bosnie‑Herzégovine, appelé ci‑dessous BA ou Bosnie pour
faire court, l’utilisation des listes ouvertes s’avère être un succès depuis
l’année 2000. Cependant, de principaux acteurs politiques prônent depuis de
nombreuses années le retour aux listes fermées. À la suite d’une nouvelle vague
d’allégations d’abus du système de vote préférentiel lors des élections de
2014, cette question risque fort bien de continuer à alimenter le débat sur la
réforme électorale actuelle.
En Bulgarie, tout comme en Bosnie, l’appui du public aux
listes ouvertes est relié à la déception générale des électeurs envers les
élites politiques. Cependant, contrairement au cas de la Bosnie, où les listes
ouvertes ont facilement été introduites alors que les élections d’après-guerre
étaient encore administrées internationalement, il a fallu des années de
pression de la part de la société civile pour obtenir des listes ouvertes
réglementées de façon à donner aux électeurs l’occasion concrète de réorganiser
les candidats en 2014. Certains partis ont réagi à ce statu quo en suggérant à
maintes reprises de reconsidérer leur usage.
En Bosnie, un électeur peut sélectionner autant de
candidats individuels qu’il y a de noms sur la liste du parti sans avoir à
fournir un ordre de préférence. L’ajout, lors du dépouillement, de faux votes
préférentiels sur les bulletins par des fonctionnaires électoraux corrompus est
possiblement le plus grave problème survenu le jour du scrutin. En somme, les
candidats organisent le vol de votes sur de la liste de partis.
En Bulgarie, le bulletin de vote comprend les numéros
et les noms de tous les partis politiques ainsi que des boîtes numérotées afin que
l’électeur, s’il le désire, puisse cocher le numéro du candidat qu’il préfère.
En 2014, de nombreux électeurs ont utilisé cette option de façon judicieuse, bien
que des candidats peu connus, chanceux d’avoir le même numéro dans la liste de
candidats que le numéro du bulletin de vote de leur parti, aient remporté
diverses victoires écrasantes, ce qui a entaché les élections de 2014.
Cette étude de cas examine de nombreux enjeux, y
compris le cadre juridique, la conception des bulletins de vote, le rôle des
partis politiques et de la société civile dans le débat électoral, les
techniques de campagne électorale et l’éducation civique.
Le cas de la Bosnie – une réalisation
démocratique entachée de fraude?
Le cadre juridique et
l’histoire des listes ouvertes
La Bosnie-Herzégovine utilise actuellement un système
de représentation proportionnelle à scrutin de listes ouvertes pour les
chambres basses du parlement national et les parlements des deux entités
semi-autonomes, les assemblées cantonales et les élections des conseils
municipaux.[1]
Un électeur peut marquer un nombre illimité de
candidats sur une liste. Tous les noms des candidats apparaissent sur le
bulletin de vote, ce qui en fait un assez grand bulletin (taille A2), sans que
ce dernier soit nécessairement difficile à gérer. Les mandats sont d’abord attribués
dans les circonscriptions plurinominales par des sujets politiques (des partis,
des coalitions et des candidats indépendants) au moyen de la formule Sainte‑Laguë.
Ensuite, pour chaque liste gagnante, des sièges sont attribués aux candidats en
commençant par ceux qui ont reçu le plus grand nombre de préférences, pourvu
qu’ils constituent 5 % ou plus des votes valides pour le parti.[2]
Figure 1‑ Détails de matériel de formation fait par la
Commission électorale centrale de la Bosnie‑Herzégovine expliquant le marquage
du bulletin de vote.
