En 2002, les Brésiliens sont allés
aux urnes en vue de choisir un nouveau président, les représentants de l’Assemblée
législative bicamérale, des gouverneurs pour les composantes de la fédération
(26 États et la circonscription fédérale de Brasília) et les représentants des Assemblées
législatives unicamérales des États. Depuis la fin du régime militaire, en 1985, c’était la quatrième élection
directe du président et de tous les autres principaux postes législatifs et
exécutifs.
Les élections présidentielles au Brésil se tiennent sous un système
majoritaire à deux tours, avec des candidats qui se font la lutte pour les
votes à l’échelle d’un pays d’une superficie de 8 511 965 kilomètres
carrés. Conformément à un amendement constitutionnel approuvé en juin 1997, les
présidents peuvent se faire réélire qu’une seule fois. En 1998, le président sortant
au moment de l’adoption de l’amendement, Fernando Henrique Cardoso, a été réélu
au premier tour avec 53,1 % des suffrages. En 2002, Luiz Inácio Lula da Silva a obtenu 46 % des votes au premier
tour avant d’être élu au second tour.
Les règles régissant les élections
législatives sont demeurées essentiellement les mêmes depuis leur établissement
en 1946. Le Sénat est la Chambre de représentation des régions brésiliennes :
chacune des 27 composantes de la fédération est représentée par trois sénateurs
qui sont élus avec une pluralité des votes pour un mandat de huit ans. Le Sénat
est renouvelé en alternance tous les quatre ans avec l’élection d’un tiers ou
des deux tiers de la Chambre; si l’élection comprend deux postes de sénateurs,
les électeurs ont deux voix sous un système de scrutin majoritaire plurinominal
(SMP).
La Chambre des députés est composée
de 513 représentants qui se font la lutte dans les 27 circonscriptions
électorales plurinominales correspondant aux 26 États et Brasília. La
représentation par circonscription est fonction de la population, sous réserve
qu’aucun État ne puisse avoir moins de huit représentants ou plus de 70
représentants. Les élections se tiennent sous un système de représentation
proportionnelle à scrutin de liste ouverte. Chaque électeur vote une fois, soit
pour un parti politique, soit pour un candidat. Les votes récoltés par les
candidats de chaque parti sont mis en commun et ajoutés aux votes reçus par ce parti en vue de
calculer le total de ses votes, lequel sert à déterminer le nombre de sièges que
l’on attribuera à chaque parti. Les candidats ayant obtenu le plus de
votes sur chaque liste de parti obtiennent les sièges qui sont attribués à ce
parti. Depuis 1950, l’attribution des sièges se fait sous la formule de D’Hondt.
Cependant, les partis qui n’atteignent pas le seuil requis dans une circonscription n’obtiennent pas de siège.
Jusqu’en 1998, le calcul du seuil était établi à partir du total des votes
valables et nuls, ce qui haussait grandement le niveau à atteindre afin d’être
représenté.
Découpage électoral inégal volontaire
Les règles s’appliquant aux élections de la Chambre des députés
constituent probablement l’élément le plus controversé du système électoral
brésilien. La taille minimale et maximale des circonscriptions électorales
signifie que la représentation de la population à la Chambre est inégale d’un État
à l’autre. Cette
situation va sérieusement à l’encontre du principe « à une personne
correspondent un vote et une valeur ». Ainsi, le nombre de votes
nécessaires pour élire un représentant à São Paulo, qui compte plus de 25 millions
d’électeurs et 70 sièges, est dix fois plus important qu’à Amapá, où l’on
retrouve environ 290 000 électeurs et huit sièges. Un découpage électoral inégal bénéficie aux États les
moins populeux, lesquels ont tendance à être plus pauvres et plus dépendants de
l’agriculture, et il est désavantageux pour les plus grands États plus riches
et plus industrialisés. Pour cette raison, on lui a souvent reproché d’être
l’un des principaux mécanismes de renforcement du traditionalisme en politique,
affaiblissant du même coup les partis politiques.
Cependant, cette affirmation doit
être nuancée. L’État de São Paulo est le seul grand perdant du découpage inégal,
car le nombre de représentants devrait augmenter d’environ 40 si la taille des
circonscriptions électorales devait refléter fidèlement celle de la population.
