Le résultat des élections de l’Assemblée nationale au
Lesotho, en mai 1998, a été très clair. Le parti Congrès pour la démocratie du
Lesotho (LCD) au pouvoir a remporté une victoire électorale sans équivoque en obtenant
79 des 80 sièges à l’Assemblée.
Mais le soutien d’un peu plus de 60 % de l’électorat au
parti LCD constituait un problème. De fait, le résultat au chapitre du nombre
de sièges obtenus est un autre exemple de la façon dont le système électoral de
scrutin majoritaire uninominal (SMU) peut conduire à des divergences notables
entre le pourcentage de votes et le pourcentage de sièges obtenus par les
partis politiques. Un écart de cette nature ne devrait pas être surprenant –
cela s’était déjà produit auparavant –, mais les partis qui ont perdu, en
particulier le principal parti d’opposition, le Parti national Basotho (BNP), ont
dénoncé cette situation. Cela n’avait également rien de nouveau, mais ce fut un
triste dénouement que les accusations sur l’exactitude globale des résultats
des élections de 1998 (qui n’ont jamais été sérieusement remis en cause) aient à
ce point irrité le public que peu de temps après leur publication, des émeutes se
produisirent dans les rues de la capitale, Maseru, en proie aux incendies, au
pillage et à la destruction des biens publics et des propriétés privées.
Le gouvernement a alors demandé à la Communauté de développement
de l’Afrique australe d’intervenir, ce qu’elle a fait en s’appuyant principalement
sur les forces armées de l’Afrique du Sud. Après le rétablissement de l’ordre
public, un accord a été conclu le 2 octobre 1998 (pour lequel la Communauté s’est
éventuellement portée garante) appelant à la création d’une autorité politique intérimaire
(API) composée de deux représentants de chacun des 12 partis ayant présenté des
candidats aux élections, sans égard à l’importance du soutien électoral reçu. La
mission de l’API consistait à développer un nouveau système électoral et à
suggérer d’autres mesures politiques et administratives visant à renforcer le
développement pacifique et démocratique au Lesotho. Cependant, toutes les
recommandations devaient être soumises au gouvernement qui les soumettrait au
Parlement pour adoption selon les voies habituelles.
L’esprit derrière la création de l’API était clairement
inspiré par les institutions du processus de négociation en Afrique du Sud
pendant la première partie du processus de transition. Mais on ne prit pas en
compte que les deux processus étaient très différents et, en conséquence, les
solutions devaient l’être également. Le processus politique qui a suivi au
Lesotho n’a pas été facile et il n’est pas surprenant que la majorité écrasante
de l’opposition au sein de l’API – 22 membres contre les deux membres du
gouvernement – ne favorisait pas l’établissement d’un climat de négociation
constructif.
Les représentants de l’API, dont aucun n’avait été en mesure
d’obtenir un siège à l’Assemblée nationale, entendaient proposer un système
électoral qui permettrait de garder les circonscriptions uninominales et, en
même temps, produire des résultats beaucoup plus proportionnels aux élections suivantes
que ce qui avait été le cas en 1998. La solution évidente était soit un système
électoral de scrutin mixte avec compensation (SMAC), soit un système parallèle.
Un expert allemand sur les systèmes électoraux a été invité à faire une
présentation; puis, la majorité des membres de l’API ont opté pour la solution du
SMAC, avec quelques sièges devant être attribués aux circonscriptions
uninominales et d’autres devant être attribués sur une base compensatoire à
partir des listes de partis. Le LCD, qui contrôlait totalement l’Assemblée
législative, a choisi l’alternative, soit le système parallèle, ce qui lui
donnait en plus de sa grande part prévue des sièges de circonscriptions
uninominales, un nombre supplémentaire correspondant à sa part des suffrages
exprimés pour les sièges non attribués dans les circonscriptions uninominales.
Il est vite apparu que l’API n’était pas au courant de tous
les détails pratiques qui devraient être pris en considération en choisissant d’opter
en faveur du SMAC, tels que la formule de répartition des sièges, la question d’un
seuil électoral officiel, les mandats en surplus, un ou deux tours de scrutin
et ainsi de suite. Le nombre de sièges dans les deux catégories était aussi un autre
problème, même si la plupart des membres de l’API semblaient s’entendre sur le
fait que le maintien des 80 circonscriptions uninominales était une bonne idée
et qu’il était tout naturel d’avoir 50 sièges compensatoires. Le fondement de
cette dernière suggestion était un peu étrange. Dans le passé, le Lesotho avait
eu 65 circonscriptions uninominales. Si l’on revenait à ce nombre et l’on
ajoutait un nombre identique de sièges compensatoires (comme en Allemagne), l’Assemblée
nationale compterait un total de 130 sièges. Toutefois, si l’Assemblée devait
être composée de 130 représentants, puisque le nombre de circonscriptions
uninominales était alors de 80 et qu’il était difficile d’imaginer de le changer
dans un avenir immédiat, le nombre de sièges compensatoires devait être de 50.