Dès l’introduction de la liste ouverte, la population
bosniaque a accueilli le concept à bras ouverts. En 1999, l’auteur de cette
étude, gestionnaire de projet à l’un des bureaux de la Fondation internationale
pour les systèmes électoraux en Bosnie, a eu la chance de superviser les formateurs
localement embauchés par IFES, lesquels soutenaient une campagne d’information
publique sur la nouvelle loi électorale de la Bosnie menée à l’échelle
nationale par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
(OSCE). Des activités communautaires menées en personne ont clairement confirmé
que les citoyens comprenaient très bien le processus de voter pour des
candidats et que cette méthode leur plaisait. Les commentaires des citoyens reflétaient
leur mécontentement croissant à l’égard du sous-rendement des partis politiques
et du manque de responsabilisation dont ils ont fait preuve assez tôt au début
du processus de démocratisation de la Bosnie engendrée à la suite de la guerre
de 1992-1996.
Les listes ouvertes ont d’abord été testées lors des
élections municipales en avril 2000, avant d’être également utilisées pour les
élections générales à l’automne de la même année.[3]
Bien que l’auteur de cette étude n’ait pu trouver des statistiques sur la mise
en place des listes ouvertes à travers le pays, une révision rapide des
résultats électoraux de l’année 2000 a permis de constater le succès des listes
ouvertes : sans ces préférences, quelque 20 % des nouveaux
conseillers municipaux n’auraient pas été élus.
Dix ans plus tard, la société civile bosniaque a dû
défendre ce système puisqu’au cours des cinq dernières années, au moins quatre
principaux partis politiques en ont réclamé la fermeture.[4]
Les avantages et les inconvénients, les
arguments valables et contestables pour la fermeture des listes
Une déclaration
publique effectuée par le parti de l’action démocratique (SDA) faite en janvier
2010 a exposé les raisons suivantes d’abandonner les listes ouvertes :[5]
- Garantir
la représentation de tous les candidats et des députés dans les parlements de
la Bosnie[6];
- Garantir
la représentation des femmes et des jeunes;
- Permettre
une juste représentation territoriale dans les circonscriptions plurinominales
électorales;
- Assurer
un niveau de qualification satisfaisant des candidats élus et
- prévenir
la fraude électorale pouvant être commise par les comités des bureaux de vote (PSC)
qui ajoutent de fausses préférences au bulletin.
« L’élimination de l’ingénierie électorale et une
meilleure représentation des femmes » constituaient d’autres arguments
présentés dans un accord de 2012 entre le parti social‑démocrate et le l’Alliance
des sociaux-démocrates indépendants (SNSD) sur l’action législative.[7]
Les listes ouvertes et fermées ont fait l’objet de
débat avant les élections générales de 2010 et de 2014. De plus, les groupes de
travail officiels chargés de proposer des changements dans la loi électorale
ont également traité de la question.[8]
À ce jour, les listes de candidats en Bosnie sont encore
ouvertes pour de nombreuses raisons, dont le fait que les acteurs politiques
bosniaques n’arrivent pas à parvenir à un consensus parlementaire sur aucune
réforme, y compris sur la réforme électorale, ainsi que la pression des groupes
de la société civile tels que les ONG et les médias. La société civile a
qualifié l’éventuelle fermeture des listes d’un « autre pas vers le
totalitarisme et d’un pouvoir décisionnel limité aux individus les plus près du
pouvoir » ce qui mènerait à une « plus grande limitation de l’influence
des citoyens sur les développements politiques[9] ».
D’autres observateurs ou représentants de partis politiques ont affirmé que la
fermeture des listes représenterait un recul par rapport à un exploit
démocratique et qu’elle affecterait le taux de participation des électeurs de
façon négative.[10]
En effet, la plupart des arguments en faveur de la
fermeture des listes semblent, dans une certaine mesure, avoir été falsifiés et
conçus uniquement pour cacher le désir des partis de reprendre le contrôle sur l’élection
des députés.
En ce qui concerne la proportion des femmes dans les
parlements de la Bosnie, elle semble effectivement poser problème, sans
toutefois se retrouver au cœur du débat électoral. Comme c’est le cas dans les
autres pays qui pratiquent à la fois les quotas de genre et les listes
ouvertes, ces deux aspirations positives sont incompatibles. Dans cette
optique, des modifications ont été apportées à la loi électorale avant les
élections de 2014 : l’augmentation des quotas de femmes de 25 à 40 % et
la répartition égale des noms féminins sur chaque liste des candidats. En fin
de compte, les femmes n’ont remporté que 19 % des sièges au parlement et
ce taux a été atteint grâce aux préférences des électeurs.[11] Toutefois,
les partis n’ont jamais interrogé les citoyens afin de savoir s’ils seraient
prêts à sacrifier les listes ouvertes en faveur d’une plus grande
représentation féminine.
