Avec le « système de
responsabilité des ménages » élaboré dans la campagne chinoise vers la fin
des années 1970, les agriculteurs ont commencé à produire pour leurs familles. Comme
la production était décentralisée, l’organisation collective des communes du peuple
est devenue désuète.
Les premiers comités de village (CV)
ont vu le jour dans la région autonome de Guangxi autour de 1980-1981. Ces
organisations ont été créées à l’insu des dirigeants locaux par les aînés des
villages, d’anciens cadres et des villageois intéressés aux questions
communautaires. L’intention était de s’attaquer à un déclin observé dans l’ordre
social et, plus largement, à une crise politique puisque les équipes et les
brigades de production avaient cessé de fonctionner au niveau local. En quelques mois seulement, les
responsables locaux ont fait rapport de ce développement au gouvernement
central. Les dirigeants du Congrès national du peuple (CNP) ont encouragé
la poursuite des expériences avec cette nouvelle forme d’organisation.
En 1982, on a inscrit les CV dans la
Constitution à titre d’organisations de masse autonomes avec des membres élus
(article 111). Contrairement au rapport entre la brigade de commune et de
production ou l’équipe de production, la commune nouvellement reconstituée – l’échelon
gouvernemental le plus près de la base – ne dirige pas le CV mais lui donne des
orientations. Une autre différence est le recours à l’élection directe par tous
les électeurs admissibles. En 1987, la loi organique relative aux comités de
village a été adoptée, établissant les principes généraux sur les élections
directes des CV et définissant leurs tâches et leurs responsabilités. La mise en œuvre de cette loi,
y compris l’adoption de règlements détaillés, a été confiée aux compétences
provinciales et aux échelons situés près de la base. Or, 10 ans après,
il fallait constater que la qualité des élections et l’ensemble de leur exécution
n’ont pas été linéaires : sur plus de 658 000 villages chinois (selon
les données de 2002), environ 25 % seulement avaient tenu des élections
directes conformément à la loi.
En 1998, le CNP a rendu la loi
organique permanente. La loi a permis de préciser et d’améliorer quelques aspects
des procédures électorales inscrites et a renforcé les règles sur la
transparence et le contrôle populaire des CV. Pour plusieurs, la loi permanente
représente une consolidation politique et juridique du processus électoral dans
les villages, mais sa pleine mise en œuvre demeure un défi – et c’est peut-être
pire encore depuis qu’on a ajouté des normes plus exigeantes, par exemple par
rapport aux isoloirs et à la nomination directe des candidats. La qualité des élections un
peu partout au pays est encore très inégale.
Les membres du CV sont élus pour un
mandat de trois ans, sans limite quant au nombre de fois qu’une personne peut
se faire élire. En général, le CV se compose de trois à sept représentants dont
un président et deux vice-présidents. Bien qu’il y ait des différences d’une
province à une autre, les CV gèrent généralement toutes les affaires
administratives d’un village, y compris le budget, les services publics, le
règlement des différends, la sécurité publique, l’ordre social, les questions
de santé et les affaires commerciales locales. Un grand village peut se
composer de plus de 10 000 personnes, alors que les petits ne peuvent en
avoir que quelques centaines.
Le « village moyen » compte de 1 000 à 2 000 habitants.
Le CV fait rapport à l’assemblée du village ou à l’assemblée représentative
du village. Comme les premiers ne se réunissent qu’une ou deux
fois l’an, les seconds, qui sont composés de 25 à 50 personnes du village
choisies par des petits groupes de villageois, jouent un plus grand rôle dans
la prise de décisions et dans la surveillance des CV. Un comité électoral de
village est responsable de l’organisation des élections dans un village.
Des élections ont maintenant eu lieu
dans les 31 provinces de même que dans les régions autonomes et les municipalités.
En date de 2003, les provinces de Fujian et Liaoning avaient organisé le plus
grand nombre d’élections, soit huit et sept respectivement, alors que 19
provinces en avaient organisé entre quatre et six. Au moins, une province n’a
tenu ses premières élections de village qu’en 2000. Il n’existe pas un jour d’élection
unique pour tous les CV du pays. Lorsque survient l’année électorale d’une
province, ses comtés et ses communes décident ensemble des jours d’élection des
villages sur leur territoire.
Chaque élection procède d’un même
cadre de base. La première étape du processus est l’inscription des électeurs par
le comité électoral du village. On prépare et on publie 20 jours au moins avant
le jour de l’élection une liste des électeurs inscrits. Ces derniers peuvent
contester les listes d’inscription.
À l’exception de ceux qui sont
privés des droits politiques, toute personne de 18 ans ou plus a le droit de
voter et peut être élue, et ce, sans égard à l’appartenance ethnique, à la
race, au sexe, à la profession, au contexte familial, aux croyances religieuses,
au niveau d’éducation, à la propriété ou à la période de résidence au sein de
la collectivité. Un défi important reste le grand nombre d’électeurs dont l’inscription,
qui comporte le lieu de résidence, se fait dans leurs « villages d’origine »,
mais qui habitent et travaillent très loin, souvent dans un grand secteur
urbain. Il est difficile ou même impossible pour la plupart de ces électeurs de
retourner à leur village le jour de l’élection. Parallèlement, ils ne peuvent
participer aux élections dans les villes où ils travaillent et résident. Par
conséquent, ils ne peuvent pas vraiment exercer leur droit de vote.