D’autres États sont légèrement sous-représentés : le deuxième grand
perdant est Minas Gérais (environ quatre représentants). Ainsi, les pertes découlant
du découpage inégal sont très concentrées. Elles reflètent également l’esprit
des personnes ayant élaboré la Constitution de 1946, qui désiraient trouver une
formule qui empêcherait São Paulo (et à un moindre degré Minas Gérais) de
dominer la fédération comme cela a été le cas pendant la période connue sous le
nom de la Première République (1899-1930).
Dans la mesure où le découpage
inégal favorise légèrement les États pauvres sur le plan politique, il peut aider à favoriser une
redistribution régionale de la richesse – ce qui n’est pas rien dans un pays comme
le Brésil où les inégalités entre les régions sont si élevées.
En outre, on prétend souvent que les
États surreprésentés peuvent bloquer systématiquement les lois de portée
nationale; or, cela reste à prouver. Il n’est pas nécessairement évident que la
façon de faire la politique dans les États surreprésentés soit si différente de
celle des États sous-représentés. Le clientélisme existe dans tous les États et
les élections sont des phénomènes de masse qui favorisent une forte concurrence.
Si le clientélisme caractérise la politique brésilienne, il y a peu de chances
que le découpage inégal de la
Chambre des députés en soit une cause importante.
Concurrence entre les partis et au sein des partis
L’une des caractéristiques
principales du système de représentation proportionnelle à scrutin de liste
ouverte pour la Chambre
des députés est de favoriser la concurrence entre les partis et au sein des partis.
Ces élections sont très concurrentielles. Par exemple, en 2002, 4 901
candidats se sont présentés pour l’un ou l’autre des 513 sièges de la Chambre. Seulement
neuf des 27 circonscriptions comptaient moins de 100 candidats; le nombre le
plus bas était 66 candidats pour les huit sièges de la circonscription de
Tocantins. Il y avait 793 candidats pour les 70 sièges de São Paulo, 602 pour
les 46 sièges de Rio et 554 pour les 53 sièges de Minas Gérais. Les partis se
font concurrence. Les candidats, qui cherchent à obtenir les sièges gagnés par
leurs partis, se font la lutte pour les votes de leurs partis. On dit que ceci
mène à un système axé sur la personnalité – et est une source de la faiblesse
des partis politiques brésiliens –, aux liens de clientélisme entre les
électeurs et leurs représentants, et à une Assemblée législative nationale qui
se préoccupe principalement d’enjeux locaux et de nature clientéliste plutôt
que de questions nationales liées aux programmes.
Encore une fois, il y a lieu de
nuancer ce point de vue. D’abord, il est loin d’être acquis que la personnalité
est le principal facteur de décision des électeurs lors des élections à l’Assemblée
législative brésilienne. Bien que le pourcentage de votes préférentiels
(c’est-à-dire quand l’électeur choisit un candidat en particulier et pas simplement
le parti) soit grandement plus élevé que le pourcentage de votes accordés au
parti, ces données disent peu de choses sur la façon dont les électeurs prennent
réellement leur décision. Si les électeurs accordent un peu plus d’importance à
la personne qu’au parti, il en découle que plusieurs électeurs qui votent en
faveur d’un candidat voteraient vraisemblablement pour ce dernier même s’il
changeait de parti. Or, aucune étude n’a essayé d’aborder directement cette
question; cependant, un peu partout les faits semblent indiquer que les
représentants qui changent de partis au milieu d’un mandat législatif ont moins
de chances de se faire réélire, ce qui suggère qu’ils ne sont pas en mesure de
récupérer les votes gagnés à
la première élection.
Les électeurs et leurs représentants
On en connaît encore moins sur les
rapports entre les électeurs et leurs représentants. Plusieurs efforts ont été
faits pour tenter de découvrir le mode de fonctionnement du clientélisme et des
faveurs locales qui ont dû être à la base de campagnes électorales et de
carrières législatives réussies. Les candidats qui réussissent, dit-on, sont
ceux qui procurent des gains concrets à leurs « commettants ».