En outre, l’attention accordée aux minorités ne semble
pas être authentique. Le cadre juridique électoral de la Bosnie contient
toujours des limitations constitutionnelles en matière de droits actif et passif
basées sur l’ethnicité des citoyens, ce qui affecte particulièrement ceux qui
ne s’identifient pas à l’un des trois types d’électeurs. Ces limitations
contredisent un certain nombre de documents obligatoires et de recommandations
de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (PACE), de l’UE et de la
décision de 2009 de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Tel que
l’OSCE et le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme
(BIDDH) l’ont affirmé dans leur rapport final sur les élections de 2014, « il
est regrettable qu’il s’agisse de la deuxième élection contrevenant à l’arrêt
de Sejdić et Finci de la CEDH. »[12]
Les autres arguments pour la fermeture des listes sont
également loin d’être convaincants. Quant aux petites unités électorales en
Bosnie, l’argument d’une meilleure représentation territoriale n’est pas très
pertinent et les électeurs qui ont recours aux préférences considéreraient
certainement les candidats qui seraient enclins à venir s’adresser à l’ensemble
des citoyens de leur circonscription après avoir été élus. Il est également
très peu probable que les électeurs seraient
prêts à sacrifier les compétences des députés en soutenant d’autres candidats
moins qualifiés.
À la lumière de tous ces arguments, les allégations de
manipulation des listes ouvertes qui, depuis 2008, se sont multipliées lors des
élections semblent crédibles.
Le recours abusif aux listes
ouvertes – un problème exclusif à la Bosnie
L’ajout de fausses préférences à des candidats
individuels par les membres d’un Comité de bureau de vote représente
probablement la violation la plus inquiétante survenue en Bosnie le jour du
scrutin. Ce comportement frauduleux requiert une complicité entre les membres
du comité de bureau de vote et les individus présents lors du dépouillement.[13]
Une telle complicité, semble-t-il, n’est pas très difficile à établir puisque
l’ajout de fausses préférences représente le vol de votes des autres candidats parmi
la même liste plutôt que des autres partis. Donc, un membre du Comité chargé
d’effectuer le dépouillement des votes individuels des bulletins d’un parti
l’ayant nommé préposé au scrutin pourrait simplement ajouter des X à côté des
noms de certains candidats. En Bosnie, les Comités des bureaux de vote sont
nommés en fonction des nominations des partis seulement, lesquels se font par
tirage au sort. Par exemple, une fois que le parti A obtient certains postes
dans des bureaux de vote, il pourrait les offrir au parti B, qui nommerait ses
fidèles partisans, officiellement au nom du parti A. Il pourrait s’agir d’un compromis pour de
l’argent, ou le parti A et le parti B pourraient « s’échanger » les
postes des préposés au scrutin dans des régions où les deux partis partagent le
désir de gagner. Cette pratique complète illégalement l’achat des préposés au
scrutin ainsi que l’intimidation et la corruption des observateurs. En théorie,
la composition d’un comité de bureau de vote semble suivre le règlement selon
lequel aucun des candidats électoraux ne peut être représenté par plus d’un
membre, alors qu’en réalité, un certain Comité pourrait entièrement contrôler
un ou deux partis politiques.