La nomination des candidats se fait
directement par les villageois après l’inscription des électeurs. Dans la
plupart des provinces, il n’existe qu’une seule exigence : avoir un seul candidat
de plus qu’il n’y a de sièges à pourvoir, soit ceux du président, du vice-président
et des représentants ordinaires. Ces dernières années, la nomination dans
certaines provinces s’est faite lors du rassemblement de villageois à l’occasion
d’une réunion de l’assemblée de village ou d’un petit groupe de villageois; dans certaines
provinces, la plus récente évolution est de n’avoir aucune nomination préélectorale.
Dans ces secteurs, les électeurs reçoivent un morceau de papier blanc ou
un bulletin de vote blanc où sont uniquement indiqués les différentes postes à
pourvoir. Si l’élection n’arrive pas à produire
un nouveau comité ou à pourvoir toutes les positions, elle devient de fait une
élection de premier tour qui sera suivie d’un second tour.
L’élection finale doit être directe.
Le recours au vote secret et à des isoloirs (ou des salles) est obligatoire
dans la plupart des
provinces. Il y a trois façons de voter : (a) le vote de masse où tous les
électeurs se rendent le matin à un lieu central de vote, votent et y restent
jusqu’à la fin du dépouillement; (b) le vote individuel le jour de l’élection;
et (c) le vote par procuration ou le vote à distance,
ou « boîtes mobiles ». La plupart des provinces utilisent le vote de
masse. Les bulletins de vote utilisés contiennent les noms des candidats au
poste pour lequel ils se présentent, et pour voter, l’électeur inscrit une
marque pour indiquer les candidats qu’il préfère. L’électeur peut faire autant
de marques à côté des noms des candidats qu’il y a de postes au village (un président,
un ou deux vice-présidents et un certain nombre de membres du comité).
Pour qu’une élection soit considérée valide, une majorité absolue des électeurs
admissibles doit voter et les candidats gagnants doivent obtenir au moins 50 %
des votes plus un. Si aucun candidat n’obtient une majorité absolue, un second
tour se tient dans les trois jours qui suivent. Au second tour, les candidats ne
doivent obtenir que 33 % des suffrages. Les gagnants entrent en fonction
immédiatement après leur élection.
Les élections de village sont d’autant
plus importantes que la loi électorale prescrit les normes de base d’un
processus démocratique, à savoir le secret du vote, l’élection directe et les
candidatures multiples (bien que leurs nombres soient très limités). D’autres
élections en Chine ont encore à mettre en application ces normes. Le progrès
accompli par rapport aux élections des CV a soulevé des attentes quant à savoir
si et quand des élections
directes auront lieu, et ce, non uniquement au niveau du village, mais
également au niveau des communes, des comtés et même aux autres échelons du
gouvernement. Chaque fois qu’il y a des élections de CV, c’est la capacité
locale de gérer les processus électoraux qui est renforcée.
Une évaluation de l’importance des
élections de village en Chine est liée grandement au fait de savoir si une
démocratie aussi limitée peut déboucher sur une véritable démocratie. Il y a
différentes manières d’évaluer des élections démocratiques. Les trois critères
universels d’élections libres, justes et significatives constituent les critères
appropriés. Or, la Chine ne répond à aucune norme reconnue des élections libres
et justes en ce qui concerne le choix de son assemblée législative nationale et
de ses conseils locaux; de même, dans la plupart des cas, les chefs de village
élus n’exercent pas autant d’autorité que les secrétaires du Parti communiste chinois
(PCC). Cependant, même si les élections de village ne sont pas entièrement
libres ou justes et que certains CV n’exercent pas le contrôle total de l’autorité,
on ne peut conclure pour autant qu’elles ne sont absolument pas libres, justes
ou significatives. Les élections
ne devraient pas être évaluées par rapport à une norme absolue, mais elles
devraient plutôt être envisagées en examinant la place qu’elles occupent sur un
continuum démocratique.
Les élections des CV ont eu un effet
d’entraînement, car en certains endroits, les villageois ordinaires ont pu
exprimer un vote de confiance lors des élections des sections du PCC au niveau du
village; de plus, on remarque certaines expériences à l’égard de l’élection des
chefs de gouvernement des communes. La démocratisation de la Chine semble aujourd’hui
exiger que les décisions politiques des hauts dirigeants trouvent un écho à la
base. Après deux décennies d’élections directes dans les villages, lesquelles n’ont
cessé de s’améliorer, les élections aux autres échelons de gouvernement semblent
techniquement faisables; la question est de savoir si et comment les choses
évolueront dans le sens de la démocratisation.