Le monitorage des médias est une activité dont l’objet est de collecter des données, de réaliser des analyses d’informations électorales provenant de la presse écrite, de radiodiffuseurs et de médias en ligne et de présenter leurs résultats. Outre son rôle de mécanisme de réglementation, le monitorage des médias présente un intérêt plus large pour le processus électoral, notamment en ce qui concerne l’évaluation de l’équité des élections en termes de liberté d’expression par les médias, les électeurs et les candidats, le signalement précoce des actes de violence liés aux élections, la promotion de la participation des femmes et des minorités et la consolidation des connaissances relatives aux médias des agents électoraux et du grand public.
Bien qu’il représente une activité importante, le monitorage des médias n’est mis en œuvre couramment que depuis peu de temps dans le cadre de la gestion des élections. Les extraits suivants de missions de monitorage mettent en évidence le rôle central du monitorage des médias sur le plan de l’évaluation de l’intégrité électorale et du développement démocratique.
Arménie 2012, OSCE/BIDDH
Dans de nombreux cas, les chaînes de télévision diffusent dans leurs journaux le matériel de campagne utilisé par les candidats pour leurs publicités politiques payantes au lieu d’utiliser leur propre matériel. Ces pratiques portent préjudice à la crédibilité des reportages des médias, compromettent leur autonomie par rapport à la sphère politique et affaiblissent la diversité des médias. Cette situation prive les téléspectateurs de reportages indépendants en raison de l’absence de distinction nette entre les informations et les publicités politiques[i].
Cambodge 2007, Comfrel
La vaste majorité de la couverture des événements politiques [par les médias détenus par l’État] (environ 93 %, soit 167 heures et 15 secondes) est consacrée aux activités du Gouvernement royal du Cambodge, notamment à son Premier ministre. De plus [en dehors de deux programmes particuliers financés par le PNUD et l’OGE], les médias publics ne semblent pas être ouverts aux partis autres que le parti politique au pouvoir : la grande majorité du temps d’antenne des partis politiques est consacrée au Parti populaire cambodgien (environ 82 %). Cette couverture médiatique inégale a faussé les règles du jeu car les autres partis ont éprouvé des difficultés à entrer en compétition avec le parti au pouvoir par le biais des médias [ii].
Comfrel fait également observer que la couverture médiatique des femmes politiques est minime et qu’il n’y a aucune couverture par les médias des candidats autochtones, jeunes et en situation de handicap[iii].
Nicaragua 2010, Mission d’observation électorale de l’Union européenne
Les médias [...] reflètent non seulement la profonde polarisation de la scène politique du Nicaragua, mais jouent également un rôle actif dans cette polarisation. Ils semblent être l’un des champs de bataille de la prochaine phase politique. Les deux principaux journaux du Nicaragua, les quotidiens La Prensa et El Nuevo Diario, en raison de leur tradition et de leur importance historiques, dictent le programme politique médiatique dans le pays[iv].
Soudan 2010, SMEC
Les incitations à la haine et les propos incendiaires dans les médias ont fortement augmenté à l’approche du jour du scrutin et se sont poursuivis au lendemain des élections, quoique de manière moins exacerbée. Les principales incitations à la haine qui ont été constatées sont les propos diffamatoires à l’égard des acteurs politiques avant les élections et les appels à la violence et les accusations de fraude électorale après le jour du scrutin. Les protagonistes du monde politique et des médias ont favorisé les uns et les autres ce discours de haine[v].
Comme le montrent ces exemples provenant de différentes parties du monde, le monitorage des médias est essentiel pour appréhender la qualité des processus électoraux.
En quoi consiste le monitorage des médias ?
Le monitorage des médias est une pratique répandue dans le cadre des élections depuis le milieu des années 90. Il s’appuie généralement sur une « analyse quantitative » ou sur une « analyse qualitative » du contenu des médias, ou encore sur les deux à la fois. L’analyse quantitative, qui est la méthodologie la plus simple et la moins controversée, a souvent un impact plus important. Elle consiste simplement à recenser des données chiffrées sur la couverture médiatique des élections, c’est-à-dire le nombre de passages consacrés aux différents partis et leur durée, la longueur des colonnes de journaux en pouces, le nombre de diffusions en accès direct et leur durée, etc. La quantité d’informations consacrées à chaque parti ou à chaque candidat constitue généralement le principal critère d’analyse pour évaluer les allégations de partialité.
