La question du système
électoral est devenue le foyer de l’un des débats les plus animés et
controversés en Jordanie depuis que le roi Hussein a ramené le multipartisme.
Les élections générales de novembre 1989 ont été organisées dans un contexte où
les partis politiques étaient interdits, comme cela avait été le cas depuis le
début des années 1960, mais les Frères musulmans et les candidats indépendants pro-monarchie
étaient faciles à identifier. Pour ces élections, les premières à être concurrentielles
depuis près de 30 ans, la Jordanie a utilisé le système électoral de scrutin majoritaire
plurinominal (SMP; voir scrutin majoritaire plurinominal)
– utilisé par les Britanniques sur le territoire dans la période immédiate de l’après-guerre
– pour élire les 80 représentants siégeant à l’Assemblée législative. Au total,
huit sièges ont été réservés aux chrétiens et trois autres aux Circassiens (voir
la représentation des minorités).
Le pays a été divisé en
20 circonscriptions, comprenant de deux à neuf députés chacun, mais avec une
grande disparité dans la taille entre les circonscriptions appelées à élire le
même nombre de députés. Par exemple, le cinquième district d’Al-Assima et la
circonscription de Maan devaient élire cinq députés à la Chambre des députés,
mais la circonscription d’Al-Assima avait deux fois plus d’électeurs inscrits.
Grâce au SMP, les
électeurs pouvaient voter autant de fois qu’il y avait des sièges à pourvoir
dans la circonscription; mais ce ne sont pas tous les électeurs qui se sont
prévalus de ce privilège. Il y avait une croyance très répandue qu’aux
élections de 1989, les électeurs exprimeraient un ou deux votes pour les
candidats avec lesquels ils ont des liens de parenté ou de proximité et qu’ensuite,
ils voteraient en faveur des Frères musulmans, le mouvement politique islamique
le plus important. Bien que la nature politique non partisane de ces élections
rende l’analyse politique plutôt spéculative, selon l’Université de Jordanie, les
candidats des Frères musulmans ont remporté environ 30 % des sièges avec
moins de 20 % des votes, les indépendants islamiques ont gagné 16 %
des sièges, avec beaucoup moins de votes, alors que les candidats pro-monarchie
ont obtenu près de 60 % des votes mais seulement 40 % des sièges. Ces
résultats ont poussé le roi Hussein à croire que le scrutin majoritaire
plurinominal avantageait les candidats des Frères musulmans, le mouvement
politique le plus organisé et le plus cohérent dans ce système embryonnaire des
partis, par rapport aux candidats indépendants pro-monarchie.
Pour cette raison, un
nouveau système électoral a été mis en place par décret royal pour les
élections générales de 1993; au même moment, le roi Hussein a levé l’interdiction
sur les partis politiques, ce qui a mené à l’émergence, en bonne et due forme,
d’un parti du Front islamique d’action. Croyant (probablement à juste titre) à
la loyauté de la plupart des électeurs jordaniens à sa famille et aux parents
et en second lieu à l’idéologie politique, le roi Hussein décida de maintenir
les circonscriptions plurinominales en modifiant tout de même la loi de manière
à ce que les électeurs ne choisissent qu’un seul candidat dans leur
circonscription. Ainsi, de manière un peu fortuite, la Jordanie adopta le système
de scrutin à vote unique non transférable (VUNT; voir scrutin à vote unique non transférable). Dans le
contexte jordanien, le VUNT est appelé « un homme, un vote », même si
dans d’autres pays, cette terminologie est utilisée principalement pour
indiquer le principe fondamental de l’égalité entre les électeurs plutôt qu’un
système électoral en particulier.
En 1993, la
participation de la population en âge de voter a légèrement augmenté par
rapport à la précédente élection mais elle est restée sous la barre des 50 %.
La diminution du nombre de votes accordé aux candidats a obligé tous les
électeurs à s’interroger sur leur allégeance la plus importante, politique ou
autre. Cependant, ce qui est remarquable au sujet de la Chambre des députés
élue en Jordanie en 1993 est qu’elle comportait un mélange beaucoup plus
équilibré et représentatif de représentants des partis et des indépendants que
par le passé. Le Front islamique d’action a remporté 20 % des sièges avec
près de 17 % des votes, les candidats indépendants pro-monarchie, 60 %
des sièges avec 58 % des votes, et les candidats des plus petits groupes d’islamistes
indépendants, de gauche, nationalistes et du mouvement Fatah ont remporté quelques
sièges et une petite partie des suffrages. Ces résultats étaient conformes avec
l’attente générale que le VUNT serait, et de loin, mieux que le scrutin
majoritaire plurinominal afin de donner un Parlement qui soit relativement
proportionnel à la répartition globale des votes – une réalité observée dans d’autres
pays qui utilisent ou qui ont eu à utiliser le VUNT comme le Japon de 1948 à
1995 (voir Japon – Réforme électorale) et
Taïwan.
Néanmoins, la réduction
du choix donné aux électeurs, combinée avec la présence d’un nombre important de
candidats du Front islamique d’action, a provoqué la frustration chez certains à
l’égard des changements apportés à la loi électorale. Au cours de la période
qui a précédé les élections de 1997, des appels ont été lancés afin de revenir
au système de scrutin majoritaire plurinominal de 1989 ou d’adopter un nouveau
système électoral proportionnel ou mixte. Toutefois, il est probable que dans
un avenir prévisible, la Jordanie restera, avec le Vanuatu, l’un des deux seuls
exemples où l’on utilise un système de VUNT.