Il est difficile d’observer et de prouver un crime
consenti. De plus, la Commission électorale centrale (CEC) de la
Bosnie-Herzégovine ne publie pas dans les bureaux de vote des résultats d’élections
suffisamment détaillés pour pouvoir en faire une analyse exhaustive. Pour cette
raison, les rapports sur la modification des votes préférentiels se font plutôt
rares. Toutefois, il existe des indices plus évidents de fraude électorale :
par exemple, lorsqu’un candidat qui n’est ni résident ni populaire remporte des
centaines de votes préférentiels dans un certain bureau de vote et aucun dans
un autre bureau de vote de la même communauté. Il est également très suspect
lorsqu’un candidat reçoit un nombre de votes préférentiels qui atteint la
quasi-totalité du nombre de votes de leur parti. Enfin, de nombreux sujets politiques
marginaux, en particulier des candidats indépendants et des partis « fantômes »
ne reçoivent presque qu’aucun vote. Des observateurs croient que ces sujets se
sont enregistrés aux élections simplement pour obtenir des postes dans les
comités qu’ils échangeaient par la suite.
Pour la première fois en une décennie, les élections
générales d’octobre 2014 ont connu un grand effort d’observation impartiale à
l’échelle nationale. Une coalition de sept ONG appelée « Pod lupom »,
sous la loupe, était présente dans 25 % de l’ensemble des bureaux de vote
du pays sélectionnés de façon aléatoire[14]. Seul
0.6 % des observateurs de la coalition ont déclaré avoir été témoins de
l’ajout de préférences lors du dépouillement. Ces données peuvent être perçues
comme étant la preuve que les observateurs indépendants peuvent dissuader les
gens de commettre une fraude.
À la fin de l’automne 2014, alors que cet auteur a
mené de nombreuses entrevues officielles et informelles avec des membres de
l’administration électorale et des hauts représentants de partis à Sarajevo,
ces derniers ont mentionné à nouveau que le recours abusif aux listes ouvertes
était un problème courant ou, du moins, une préoccupation majeure pour les
bureaux de vote qui n’étaient pas surveillés par des observateurs non partisans.
Certains des interlocuteurs ont suggéré la fermeture des listes.
Les solutions possibles pour
sauver les listes ouvertes de partis
De nombreux intervenants de l’administration
électorale et de la société civile insistent à modifier le modèle politique
actuel par un modèle politico-professionnel où les Comités de bureaux de vote sont
chargés des nominations. Ceci implique que le président ainsi que d’autres
membres sont sélectionnés parmi les fonctionnaires par les commissions
électorales municipales.[15]
En outre, les Bosniaques ont pu citer des exemples de
listes ouvertes employées à travers l’Europe et le reste du monde où l’on prête
une attention particulière au nombre de votes préférentiels accordés à chaque
électeur et à la conception du bulletin de vote.[16]
Le fait de limiter les préférences de l’électeur à
deux ou trois candidats serait probablement une option réaliste selon l’électeur
moyen et faciliterait la détection de toute autre marque sur les bulletins. Si une
seule préférence est accordée pour une liste de parti, toute marque supplémentaire
rendrait le bulletin de vote valide que pour cette liste.
Contrairement aux pratiques de la Bosnie, où des
stylos et des crayons sont offerts sur les tables de dépouillement,
l’utilisation de tampons encreurs comme outils de marquage des bulletins
faciliterait le contrôle d’activités frauduleuses.
Une conception de bulletin plus simple, sans les noms
des candidats, permettrait aux membres des comités des bureaux de vote et aux
observateurs d’exercer un meilleur contrôle lors du dépouillement et de
résoudre d’autres problèmes techniques de la Bosnie en matière d’impression,
d’emballage et de contrôle des bulletins de vote tout au long du processus. Un
tel bulletin ne contiendrait que des boîtes pour indiquer le ou les numéros de
la liste des candidats préférés.
Figure SEQ - Figure 2: partie d’un bulletin de vote
employé lors des élections de 2013 du Conseil municipal au Kosovo. Veuillez
noter que les boîtes des numéros de la liste des candidats commencent à partir
du N° 2. Aucune préférence marquée ne compte automatiquement pour le N° 1 sur
la liste.
De plus, un bulletin de vote en blanc qui, par
exemple, n’a que deux boîtes où l’on peut entrer des chiffres est très
inhabituel en Bosnie. Cependant, ce type de bulletin éliminerait presque
entièrement les options de changer les préférences de l’électeur.
