Les médias jouent un rôle clé dans les élections non seulement en surveillant les actions des gouvernements, mais aussi en assurant que l’électorat dispose de l’information nécessaire pour faire un choix démocratique éclairé. Les gouvernements ont l’obligation de ne pas entraver ce travail des médias. En plus, et cela est tout aussi important, les gouvernements ont l’obligation de faciliter le pluralisme des médias pour que le public ait accès à une variété aussi large que possible de sources d’information. En effet, l’obligation prévue à l’article 19 de la Convention internationale sur les droits civils et politiques (CIDCP), garantissant la liberté d’expression et d’information, s’applique seulement aux gouvernements et certainement pas à des organisations médiatiques individuelles.
Comme l’a indiqué le Comité des droits de l’homme dans sa seule remarque sur l’article 19 de la CIDCP :
« En raison du développement des médias de masse modernes, des mesures efficaces sont nécessaires pour prévenir un contrôle des médias qui porterait atteinte au droit de chacun à la liberté d’expression[1]… »
C’est dans cette même optique que la Cour suprême du Zimbabwe a conclu que le monopole de la Société des postes et télécommunications, un organisme parapublic, était inconstitutionnel pour des raisons de liberté d’expression. La cour a considéré que la protection de la liberté d’expression s’appliquait non seulement au contenu de l’information, mais aussi aux moyens de transmission et de réception de l’information. Toute restriction sur les moyens de transmission constitue nécessairement une entrave au droit de recevoir et de transmettre l’information. Tout monopole, quelle que soit sa raison d’être, qui a pour effet d’entraver le droit de recevoir et de transmettre des idées et des informations porte atteinte à ce droit[2].
La jurisprudence de pays aussi différents que le Ghana, le Sri Lanka, Belize, l’Inde, Trinité- et-Tobago et la Zambie met en évidence cette double notion que les monopoles médiatiques sont une entrave inacceptable à la liberté d’expression et que les médias financés par l’État ont le devoir de véhiculer des points de vue autres que ceux du gouvernement au pouvoir. Plusieurs de ces arrêts (Zambie, Belize et Trinité-et-Tobago) se réfèrent au droit des opposants au gouvernement à faire connaître leurs opinions par le truchement des médias publics.
Ce droit s’étend également à d’autres types de minorités. La recommandation suivante provient d’un rapport de l’ONU sur les droits des minorités :
« Les membres des différents groupes doivent jouir du droit de participer, sur la base de leurs propres langue et culture, à la vie culturelle de la communauté, de produire et d’apprécier les arts et les sciences, de protéger leur héritage culturel et leurs traditions, de posséder leurs propres médias et autres moyens de communication et d’avoir accès, sur une base égalitaire, aux médias que l’État possède ou contrôle[3]. »
Il importe de souligner que le rôle des médias ne se résume pas à celui d’un simple outil d’expression. Les médias sont aussi, et surtout, un moyen pour le public d’exercer son droit à la liberté d’information. Ils ont notamment pour rôle de surveiller les activités des gouvernements et d’autres institutions puissantes. Ils ne peuvent évidemment pas jouer ce rôle s’ils doivent être strictement loyaux au gouvernement ou au parti au pouvoir.
Les directives les plus détaillées produites par les Nations Unies sur les meilleures pratiques en matière de pluralisme et d’accès aux médias sont les suivantes, qui ont été formulées par l’Autorité de transition des Nations Unies au Cambodge :
« La propriété des médias indépendants et libres doit être diversifiée, et ces médias doivent promouvoir et protéger la démocratie, tout en ouvrant des possibilités pour le développement économique, social et culturel[4]. »
L’énoncé le plus définitif sur la question est celui formulé par le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression des Nations Unies, Abid Hussein, qui concluait ainsi son rapport annuel de 1999 :
« Plusieurs principes fondamentaux, lorsqu’ils sont promus et respectés, favorisent le droit de rechercher, recevoir et répandre de l’information. Ces principes sont : un monopole dans les médias, ou une concentration excessive de propriété dans les mains d’un groupe restreint, doivent être évités si on veut développer une pluralité des points de vue et des opinions; les médias appartenant à l’État ont la responsabilité d’informer la population sur tous les aspects de la vie nationale et de fournir l’accès à une diversité de points de vue; les médias d’État ne doivent pas être utilisés comme des organes de communication ou de propagande au profit d’un parti politique en particulier ou un outil d’exclusion des autres partis et groupes par le gouvernement[5]. »
Le rapporteur spécial a ensuite énuméré une série d’obligations dont l’État doit s’acquitter pour assurer que « les médias ont la plus grande latitude possible » afin que « l’électorat soit le plus informé possible » :
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Il ne doit pas y avoir de préjugés ou de discrimination dans la couverture médiatique.
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La censure des programmes électoraux ne doit pas être autorisée.
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Les médias ne doivent pas être sujets à poursuites en cas de déclarations provocantes, et un droit de réponse doit être prévu.
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Il doit y avoir une distinction claire entre la couverture médiatique des activités d’une personne en tant que membre du gouvernement et de ses activités en tant que candidat d’un parti.
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Le temps d’antenne pour les émissions en accès direct doit être alloué sur une base juste et non discriminatoire.
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Les émissions permettent aux candidats de débattre entre eux et aux journalistes de leur poser des questions.
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Les médias doivent faire de l’éducation électorale.
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Les émissions doivent viser les groupes généralement défavorisés, par exemple les femmes ou les minorités ethniques ou religieuses
[1] Adopté par le Comité des droits de l’homme à sa 461e réunion le 27juillet 1983, Doc. de l’ONU A/38/40, 109.
[2] Retrofit (Pty) Ltd contre Société des postes et télécommunications, Cour suprême, 1995(9) BCLR 1262 (2).
[3] Moyens positifs de faciliter la résolution pacifique et constructive des problèmes impliquant des minorités (rapport du Rapporteur spécial Asbjorn Eide), Addendum 4, Doc. de l’ONU E/CN.4/Sub.2/1993/34/Add.4, partie II, paragr. 11 et 12.
[4] UN Transitional Authority in Cambodia (Autorité de transition des Nations Unies au Cambodge), Directives pour les médias au Cambodge (1992).
[5] Rapport du Rapporteur spécial sur la protection et la promotion du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Abid Hussain, Doc. de l’ONU E/CN.4/1999/64, 29 janvier 1999.