L’analyse qualitative est, comme son intitulé le laisse entendre, une évaluation de la qualité de la couverture médiatique des partis et des candidats. Ce type d’analyse porte principalement sur la couverture de l’actualité alors qu’elle devrait également porter sur l’éducation des électeurs. L’analyse qualitative permet d’étudier le langage employé ainsi que le message général qui est transmis. Elle permet d’apporter un éclairage contextuel aux résultats quantitatifs et une analyse plus approfondie. Par exemple, affirmer que le parti X a reçu tel pourcentage de couverture médiatique ne présente pas d’intérêt si une grande partie de cette couverture n’est pas impartiale. Bien évidemment, l’évaluation de l’impartialité est plus subjective que la simple comptabilisation des minutes et des secondes d’antenne ou la mesure de la longueur en pouces des colonnes de journaux dans lesquels apparaît chaque candidat.
En règle générale, les organisations de monitorage des médias, qu’il s’agisse de groupes nationaux de la société civile, d’équipes d’observateurs nationaux ou internationaux, d’OGE ou d’autres entités, utilisent désormais des méthodologies relativement similaires. Des ONG internationales, telles que l’Europäisches Medieninstitut, et des organisations nationales, telles que l’Osservatorio di Pavia (Italie), MEMO98 (Slovaquie), Media Monitoring Project (Afrique du Sud) et le National Democratic Institute for International Affairs (États-Unis), ont popularisé des méthodologies de monitorage à la fois simples, efficaces et étonnamment subtiles et ont établi un vaste réseau de personnes qui ont été familiarisées avec leur utilisation.
Le monitorage des médias porte généralement sur les principaux acteurs des médias issus à la fois de la presse écrite, de la radio et de la télévision. Récemment, certains observateurs ont commencé à surveiller également les réseaux sociaux.
Qui observe les médias ?
Habituellement, trois groupes principaux assurent le monitorage des médias pendant les élections :
- Les organismes de gestion électorale (OGE) ;
- Les missions internationales d’observation électorale ;
- Les groupes d’observateurs nationaux et les organisations de la société civile.
Les autres organismes qui observent les médias pendant les élections sont, entre autres, les organisations professionnelles de médias (comme le Haut Conseil des médias au Rwanda[vi]), les organismes de régulation des médias (tels que l’Independent Communications Authority of South Africa[vii]) et les organes de monitorage interne des médias eux-mêmes qui s’efforcent de garantir une couverture médiatique équitable[viii]. L’Australian Broadcasting Commission, organisation financée par l’État, forme par exemple un comité d’examen de la couverture électorale avant chaque élection nationale. Ce comité est composé de hauts responsables d’ABC qui se rencontrent de manière hebdomadaire pendant la période des élections et transmettent des commentaires aux rédacteurs en chef à propos des performances en cours d’ABC et de son respect de la législation et des règles relatives à la couverture électorale[ix].
Selon la situation, la mission peut être différente. Les OGE et les organismes de régulation des médias observent normalement les médias pour déterminer s’ils respectent les réglementations ou les lois régissant leurs activités pendant les élections. S’ils ont une fonction réglementaire directe, ils utilisent les résultats de ce monitorage pour veiller à ce que les médias concernés respectent les normes imposées et avertir ou sanctionner des médias, le cas échéant.
Les observateurs internationaux veillent également au respect des lois et réglementations locales par les médias. Cependant, ils examinent aussi dans quelle mesure les médias contribuent à l’organisation d’élections libres et équitables et veillent au respect des droits universels à la liberté d’expression. Les observateurs ne disposent néanmoins d’aucun pouvoir d’application de la loi ni de pouvoir d’ingérence et tiennent compte de ces facteurs lorsqu’ils formulent leurs recommandations en adoptant un ton approprié et en les diffusant au moment adéquat. Les missions internationales d’observation électorale participent au monitorage des médias en contribuant à l’analyse de l’impartialité de la couverture médiatique dans le cadre de leurs évaluations générales extérieures de la conduite des élections.