Toutefois, plus important encore, le fait que les gens
espèrent que la présence continue des observateurs non partisans à l’échelle
nationale continuera de limiter les différents types de fraude commise dans les
bureaux de vote. Des résultats plus détaillés publiés par la Commission
électorale centrale permettraient aux observateurs d’employer des outils
statistiques pour détecter tout signe de fraude, y compris les écarts suspects
dans les nombres de préférences des candidats.
D’ici la mi-septembre 2015, le groupe de travail interinstitutionnel
habituel pour la modification de la législation sera sur le point de commencer son
travail. Il reste à voir les nouvelles propositions qui seront soumises. Tout
dépend de la volonté des politiciens d’accepter les recommandations de la
société civile, de l’administration électorale et de la communauté
internationale.
La réforme électorale en
Bulgarie - les citoyens contre l’établissement politique
Historique du débat sur les
listes ouvertes de partis
Les Bulgares ont voté à liste ouverte pour la première
fois aux élections du Parlement européen (PE) en mai 2007, seulement quelques
mois après que le pays soit devenu membre de l’Union européenne. Afin qu’un
candidat « monte dans la liste », il devait recevoir un certain
nombre de préférences équivalant à au moins 15 % de tous les votes valides
pour le parti. Tel que certaines personnes l’avaient prédit, ce processus n’a
pas fonctionné. Depuis, le seuil requis pour que les préférences s’appliquent
est un problème majeur du débat électoral. De plus, les lois ne permettent
qu’un seul vote préférentiel depuis 2007.
En 2011, les 10 partis centristes GERB[17]
au pouvoir ont adopté le tout premier Code électoral bulgare, lequel a remplacé
les quatre lois qui réglementaient auparavant les différents types d’élections.
Le seuil établi afin que comptent les préférences était de 9 % pour
l’Assemblée nationale et de 6 % pour les élections du Parlement européen.
Cependant, avant les élections nationales de 2013, GERB ainsi que la plupart
des députés s’entendaient pour éliminer le
« vote préférentiel » du Code électoral. Apparemment, les
politiciens craignaient les répercussions de l’application initiale des listes
ouvertes dans les circonscriptions de tailles inégales[18]
et se préoccupaient des confrontations entre les candidats du même parti.
Un autre problème technique a également fait
surface : les députés ne savaient pas comment concevoir le bulletin de
vote. On croyait à l’époque que tous les noms des candidats devaient se retrouver sur le bulletin à
liste ouverte. Puisque le pays compte environ 20 à 30 partis et coalitions se
présentant aux élections nationales, le bulletin de vote serait devenu beaucoup
trop gros comparativement à ce que les Bulgares utilisaient auparavant. Pour
cette raison, le Code prévoyait qu’il y aurait des bulletins distincts pour
chaque parti qui seraient placés dans des « boîtes modulaires » derrière
les isoloirs. En effet, un appareil électronique ne fournirait qu’un seul
bulletin de vote au moment où l’électeur appuierait sur le bouton du parti
choisi.[19]
Il s’est avéré que les rédacteurs du Code ne savaient pas comment concevoir et
produire ces dispositifs.[20]
Des organisations de la société civile et certains politiciens ont tenté de
défendre les listes ouvertes, mais ont perdu ce tour du débat.[21]
À la suite des élections de 2013, une nouvelle
majorité parlementaire formée autour du Parti socialiste bulgare a opté pour
l’élaboration d’un nouveau Code électoral. Dans un effort de mieux répondre aux
demandes des citoyens, les membres de cette majorité ont formé un Conseil public
au comité parlementaire intérimaire pour le développement du Code. Un rapport
officiel résumant les diverses propositions a souligné que les ONG ainsi que
les experts indépendants éminents ont presque tous soutenu les listes ouvertes
aux seuils très bas, voire nuls, dans toutes les élections à représentation
proportionnelle.[22]
Un plus petit nombre de personnes ont insisté qu’il devrait être obligatoire d’indiquer plusieurs préférences,
lesquelles auraient un poids égal comme c’est le cas en Bosnie. L’expression la
plus courante de ce rapport, aussi évidente dans les débats électoraux bulgares
des dernières années, était « l’élément majoritaire. »
Techniquement parlant, un élément majoritaire implique
l’introduction d’un système électoral mixte et un certain nombre de députés
élus à partir de listes ouvertes et d’autres, élus à partir d’un système électoral
majoritaire dans des circonscriptions uninominales. Le contexte politique
général en Bulgarie a certaines caractéristiques en commun avec celui de la
Bosnie‑Herzégovine. En Bulgarie, certains se préoccupent du fait que les partis
accumulent trop de pouvoir qu’ils emploient pour faciliter des accords
politiques non transparents à l’appui de divers intérêts économiques. De telles
préoccupations expliquent la raison pour laquelle les citoyens désirent choisir
leurs représentants au moyen des listes ouvertes. La classe politique, d’un
autre côté, préfère nommer leurs propres membres disciplinés du parlement.