Cependant, dans le système de circonscriptions plurinominales du Brésil, le représentant
est l’un d’au moins huit représentants de la circonscription, ce qui rend
difficile d’établir un lien entre un représentant donné et un nouveau projet de
dépense. Quoique certains candidats essayent et procèdent dans les faits à un
découpage géographique visant à englober leurs commettants, ce n’est pas la
seule voie, et peut-être même pas la plus efficace, pour entrer à la Chambre des députés. Une
étude de la répartition géographique des votes aux candidats ayant gagné
démontre qu’en 1994 et en 1998, environ 17 % seulement des représentants ont adopté une telle
stratégie, c’est-à-dire qu’ils ont réussi à obtenir le plus de votes dans un
ensemble concentré de localités. Les autres ont adopté différentes
stratégies, telles que le partage avec des concurrents d’un secteur
géographique relativement bien précis, la domination dans des localités
distantes l’une de l’autre ou l’obtention de parts relativement petites de leur
vote total dans des secteurs éloignés géographiquement. Étant donné le niveau
de concurrence des élections et le manque de protection juridique des
commettants, il est peu probable qu’un représentant puisse se sentir en
sécurité au sujet de sa victoire dans sa soi-disant circonscription. En effet,
le taux de réélection n’est pas très élevé : selon les évaluations, environ
60 % de ceux qui cherchent à se faire réélire réussissent. Ainsi, le
clientélisme ne caractérise pas,
du moins pas exclusivement, les liens entre les représentants et les
électeurs.
Le système électoral contribue-t-il à la fragmentation des partis?
Il y a encore beaucoup à apprendre sur
le fonctionnement du système de représentation proportionnelle à scrutin de
liste ouverte avec de grandes circonscriptions électorales telles que celui
existant au Brésil. Nous savons, cependant, que les élections sont extrêmement concurrentielles,
que l’avantage des gens au pouvoir est assez faible et que les relations des
députés avec leurs circonscriptions électorales diffèrent. Résultat : il n’y
a aucune stratégie qui ressort pour assurer la réussite d’une candidature.
À tout le moins, on peut mettre en
question l’affirmation voulant que le système électoral favorise le
clientélisme et l’individualisme à la Chambre des députés. Le présent aperçu discussion
ne porte pas sur les mécanismes que peuvent utiliser un président et les chefs
des partis pour influencer le comportement des députés, mais il reste que les
députés font face à d’autres pressions outre les exigences particulières d’électeurs.
Ces pressions agissent en contrepoids à la fragmentation accrue des partis.
Selon certains, la fragmentation des
partis à l’Assemblée législative brésilienne est responsable de plusieurs maux dont
a souffert le pays au cours des 15 dernières années. En général, on attribue le
niveau élevé de fragmentation du système de partis à une combinaison de facteurs
qui comprennent le système électoral et ses tendances individualistes, les
caractéristiques des systèmes présidentiels et le fédéralisme fort adopté par
la Constitution de 1988.
Cependant, depuis 1990, le degré de
fragmentation à la Chambre
des députés est demeuré constant, avec environ huit partis en place. Certains
aspects de la loi électorale tendent à favoriser les plus grands partis et visent
à contrer la
fragmentation. Les exemples comprennent l’ajout des votes nuls
pour calculer le quotient électoral (ce qui rend le quotient plus élevé et par
conséquent difficile à atteindre) et l’impossibilité pour tout parti n’ayant pas
atteint le quotient dans une circonscription d’obtenir un siège qui pourrait
rester à attribuer.
Les liens entre le présidentialisme
et les systèmes des partis ne sont pas encore assez bien compris. Cette
situation pourrait laisser croire que le fédéralisme est une cause de la fragmentation
du système de partis. De fait, certains des partis nationaux au Brésil sont des
coalitions de partis régionaux. Les petits partis émergent de ces coalitions
pour des raisons strictement locales, entraînant du coup une multiplication des
partis au niveau national. Peut-être s’agit-il de la raison véritable, ou de la
seule même, pouvant expliquer l’émergence
des nouveaux partis. Il reste qu’on ne peut établir clairement si le
fédéralisme est une cause de la fragmentation ou s’il s’agit simplement du reflet
d’une variété d’intérêts régionaux dans un pays comme le Brésil qui, étant si
vaste, doit s’adapter afin de pouvoir fonctionner de manière
démocratique.