L’Internet a été présenté comme la prochaine révolution dans la communication électorale, après avoir révolutionné la diffusion de l’information à travers le monde. Déjà, des sondages d’opinion sont conduits par Internet (quoique leurs résultats soient à traiter avec beaucoup de prudence). Traiter ces affirmations avec un sain degré de scepticisme ne veut pas dire qu’il faut les rejeter du revers de la main. Il s’agit plutôt de porter un regard sensé sur la manière dont l’Internet s’intègre à l’ensemble de la structure médiatique.
Le premier point à noter est que l’Internet dépend des télécommunications – encore basées sur des lignes terrestres en général, plutôt que sur la téléphonie mobile. Deux exemples aident à mieux saisir cette réalité. Premièrement, il y a plus de téléphones à Manhattan que dans toute l’Afrique réunie. Deuxièmement, en Afrique du Sud, le 18e pays au monde pour le taux de connectivité à l’Internet, plus de la moitié de la population n’a jamais fait d’appel téléphonique[1]. Autrement dit, l’Internet reste un moyen de communication pour les gens relativement riches, plutôt que pour la masse des électeurs de la planète. De ce point de vue, il est différent de la radio et de la télévision, et cette différence n’est pas appelée à disparaître dans un avenir prévisible.
Néanmoins, l’Internet est devenu en peu de temps un moyen vital de communication politique – à preuve, les efforts déployés par des gouvernements comme celui de la Chine pour limiter l’accès à des sites Web jugés « subversifs ». Quand les médias conventionnels sont hautement censurés, l’Internet peut constituer un outil important pour acheminer à de petits groupes de personnes de l’information politique sensible qui peut ensuite être plus facilement diffusée. En d’autres termes, pour la majeure partie du globe, l’Internet est surtout un outil qui facilite la mise en circulation d’idées différentes plutôt qu’un moyen de communication de masse pour les partis, les candidats ou les autorités électorales.
Par ailleurs, la « convergence » entre les technologies de la radiodiffusion et des télécommunications est susceptible de rapprocher les médias traditionnels et l’Internet. Il est certain que les principaux fournisseurs d’un domaine peuvent facilement passer d’un domaine à l’autre. La téléphonie a évolué vers l’utilisation de satellites alors que la radiodiffusion a évolué vers l’utilisation du câble à fibres optiques. La conséquence économique et sociale en est le développement de monopoles médiatiques privés dans les secteurs de la radiodiffusion et de l’Internet.
Même aux États-Unis, pays où l’Internet est le plus répandu, les partis politiques ont utilisé ce média de façon étonnamment limitée. Ce fait s’explique peut-être par l’hésitation des politiciens modernes à entretenir une interaction spontanée avec l’électorat. Leurs sites Web ne présentent que la même information publiée par les moyens traditionnels, dans un format adapté à l’Internet.
Les organismes non gouvernementaux (ONG) sont ceux qui ont le plus rapidement adopté l’Internet à des fins électorales. Aux États-Unis, par exemple, des ONG ont mis en ligne des bases de données à l’aide desquelles le public peut se renseigner sur les dons faits aux campagnes des différents candidats ou sur les antécédents de vote d’un politicien. Cette pratique ne peut que favoriser la démocratie.
Une nouveauté moins positive est cependant l’utilisation de l’Internet pour enfreindre des conventions qui avaient été largement adoptées par les médias dits traditionnels – par exemple, en diffusant des sondages de sortie de bureau de vote avant même que le vote soit terminé.
Une caractéristique importante de l’Internet – bonne ou mauvaise, selon le point de vue – est la facilité avec laquelle les individus et les petites organisations peuvent y accéder. L’Internet ne comporte aucune des contraintes auxquelles les médias traditionnels font face sur le plan des coûts ou du contrôle de qualité. Cela a mené, par exemple, à l’apparition de « blogues ». Ces blocs-notes personnels, souvent écrits sans retenue, ont été aussi critiqués que loués. Ils n’en demeurent pas moins un phénomène politique avec lequel il faut désormais compter.
D’autres développements technologiques dans le domaine de l’Internet auront aussi des ramifications politiques. Le système RSS (Really Simple Syndication) est un moyen de diffuser des nouvelles de façon rapide et presque gratuite. Les réseaux de pair à pair permettent de transférer de façon simple et peu coûteuse des documents lourds (comme des fichiers audio et vidéo) à un grand auditoire. Par ailleurs, le « podcasting » (également appelé « baladodiffusion ») désigne la diffusion de fichiers audio et vidéo par Internet (et en principe par téléchargement sur des appareils d’écoute personnels).
La combinaison de ces technologies – comme la syndication de podcasts (ou « balados ») – représente un énorme potentiel. Les médias concernés ont la possibilité d’atteindre de vastes auditoires sans être soumis au contrôle d’aucune autorité de réglementation. Il s’agit d’une évolution essentiellement bénéfique en ce sens qu’elle évite la censure et renforce la liberté d’expression. Par exemple, à Singapour, où les principaux médias sont sous contrôle officiel, le leader de l’opposition a diffusé ses messages politiques au moyen de podcasts.
L’Internet ne peut que gagner en importance par rapport aux médias traditionnels. Pour beaucoup de journalistes, l’Internet est d’ailleurs devenu une source importante d’information. Les autorités électorales utilisent de plus en plus le Web pour diffuser leur information, qui est ensuite reprise par les médias traditionnels et portée à la connaissance d’un public plus large encore. Ce point est particulièrement important pour la publication des résultats d’élections. Si le site Web peut être relié à la base de données des résultats de l’autorité électorale, les résultats peuvent être immédiatement accessibles au public.
L’Internet peut aussi être un moyen important de distribution d’émissions de radio. C’est une manière particulièrement efficace de rendre des émissions accessibles aux radios régionales ou locales dans les grands pays – l’Indonésie, par exemple, a expérimenté cette approche. Ce moyen pourrait servir à la distribution d’outils d’éducation électorale ou à la diffusion d’émissions dans des créneaux d’accès direct.