Un exemple frappant de majorités parlementaires ad hoc
ayant pris des décisions à l’encontre de l’opinion publique date de 2015
lorsque les partis de l’Assemblée nationale ont annulé le référendum prévu sur
l’introduction d’un système électoral mixte majoritaire et à représentation
proportionnelle. Cette annulation est survenue malgré le fait que deux des
partis avaient déjà aidé à recueillir les 500 000 signatures nécessaires pour
lancer le référendum.[23]
En nous rappelant le débat de 2013 sur les seuils en
matière de listes ouvertes de partis, ce dernier met clairement en évidence le
désir des partis de garder le contrôle sur les futurs représentants du peuple.
Les partis politiques sont légitimement préoccupés par le fait qu’avec un seuil
très bas, de petits groupes organisés seraient en mesure d’influencer la
plupart des électeurs.[24]
Néanmoins, ils ont rejeté l’éventuelle solution de rendre le vote préférentiel
obligatoire alors que, malgré l’échec du seuil de 15 % en Bulgarie,
certains partis ont insisté sur le fait d’imposer un seuil de 20 %. Le
Mouvement des droits et des libertés (MDL), l’opposant le plus farouche aux
listes ouvertes, a demandé un seuil de 50 %.[25]
Le nouveau Code électoral a été adopté en février 2014
et a maintenu le système à représentation proportionnelle en place avec une
liste ouverte et une seule préférence. Afin que ces préférences s’appliquent,
il prévoit qu’un candidat doit recevoir au moins 7 % de tous les votes
valides de la liste aux élections de l’Assemblée nationale, 5 % aux
élections du Parlement européen et 7 % pour les quotas municipaux aux élections
des conseils municipaux.[26]
Pour bon nombre de députés qui désiraient un élément majoritaire et des seuils
inférieurs, il s’agissait d’une grande déception.[27] Le
règlement selon lequel le candidat situé en haut de la liste recevrait un vote
dans le cas où l’électeur n’indiquerait aucune préférence sur son bulletin a
suscité davantage de déception.[28]
Le bulletin de vote à la Sudoku et ses
répercussions
En dépit de ces insatisfactions envers ces
dispositions juridiques, le système de vote préférentiel a tout de même
fonctionné lors des élections suivantes. La société civile a non seulement
réussi à atteindre des seuils non excessifs, mais également à introduire une
nouvelle conception de bulletin de vote. Au Conseil municipal, le chef de la commission
parlementaire a démontré une mosaïque de bulletins de vote des élections
précédentes contenant tous les noms des candidats collés sur une feuille de
taille A1 afin de démontrer qu’il était impossible de gérer un bulletin de vote
à liste ouverte. Un membre a ensuite montré au Conseil un échantillon de
bulletin de vote d’une élection du Kosovo, que l’auteur de cette étude avait examiné,
voire la figure deux). C’est avec enthousiasme et scepticisme que la Commission
parlementaire a accepté cette conception.
Figure 3 – La conception générique initiale du
bulletin de vote pour l’élection bulgare de 2014 au Parlement européen.