Le gouvernement a contesté ce nombre, soutenant entre autres que le Lesotho est
un petit pays pauvre dont l’Assemblée législative doit comporter un nombre
raisonnable de sièges.
Le conflit politique est facile à comprendre. L’API, qui avait
la mission de proposer des solutions à l’impasse politique, était fortement en
faveur d’un système de SMAC avec 80 circonscriptions
uninominales et 50 sièges compensatoires. Pour sa part, le gouvernement – qui
avait le plein contrôle de l’Assemblée législative et qui devait adopter toutes
les suggestions de l’API – soutenait que la meilleure solution était l’adoption
d’un système parallèle avec les 80 circonscriptions uninominales et
probablement 40 sièges attribués séparément, mais sur la base de l’utilisation
du même bulletin – préférablement – que celui utilisé dans les circonscriptions
uninominales. Soulignons aussi qu’un second bulletin était perçu comme une
option.
Il a fallu un certain temps avant de pouvoir en arriver à un
compromis politique sur le système électoral, principalement en raison du
niveau de méfiance entre les deux parties et une certaine hésitation à l’idée
même d’un compromis. Au bout du compte, il a été convenu que le système
électoral devrait être le système de scrutin mixte avec compensation (ce qui
était l’objectif principal de l’opposition), tandis que le nombre de sièges
devrait être de 120 (80 + 40), ce qui était très important pour le
gouvernement. Même si le gouvernement avait tous les atouts grâce à son écrasante
majorité à l’Assemblée législative, il était évident que certaines concessions devraient
être faites afin d’assurer une plus large acceptation et d’asseoir la légitimité
des changements. L’amendement constitutionnel nécessitait un solide soutien non
seulement à l’Assemblée nationale, mais aussi au Sénat (composé principalement
de chefs), ce qui était une autre raison pour parvenir à un compromis. Si les
deux Chambres n’arrivaient pas à s’entendre sur l’amendement constitutionnel,
il devrait alors être soumis à un référendum populaire, ce qui présentait un
problème puisqu’il subsistait un désaccord sur le registre des électeurs.
Finalement, l’amendement constitutionnel a été officiellement adopté en mai
2001. C’est alors seulement qu’on a examiné les changements devant être
apportés à la loi électorale.
L’accord de 1998, qui bénéficiait d’une caution internationale,
prévoyait la tenue d’élections anticipées pour mai 2000. Cela était tout à fait
irréaliste non seulement parce que le gouvernement et l’opposition (l’API) n’étaient
pas d’accord mais aussi parce qu’une nouvelle Commission électorale
indépendante n’avait été créée qu’en avril. Les parties sont ensuite convenues
de reporter l’élection d’un an; mais d’autres retards en vue de parvenir à un
accord sur le système électoral, des préoccupations concernant un système
adéquat d’inscription des électeurs et autres éléments ont mené à la tenue d’une
nouvelle élection générale en mai 2002 seulement.
L’élection s’est passablement bien déroulée. Le LCD, sans
vraiment s’y attendre, a obtenu 55 % des votes accordés aux partis (représentation
proportionnelle), mais 65 % de tous les sièges. La raison tient au fait
que le parti a remporté 77 des 78 circonscriptions uninominales le jour de l’élection
(l’élection dans les deux circonscriptions restantes avait été reportée en
raison du décès de candidats, mais ultimement, le LCD les a remportées). Le
système ne prévoyant pas de mandats en surplus, l’opposition a obtenu les 40
sièges compensatoires.
Parmi les huit partis d’opposition ayant remporté des sièges,
sept ont vécu une situation de sous-représentation au chapitre du rapport entre
les votes et les sièges obtenus. Cependant, celle-ci était moins marquée qu’en
1998, et l’Assemblée nationale du Lesotho est aujourd’hui un corps assez fidèle
de la représentativité politique. Ainsi, les objectifs principaux des efforts
déployés après les troubles de 1998 ont certainement été atteints.
À l’évidence, la combinaison de trois éléments – (a) un
parti remporte presque toutes les circonscriptions uninominales, (b) seulement
33 % des sièges sont des sièges compensatoires, et (c) l’absence de sièges
excédentaires – pourrait continuer à créer une certaine dimension de non proportionnalité
lors des élections à venir. Toutefois, cela semble un faible prix à payer pour
les diverses améliorations apportées au système à la suite du long processus
marqué par la recherche de compromis politiques au cours des années 1999-2001, d’autant
plus quand on réalise que plusieurs s’inquiétaient de voir un petit pays pauvre
compter un trop grand nombre de représentants à l’Assemblée législative.