La mise sur pied d’institutions
politiques capables de constituer un gouvernement stable et efficace n’a cessé
d’être un immense défi en Indonésie, un pays énorme et ethniquement diversifié
avec presque 20 000 îles dont l’unité à l’origine s’appuyait sur la
résistance commune au colonialisme. L’identité politique en Indonésie est un
sujet complexe; dans le passé, elle s’est souvent fondée sur des liens avec
différentes mouvances de l’islam, puis a évolué vers un nationalisme plus
séculaire, ou encore, en quelques endroits, vers le christianisme – en 2004, on
semblait avoir ajouté à ces éléments une évaluation des qualités de leadership
et les conséquences de la corruption. La conception de systèmes électoraux inclusifs et
efficaces dans le contexte de l’état unitaire indonésien n’a jamais été facile.
La première élection
générale en Indonésie, après la proclamation de l’indépendance en 1945, a eu lieu en 1955. Un
système de représentation proportionnelle (RP) utilisant 15 régions a été adopté
sans problème.
Les sièges ont alors été
distribués proportionnellement à la population avec une petite attribution
supplémentaire pour les régions insulaires plus éloignées. On a adopté la
méthode du plus fort reste utilisant le quotient de Hare. Les partis ou les organisations
pouvaient proposer des listes et des candidats pouvaient aussi être
nommés sur une base individuelle. Les électeurs pouvaient voter soit pour une
liste, soit en inscrivant le nom d’un candidat.
L’Assemblée législative qui en a découlé comprenait des
représentants de 27 partis et listes et un membre indépendant, les quatre
grands partis obtenant de 16 % à 23 % des votes. Mais aucun parti, ni même deux partis n’étaient en mesure de
contrôler une majorité à l’Assemblée législative. Au fil des ans, il
était devenu difficile de former des gouvernements et la capacité de maintenir la confiance de l’Assemblée
législative était limitée.
L’assemblée constitutive, mise
sur pied pour élaborer une constitution permanente, avait un équilibre
politique semblable et échoua à conclure un accord.
La perte générale de
confiance envers les institutions et les rébellions politiques contre l’État
unitaire ont amené le président Sukarno à imposer un régime autoritaire en 1959. Ce régime a été en place jusqu’à
son remplacement par le nouvel ordre du président Suharto au milieu des années 1960,
qui lui a accordé une domination quasi totale sur les pouvoirs exécutif,
législatif et judiciaire. Les élections qui ont eu lieu à cette époque se sont
tenues avec des campagnes électorales où les limites étaient sévères, où plusieurs
candidatures ont été rejetées et où les règles ont été appliquées de manière disproportionnée
contre les adversaires du gouvernement. Le désir d’un contrôle central complet sur
le choix des candidats a contribué au choix de la représentation
proportionnelle à scrutin de liste (RPSL) bloquée. Le président Suharto
cherchait à apaiser les craintes d’une domination politique javanaise, et Java
n’a alors reçu qu’un peu plus de la moitié des sièges à élire, en dépit du fait
qu’en 1955, on y retrouvait plus de 70 % des électeurs inscrits. Bien que
ce pourcentage ait fléchi, il s’établissait tout de même encore à 61 % en
2004.
La transition vers la
démocratie : les élections
de 1999
Après la chute du
régime Suharto en 1998, une nouvelle loi électorale a été élaborée à la fin de janvier
1999. Le système électoral – décrit comme un système proportionnel avec des
caractéristiques de circonscriptions électorales – était unique et il était un pur
produit de la négociation politique caractérisé par un contexte de court délai. Cet accord a
été conclu à l’Assemblée législative par les
partis de l’ère Suharto, soumis à la pression des nouveaux partis ainsi que de
ceux qui ne faisaient pas partie des négociations, en plus d’avoir à défendre
leurs propres positions et de subir la pression de leur propre base politique. Au
vu de ces pressions, il est peu probable que le résultat final de la
négociation aurait pu être très différent.
À l’élection de juin 1999, chaque électeur a été appelé à
voter une fois pour un parti politique. On avait gardé les 27 provinces comme
circonscriptions électorales, avec une représentation allant de 4 à 82 sièges.
Le nombre de sièges gagnés par chaque parti dans chaque province a été déterminé
par l’utilisation des principes de représentation proportionnelle, et dans
chaque province, chaque candidat sur chaque liste de parti a été lié par celui-ci
à l’une des circonscriptions dites de second niveau (villes, administrations
municipales, départements, administrations dans les zones situées à l’extérieur
des villes). En raison d’un souci très ancré de maintenir l’unité de l’État,
des dispositions ont rendu impossible l’inscription d’un parti de nature spécifiquement
régionale. La loi sur les partis politiques exigeait que tous les partis se
présentant aux élections aient une présence dans au moins neuf provinces.