La section du côté droit, c'est-à-dire les boîtes pour
marquer les candidats individuels d’une liste de numéros respectifs, est connue
sous le nom de « Sudoku ». Ensuite, le MDL a proposé que les carrés
soient remplacés par des cercles afin que les partis opposés aux listes
ouvertes puissent expliquer plus facilement à leurs partisans de ne pas se
préoccuper des votes préférentiels.
Selon différents sondages effectués à la sortie des
bureaux de vote et des rapports d’observateurs, entre 26 et 42 % des électeurs
bulgares ont marqué une préférence lors des élections du Parlement européen de
mai 2014. Quatre des 17 députés bulgares au Parlement européen ont été élus
grâce à ces votes individuels.[29] Cela
inclut un cas d’une importance politique singulière pour le Bloc réformiste
(RB) : le deuxième candidat sur la liste de la coalition de centre
nouvellement établie a battu le premier candidat et a remporté le seul siège du
RB. Le cas du Parti socialiste bulgare (BSP), lequel était représenté par le
numéro 15 sur son bulletin de parti, est
encore plus étonnant. Très peu connu à l’époque, le jeune candidat N° 15 a
obtenu 34 124 des votes préférentiels alors que le leader du parti, dont le nom
était situé en tête de liste, n’a obtenu que 28 039 votes. Ce phénomène est
connu comme l’effet 15/15. Ce type de résultats s’est reproduit à nouveau aux
élections de l’Assemblée nationale au mois d’octobre de la même année dans un
format 9/9, 11/11, 18/18, etc. Un certain nombre de facteurs ont contribué à ce
phénomène indésirable.
D’abord, les campagnes électorales des partis ont
fréquemment mis l’accent sur le numéro de la liste du parti politique en
question. Cela peut grandement porter à confusion, surtout pour les électeurs
moins instruits qui vivent dans les secteurs ruraux. Ensuite, la plupart des
candidats n’ont pas mené de campagne électorale pour obtenir des votes
préférentiels et les efforts d’éducation des électeurs de la CEC étaient limités et insuffisants. Une vidéo
mal créée d’une durée de 38 secondes n’a pas su familiariser le public à la
nouvelle conception des bulletins de vote ni même informer correctement les
observateurs qui avaient de la difficulté à trouver l’exemple du bulletin caché
parmi des centaines de règlements administratifs et de pièces jointes sur le
site Web de la CCE.
Histoire à succès, avenir
incertain
Une étude publiée par l’ONG bulgare IPED a utilisé les
résultats des protocoles de circonscriptions plurinominales afin de démontrer
qu’en octobre 2014, 35 % des électeurs avaient marqué un vote
préférentiel. En raison de ces électeurs, inégalement répartis entre les partis
et les régions. 20 des 240 membres de l’Assemblée nationale ont été élus grâce
au vote préférentiel.[30]
Une évaluation rapide et aléatoire des résultats
officiels suffit pour constater de nombreux cas où des candidats classés au bas
de la liste qui avaient le même numéro que celui du bulletin correspondant à
leur parti ont reçu un nombre impressionnant de votes individuels. Selon
l’IPED, l’effet 15/15 est responsable de 12.3 % des préférences. Plusieurs
candidats retenus ont refusé leur siège en avouant qu’ils ne les avaient pas
mérités.
En 2014, les listes ouvertes ont tout de même
fonctionné pour la première fois au pays malgré les seuils de cinq ou de sept pour
cent, les faibles attentes et l’opposition politique.[31] Certaines
déclarations publiques ont indiqué que les partis étaient surpris des
répercussions des listes ouvertes. Certaines allégations imprécises et non
fondées selon lesquelles les votes préférentiels avaient engendré un grand
nombre de votes nuls mentionnent l’emploi du phénomène 15/15 comme raison pour
tenter de fermer les listes.[32]
L’histoire de la réforme électorale en Bulgarie a été
témoin de cas où, en modifiant les lois afin de répondre aux besoins du public
sur un enjeu, l’on peut inverser les progrès faits dans le cadre d’un autre
enjeu. La société civile doit rester en état d’alerte et doit se battre pour
conserver les progrès déjà réalisés lors les débats officiels. En outre, les
OSC pourraient prendre la responsabilité de mettre en œuvres des programmes
d’éducation des électeurs soutenus par la CEC. Une approche plus dynamique pour
attirer les citoyens au moyen de recherche et de propositions de grande qualité
ne peut être que bénéfique dans la réalisation de la réforme électorale.
