En 1993, le Parti libéral-démocrate (PLD), qui dominait la
scène politique depuis longtemps, s’est scindé et a perdu le contrôle de la
chambre principale de la Diète japonaise à l’élection générale suivante. L’une
des réalisations de la nouvelle coalition qui s’est formée à sa place a été la
réforme du système électoral, lequel avait été largement perçu comme étant une source
de corruption et à la base de la position dominante de longue date du PLD.
Sous l’ancien système électoral de scrutin à vote unique non
transférable (VUNT), les 511 députés de la Chambre des représentants (chambre
basse) étaient élus dans 129 circonscriptions ayant chacun de un à six sièges.
Ce système était en vigueur depuis 1947 et avait produit une approche
particulière des élections parmi les grands partis, notamment le PLD. En vertu
de ce système, chaque parti qui espérait gagner assez de sièges pour obtenir
une majorité ou une minorité non négligeable de sièges devait présenter
plusieurs candidats dans la plupart des circonscriptions. Ainsi, afin de
maximiser leur représentation, les partis devaient trouver les moyens de s’assurer
que chaque candidat obtient le nombre minimal des votes qui lui permettraient d’être
élu, plutôt que de voir chaque candidat suivre ses instincts naturels en
tentant de maximiser son vote. Un candidat qui recevait plus que sa « juste
part » des votes pourrait effectivement nuire à ses collègues ayant reçu
moins de votes : les « votes inutiles » du candidat A pouvaient
être suffisants pour empêcher le candidat B du même parti de remporter un
siège.
Le PLD a relevé ce défi grâce à des politiques particulières
qui visaient des groupes sélectionnés d’électeurs, une approche électoraliste
et d’autres avantages. Comme il a été le premier parti gagnant sous le système du
VUNT, le PLD contrôlait les avantages du pouvoir, ce qui créait des difficultés
pour les divers partis d’opposition en vue de livrer une lutte efficace. Sans
surprise, ce système a contribué à la corruption. En outre, dans un tel système
personnel et fait d’attentions particulières, on accordait peu d’importance au
choix politique et au débat sur les questions politiques de fond.
Au début des années 1990, la colère des citoyens face au
système a exercé une forte pression pour qu’on procède à une réforme
électorale. L’incapacité au sein du PLD à s’entendre et à adopter un projet de
réforme a contribué à une scission au sein du parti, ce qui a amené l’opposition
(dont les dissidents du PLD) à prendre le pouvoir en 1993. Le concept d’un système
bipartite de type américain, avec une alternance fréquente des partis au pouvoir,
avait gagné en popularité auprès des politiciens, des universitaires et des
médias et avait fini par être vu comme un « remède miracle » qui permettrait
de résoudre les problèmes du système politique des Japonais. En conséquence, plusieurs
avaient demandé la création d’un système de circonscriptions uninominales (SCU).
Toutefois, craignant d’être évincés du système politique, les membres des petits
partis dans le nouveau gouvernement se sont opposés à une telle idée. Le
compromis obtenu a créé le système qui est en vigueur aujourd’hui.
Le système électoral réformé est un système parallèle à deux
niveaux – la représentation proportionnelle à scrutin de liste (RPSL) et le
système majoritaire des circonscriptions uninominales. Chaque électeur vote une
fois dans chaque système. Pour la première élection sous ce système, en 1996,
il y avait 200 sièges au niveau de la RP répartis entre 11 circonscriptions
régionales, dont la taille variait de 7 à 33 sièges, et 300 sièges au niveau
des circonscriptions uninominales. Des efforts de rationalisation ont amené la
Diète japonaise à réduire le nombre de sièges proportionnels à 180 avant la
deuxième élection de 2000. Les 11 districts de RP comptent désormais de 6 à 29
sièges. Dans un système parallèle, il n’existe aucun mécanisme compensatoire permettant
d’ajuster le nombre total de sièges remporté par chaque parti pour mieux
refléter la proportion des votes effectivement reçus. La prédominance des
sièges dans les circonscriptions uninominales par rapport aux sièges de RP
donne un avantage aux grands partis à même de gagner des sièges dans les
circonscriptions uninominales. Cependant, les deux niveaux du système électoral
japonais sont liés de façon plus insolite. Les lois électorales du Japon
permettent aux candidats de soumettre une double candidature en se présentant à
la fois sur une liste de RP et pour un siège issu d’une circonscription
uninominale.
