Les tribunaux internationaux – et de plus en plus les tribunaux nationaux – reconnaissent clairement que les politiciens et les gouvernements sont exposés à plus de critiques et d’insultes que les individus privés et que, par conséquent, la loi leur offre moins de protection. C’est l’opposé de la situation qui a souvent prévalu dans le passé, où des responsables gouvernementaux poursuivaient leurs critiques pour diffamation criminelle.
Le droit international fait également la distinction entre les allégations factuelles et les opinions. Les opinions politiques ne peuvent être limitées que dans les circonstances les plus extrêmes. Elles ne peuvent pas être limitées au motif qu’elles sont « fausses » car, comme l’a noté la Cour européenne des droits de l’homme, demander à une personne accusée de diffamation de prouver la véracité d’une opinion « enfreint la liberté d’opinion elle-même »[1].
La Cour européenne des droits de l’homme a jugé unanimement que parce que « la liberté de débat politique est au cœur même du concept d’une société démocratique, les limites de l’acceptabilité de la critique sont donc plus élargies lorsqu’il s’agit d’un politicien que lorsqu’il s’agit d'un individu privé. De plus, il est plus acceptable de critiquer le gouvernement qu’un citoyen privé ou même un politicien. Les pénalités pour diffamation en de tels cas ne s’appliqueraient que si les accusations étaient dépourvues de fondement ou formulées de mauvaise foi. » La cour a aussi affirmé :
« Bien que la liberté d’expression soit importante pour tous, elle l’est d’autant plus pour un représentant élu qui représente les électeurs, attire l’attention sur leurs préoccupations et défend leurs intérêts. Les obstacles à la liberté d’expression d’un député de l’opposition doivent être examinés minutieusement par la cour[2]. »
Les lois civiles sur la diffamation peuvent légitimement être utilisées pour protéger les réputations contre des allégations imprudentes et malicieuses. Mais de plus en plus, les tribunaux nationaux jugent que la portée d’une loi sur la diffamation doit être telle qu’elle n’empêche pas les médias de remplir leur fonction essentielle, ou qu’elle n’étouffe pas le débat politique. L’arrêt historique de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire New York Times contre Sullivan (1964) a établi le principe que la critique d’une personnalité publique doit connaître plus de latitude, au point même d’agréer des déclarations fausses ou inexactes, à condition que celles-ci ne soient pas formulées de façon malicieuse. La cour a souligné que les personnalités publiques avaient un accès plus facile aux réseaux de communication pour réfuter de fausses déclarations[3]. Au cours des dernières années, cette approche a été adoptée, de manières différentes, dans une variété de juridictions, dont le Royaume-Uni, l’Australie, le Pakistan, l’Inde et la Zambie[4].
[1] Lingens contre Autriche, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 103.
[2] Castells contre Espagne, arrêt du 23 avril 1992, série A no 236.
[3] New York Times contre Sullivan, 376 US 254 (1964).
[4] Joanna Stevens, « Sullivan's Travels », dans Southern African Media Law Briefing, vol. 2 no 1, avril 1997.