[2] Ibid. Articles 5.14, 5.15, 9,5,
9.8.
[3] Toujours tenu en vertu des règles et réglementations
de la Commission électorale provisoire présidée à l’échelle internationale.
[4] Pour cette étude de cas, la recherche en ligne
s’est effectuée à partir du mois de janvier 2010, avant les élections générales
qui ont eu lieu la même année, jusqu’au mois de septembre 2015. Les partis concernés sont : le Parti
d’action démocratique (SDA), le Parti social-démocrate (SDP), l’Union
démocratique croate de Bosnie‑Herzégovine (HDZ‑BiH) et l’Alliance des
sociaux-démocrates indépendants (SNSD).
[6] Selon la constitution de la Bosnie‑Herzégovine,
les électeurs sont composés de Serbes de la Bosnie, de Croates de la Bosnie et
de musulmans de la Bosnie (Bosniaques). Les citoyens qui n’appartiennent à
aucune des catégories ci-dessus forment une catégorie « autres ».
[13] Jusqu’en 2014, il y avait seulement un grand
nombre d’agents électoraux des partis, mais très peu d’observateurs non
partisans.
[14] L’auteur de cette étude de cas a servi d’expert
d’observation électorale de l’UE à la Coalition de juin 2014 à mars 2015.
[17] Citoyens pour le développement européen de la
Bulgarie (GERB).
[18] Pour les élections au PE bulgare est une
circonscription plurinominale.
[19] Les bulletins de vote séparés pour chaque parti
ont été utilisés lors des élections précédentes, tout simplement mis sur une
table dans un bureau de vote, mais certains se préoccupaient du manque de
contrôle des bulletins de vote.
[23] Le référendum a été officiellement proposé par
le Président de la République à la suite des vagues de manifestations dans la
rue et des autres activités civiques de revendications sociales et politiques
qui se sont déroulées en 2013 et 2014. La question de l’éventuelle introduction
du vote obligatoire a également été rejetée au Parlement. Pour le bulletin du
référendum du 25 octobre 2015, il ne reste donc que la question du vote
électronique (à distance).
[24] . Si peu d’électeurs ont recours aux
préférences, moyen de soutenir implicitement l’ordre des candidats présentés
par le parti, un petit groupe actif pourrait donner un avantage décisif à leur
candidat.
[25] DPS représente en grande partie les Turques
bulgares. Ce parti est connu pour avoir de solides structures de base et un
électorat discipliné d’une éducation de niveau inférieur à la moyenne.
[26] Le Code électoral a adopté les articles 246,
261, 298, 353, 371, 386 et 427 le 21 février 2014. Il n’est pas disponible en
anglais.
[27] Le rapport de 2015 de la Commission de Venise
sur les systèmes de représentation proportionnelle et les listes
ouvertes/fermées qualifie les seuils de la Bulgarie de « modéré ».
Ibid.
[28] À l’exception des élections du PE.
[31] En 2014, BSP, le deuxième plus grand parti, a
publié un circulaire pour ces structures de terrain interdisant une campagne
pour les préférences : http://www.capital.bg/politika_i_ikonomika/. Néanmoins, selon l’IPED, 42 %
de ces électeurs ont marqués un vote préférentiel.
[32] Malgré de positives discussions à Conseil public
à la CEC, ce dernier a abandonné la vérification envisagée des bulletins de
vote invalides en 2015. http://www.capital.bg/politika_i_ikonomika/. Néanmoins, selon les données
d’IPED, 42 % de ces électeurs en ont marqué au moins un.