Les groupes d’observateurs nationaux et d’autres groupes de la société civile peuvent disposer d’une plus grande liberté concernant leur méthodologie de monitorage de la couverture électorale. Ces organismes nationaux peuvent utiliser des méthodologies d’analyse plus variée et plus approfondie pour évaluer différentes formes de partis pris de la part des médias. Les OGE, en revanche, sont souvent limités à une simple analyse du temps accordé aux partis et aux candidats. Les observateurs de la société civile possèdent généralement une solide compréhension sur le plan local du contexte, des acteurs, des langues, etc. Nombre d’entre eux entretiennent de bonnes relations avec les médias nationaux et peuvent leur communiquer rapidement et directement leurs conclusions. Par exemple, un groupe de la société civile, le Sudan Media and Elections Consortium, a publié deux fois par semaine des résultats relatifs au monitorage des médias pendant et après les élections de 2010. Les initiatives d’observation de la société civile peuvent ainsi contribuer à développer les normes journalistiques ou à traiter d’autres problèmes pendant la durée des campagnes électorales. Certaines organisations peuvent s’intéresser à des problèmes spécifiques, tels que l’incitation à la haine, la violence électorale ou la représentation des femmes et des minorités pendant les élections, et portent leurs efforts sur ces questions.
Les organisations professionnelles de médias et les agences de presse ont davantage tendance à cibler leurs efforts en matière de monitorage sur l’équilibre de la couverture médiatique afin de préserver la crédibilité des médias et du secteur dans son ensemble et de veiller au respect de la loi.
Les efforts de ces différents groupes de monitorage peuvent être complémentaires et coordonnés et même être réalisés de manière conjointe. Parfois, par exemple pendant les premières élections multipartites au Malawi en 1994, l’OGE peut découvrir l’existence d’un groupe de monitorage des médias de la société civile et s’appuyer sur celui-ci pour améliorer l’équité de la couverture médiatique. Dans d’autres cas, l’OGE peut engager un groupe de monitorage privé ou issu de la société civile pour qu’il remplisse son rôle d’observation sur le terrain. Le Conseil de surveillance électorale indonésien, l’organisme public de réglementation de la radiodiffusion et le Conseil de presse, qui est un organe indépendant, ont directement coopéré en créant un comité mixte chargé du monitorage des médias[x]. Au cours des élections présidentielles en Ukraine en 2004, des groupes intergouvernementaux et des organisations locales de défense des droits de l’homme et de la liberté des médias ont participé au monitorage des médias. Des groupes d’observateurs locaux ont publié régulièrement leurs conclusions à ce sujet ainsi qu’à propos d’un ensemble plus vaste de sujets. Celles-ci ont été corroborées par les conclusions d’observateurs internationaux.
[i] « Republic of Armenia: Parliamentary Elections 6 May 2012 », OSCE/BIDDH, mission d’observation électorale, rapport d’observation, Varsovie, 26 juin 2012, p. 9, http://www.osce.org/odihr/elections/91643
[ii] « Final Report of the Media Monitoring: Commune Council Elections 1 April 2007 », rapport d’observation du Committee for Free and Fair Elections in Cambodia, 2007, p. 13
[iii] Ibid
[iv] « Republic of Nicaragua – Regional Elections, 7 March 2010, Final Report », rapport d’observation de la mission d’experts électoraux de l’Union européenne, avril 2010, p. 13
[v] « Media and elections in Sudan: Monitoring the coverage of Sudan 2010 elections, Period 13 February to 31 October 2010 », rapport d’observation du Sudan Media and Elections Consortium, décembre 2010, p. 10
[vi] Eugene Kwibuka, « Press Council to ensure fair election coverage », The New Times, 12 juin 2012, http://www.newtimes.co.rw/news/index.php?i=15041&a=9158.
[vii] L’ICASA procède uniquement à l’observation des radiodiffuseurs. Pour consulter un exemple de rapport d’observation électorale de l’ICASA, cliquer ici.
[viii] Il est parfois demandé aux conseils de presse d’accomplir des tâches d’observation. Voir l’exemple du Népal.
[ix] Voir l’exemple de rapport de l’ABC : http://www.abc.net.au/corp/pubs/documents/ABC-ECRC-Chairman_Report_FederalElection2010.pdf
[x] « Pantau Iklan Kampanye, Panwaslu Gandeng KPI dan Dewan Pers », le Conseil de surveillance électorale, la Commission de radiodiffusion indonésienne et le Conseil de presse participent ensemble à l’observation de la publicité de la campagne, Media Indonesia, 31 mai 2012