Mais la loi manquait de clarté sur un détail essentiel :
la méthode pour convertir les votes en sièges gagnés n’était pas incluse. Il n’y
avait pas non plus de règles pour déterminer les candidats sur la liste d’un
parti qui occuperaient les sièges gagnés par ce parti. Ces problèmes n’ont été
résolus que plus tard.
Les règles finales sur l’attribution des sièges ont gardé la
méthode du plus fort reste utilisant le quotient de Hare, mais avec une attribution
aux candidats beaucoup plus complexe. Dans les faits, peu de dirigeants des
partis centristes se sont conformés aux règles et ils ont fini par prendre le
contrôle de la commission électorale, l’informant tout simplement des candidats
obtenant les sièges remportés par leurs partis.
Les élections de 1999 ont
été les premières à être jugées comme étant globalement acceptables depuis
1955, en dépit de quelques problèmes spécifiques. Ainsi, cinq partis ont gagné
plus de 2 % des votes, leur force relative variant considérablement dans
les différentes régions de l’Indonésie. En tout, 16 autres partis ont obtenu d’être
représentés.
La réflexion sur les élections de 1999 a rapidement cédé le
pas à une révision complète de la Constitution de
1945. Terminée en 2002, cette révision a produit des changements fondamentaux,
dont la séparation des pouvoirs, le principe des poids et contrepoids, l’élection
directe du président et du vice-président et l’établissement d’une deuxième
chambre élue régionalement et dotée de pouvoirs très limités. Quatre
amendements inscrits à la Constitution ont modifié complètement le mode de
fonctionnement des institutions, et cinq nouvelles lois portant sur les
élections présidentielles, les partis politiques, la structure des corps élus
et l’établissement de la Cour constitutionnelle ont été adoptées. L’Indonésie
est maintenant reconnue comme faisant partie de la famille des démocraties présidentielles.
Rejet du scrutin majoritaire uninominal pour la tenue des élections à l’Assemblée
législative
Après 1999, dans les médias et le milieu universitaire en
particulier, certains ont été très actifs en vue de faire adopter un système de
scrutin majoritaire à circonscription uninominale, ayant le sentiment qu’avec l’Assemblée
législative élue en 1999, la responsabilité des élus était à peu près inexistante.
Même si le système électoral de 1999 n’est pas perçu comme une question
politique, mais plutôt comme une tentative courageuse de marier les principes
de la RPSL avec la responsabilité des élus envers la circonscription électorale,
dans les faits, aucun lien n’a été créé entre la circonscription et l’élu.
Cependant, selon des simulations faites après les élections
de 1999, un système de scrutin majoritaire de circonscription uninominale pourrait
produire des résultats qui seraient encore moins proportionnels en Indonésie
que dans tout autre pays. Les relations se sont
progressivement détériorées entre l’Assemblée législative et les universitaires,
les représentants des médias et de la société civile; pour cette raison, les
arguments invoqués par ces derniers en faveur d’un système de scrutin
majoritaire de circonscription uninominale sont devenus de moins en moins convaincants. Il est devenu évident
qu’un tel système échouerait quasi inévitablement à refléter la diversité de l’Indonésie,
que la mise sur pied d’un procédé acceptable de délimitation des
circonscriptions pour l’élection de 2004 prendrait du temps – et comporterait d’importantes
difficultés – et qu’un système pluraliste n’était pas de nature à favoriser l’élection
des femmes.
Le système électoral de 2004
En vertu des exigences constitutionnelles convenues en 2002,
les participants aux élections législatives à la chambre basse (l’Assemblée nationale)
sont des partis politiques, limitant de ce fait les options disponibles au
chapitre du système électoral dans la loi électorale. Le gouvernement a soumis
une ébauche de texte de loi électorale prévoyant un système de RP utilisant des
circonscriptions plurinominales – et ce, pour répondre à la pression pour une
plus grande responsabilité, et proposant des listes ouvertes et une
segmentation des plus grandes provinces. Cette formule élémentaire a été adoptée
avec des circonscriptions plurinominales comprenant de 3 à 12 sièges dont la
Commission électorale aurait à établir les limites. Les débats qui ont suivi
ont mené à des circonscriptions plurinominales dont le nombre de représentants tend
plutôt à être élevé. En vertu du système restreint de liste ouverte finalement
convenu, les électeurs doivent voter pour un parti et, s’ils le souhaitent, en
faveur d’un candidat de ce parti. Cependant, ceci
résultera seulement en l’élection d’un candidat qui ne fait pas partie des
candidats classées sur les listes de parti, et ce, si ses votes dépassent le
quotient de Hare – dans les faits, rendant très minces les possibilités que
cela se produise, ainsi que l’ont démontré les élections législatives de 2004.
La création d’une chambre régionale a amené quelques partis à
soutenir l’option « à une personne, un vote et une valeur » pour l’Assemblée
législative, avec le même nombre de citoyens pour chaque siège, alors que d’autres
ont milité en faveur du maintien d’une RP qui favorise les îles plus éloignées.