Si, techniquement, la RP est constituée d’une liste fermée,
une disposition permet une certaine influence des électeurs sur le classement
des candidats sur les listes. Les partis sont autorisés à présenter des listes
qui donnent un classement égal à certains ou à tous ceux des candidats nommés à
la fois sur une liste de parti et dans une circonscription uninominale. Après avoir mis de côté les gagnants des circonscriptions uninominales, le
classement final de tout perdant d’une circonscription uninominale sur la liste de RP est déterminé par le nombre de votes obtenu par rapport
au gagnant dans sa circonscription.
Cette disposition comporte un certain nombre d’avantages
pour les partis. Premièrement, elle leur permet de laisser tomber la tâche
politiquement difficile de classer les candidats. Deuxièmement, elle encourage
les candidats classés ex æquo sur les listes de RP à faire vigoureusement
campagne pour gagner des votes dans leurs districts. Les partis ont beau faire
grand usage du classement égal, ils conservent également la possibilité de
donner à certains candidats un classement ferme. Ceci peut s’avérer utile, car un
classement élevé ou un rang « sûr » sur la liste de RP peut être
utilisé comme un élément incitatif en vue de convaincre un candidat de se
présenter dans une circonscription uninominale où il a peu de chances de
gagner.
Le système a été mis à l’essai une première fois en 1996 et généralement,
il a donné des résultats décevants. Au cours des années qui ont suivi l’adoption
des nouvelles lois électorales, le PLD a repris le pouvoir et les partis d’opposition
ont vécu un certain nombre de réalignements. En raison de cette situation, d’anciens
modèles perdurent, par exemple une victoire globale du PLD et peu de mouvement en
vue de créer un système bipartite. De même, le caractère quelque peu compliqué
du système a produit du mécontentement au sein de l’électorat, en particulier par
rapport au phénomène des candidats perdants dans les circonscriptions
uninominales qui « ressuscitent » au niveau de la représentation
proportionnelle. Les résultats ont été particulièrement étonnants dans les cas
où les candidats arrivant premier et troisième (et occasionnellement quatrième)
dans une circonscription uninominale ont remporté des sièges, mais le candidat arrivé
deuxième (généralement des partis d’opposition les plus compétitifs) n’y est
pas parvenu. De même, il n’est pas évident que la corruption et le rôle de l’argent en politique ont grandement diminué.
Lorsque la deuxième élection sous le nouveau système électoral
a eu lieu en 2000, il y avait eu une réduction du nombre de candidats rivaux en
lice se faisant la lutte pour le siège de chaque circonscription uninominale.
Toutefois, l’évolution vers un système bipartite n’avait réalisé que peu de
progrès, l’opposition non communiste étant encore fragmentée et le Parti
Komeito, de centre, ayant changé de camp et rejoint la coalition dirigée par le
PLD.
Le troisième test du nouveau système a eu lieu en novembre
2003. En septembre, le petit Parti libéral a fusionné avec le principal parti d’opposition,
le Parti démocrate (PDJ). Le parti fusionné (qui a gardé le nom PDJ) a impressionné
en gagnant 40 sièges dans une élection où, pour la première fois, on faisait usage
de manifestes politiques. Les partis d’opposition restants, qui étaient de
bonne taille, ont perdu presque tous leurs sièges. Du côté gouvernemental, le
PLD et le plus petit de ses deux partenaires de la coalition ont également perdu
des sièges, ce qui a eu comme conséquence l’absorption de ce dernier par le PLD.
Avec la plupart des sièges entre les mains des deux principaux partis, seul le
Parti Komeito est demeuré un petit parti d’importance. Le PLD continue de
maintenir une coalition avec le Parti Komeito, en partie parce qu’il a besoin
de son appui à la Chambre haute mais aussi parce que le soutien de ce parti
bien organisé a joué un grand rôle dans les victoires de plusieurs de ses
candidats dans les circonscriptions uninominales.
Les résultats des élections législatives de 2003 renforcent l’idée
que les incidences d’une réforme du système électoral ne se font pas ressentir de
façon immédiate et qu’il faut laisser aux anciennes habitudes et aux processus le
temps de changer. Ces résultats font croire également que le système mixte ne
produirait peut-être pas une consolidation complète vers un système bipartite de
style américain puisque l’existence du niveau de la RP permet aux tiers partis de
se maintenir.