Le compromis final est une formule complexe établissant le nombre de sièges
pour chaque province, soit un minimum de 325 000 citoyens par siège dans les
petites provinces et un maximum de 425 000 citoyens par
siège dans les grandes provinces, avec un minimum de trois sièges par province.
La direction centrale des partis a manifesté peu d’intérêt à
relâcher son emprise sur leurs partis. Les plus grands partis ont durci les
conditions de participation des autres partis pour les élections de 2004 et subséquemment.
L’interdiction des partis régionaux a été renforcée. Les
questions entourant les listes ouvertes ou fermées, l’option « à une
personne, un vote et une valeur », l’équilibre entre Java et les îles éloignées
et la participation des partis ont fait l’objet de négociations entre les
partis et ces éléments ont fait partie de l’accord final. De même, une vaste campagne
a mené à l’adoption d’un « quota hypothétique » pour la
représentation de genre : les partis doivent « garder à l’esprit »
qu’il est souhaitable d’inclure au moins 30 % de femmes sur leurs listes
de candidats. Même si rien ne les oblige à se soumettre, ceci s’est avéré être
un outil important pour favoriser un plus grand nombre de candidatures féminines :
en 2004, 12 % des élus de l’Assemblée législative étaient des femmes, une
nette amélioration par rapport à 1999.
Les résultats des élections législatives de 2004 ont reflété
dans le changement que la
continuité. Tout comme en 1999, les cinq partis qui avaient
obtenu plus de 3 % des suffrages ont répété l’exploit; deux autres ont
aussi réussi. En tout, l’assemblée
comptait 17 partis.
Élections à la
chambre régionale : le scrutin à vote
unique non transférable crée la surprise
La Constitution prévoit
que les candidats pour la chambre régionale (le Conseil des représentants régionaux)
devraient être des personnes et non pas des partis. Chaque province doit élire
quatre. Le projet de loi avait proposé un système de scrutin majoritaire plurinominal, une
façon évidente d’avantager
les partis bénéficiant d’un soutien en dehors de Java où les provinces sont
plus petites. Puis, le parti le plus fort à Java a proposé une alternative, le
scrutin à vote unique non transférable (VUNT), et cela a fait partie de l’accord
final.
La première élection de
la chambre régionale a eu lieu en 2004 et a mis en relief la faiblesse que l’on
attribue au VUNT : avec une moyenne de 30
candidats se faisant la lutte pour les quatre sièges dans chaque province, plusieurs
candidats ont été élus avec moins de 10 % des votes. Cependant, en raison
des solides campagnes qu’elles ont menées, les femmes candidates ont obtenu 21 %
des sièges de la nouvelle chambre, un résultat inattendu et un niveau jamais
atteint dans un corps librement élu en Indonésie.
Élections présidentielles directes
Le président et le vice-président sont maintenant élus
directement et ensemble. Un système majoritaire à deux tours est en vigueur dans
le but de s’assurer que les gagnants bénéficient d’un soutien suffisant à l’échelle
d’un pays aussi grand et diversifié. Pour que des candidats soient élus au
premier tour, ils doivent obtenir une majorité absolue des suffrages et 20 %
de ceux-ci doivent être répartis dans au moins la moitié des provinces. Un gagnant
pourra probablement obtenir une telle majorité, mais cette condition empêche
une liste bénéficiant d’un solide soutien dans Java et d’un soutien minimal
ailleurs de gagner une élection au premier tour. En 2004, lors de la première
élection présidentielle directe, cinq candidats à la présidence et à la
vice-présidence listes se sont fait la lutte au premier tour, en juillet, et
aucun n’a obtenu plus de 35 % des suffrages. Au second tour, en septembre,
Susilo Bambang Yudhoyono l’a emporté avec 61 % des votes.
La réalité politique : négociation d’un accord
L’accord de 1999 sur le
système électoral devait être acceptable tant pour les partis du nouvel ordre,
qui tenaient encore les leviers du pouvoir, que pour les nouveaux partis dans la rue. De même, la révision
constitutionnelle qui a suivi l’élection de 1999 a exigé un accord de
tout le spectre politique. La loi électorale de 2004 est un autre accord,
semblable en principe à celui de 1999 mais dont les différences au niveau des détails
sont importantes. Chaque fois, il y avait un nombre limité de solutions
pratiques, compte tenu de l’héritage des traditions, du contexte politique et des
positions des acteurs. Cependant, il y a des signes positifs pour la démocratie
dans le nouveau cadre institutionnel indonésien. Heureusement, les gens ont
fait preuve d’une vision à long terme en dépit des perceptions inévitables chez
les partis et les personnes qui ont formulé les changements des avantages
politiques qui pourraient en découler à court terme.