Le rôle essentiel des nouveaux médias pendant la vague de révolutions du printemps arabe, qui a commencé en 2011, a reçu une grande attention à l’échelle internationale. Cependant, les nouveaux médias ont également joué un rôle crucial vis-à-vis de la transparence des élections organisées au lendemain de ces révolutions. Cette étude de cas fournit des informations à propos de l’un de ces efforts de transparence électorale, en soulignant la façon dont des « cybercitoyens »[i] se sont organisés pour diffuser des informations à propos des activités le jour du scrutin des élections législatives égyptiennes en 2011.
L’émergence des nouveaux médias n’est pas un phénomène nouveau dans les pays où les révolutions du printemps arabe se sont déroulées. Comme dans d’autres pays, Facebook, les blogs, Twitter, YouTube et les autres sites de réseaux sociaux se sont imposés au fil des ans. Cependant, ces révolutions ont créé un contexte favorable pour l’essor et la diversification de grande ampleur de l’usage des nouveaux médias. Bien sûr, peu d’éléments factuels permettent de démontrer que les révolutions sont le résultat de cet usage en soi des nouveaux médias. Les révolutions arabes découlent d’un ensemble de facteurs qui ont entraîné des troubles sociaux, comme la hausse du prix du blé, des décennies de répression politique, la pauvreté et de nombreux autres facteurs propres à chaque pays.
Cependant, les nouveaux médias ont permis de manière inédite de faire émerger ces agitations sociales, de mobiliser des partisans et d’organiser des actions. Les nouveaux médias permettent aux citoyens ordinaires de se tenir informés et n’ont pas été soumis aux règles strictes de censure de l’information dans chacun des pays du printemps arabe en raison de leur origine : Internet. Une étude de cas d’une thèse sur la révolution égyptienne émet l’observation suivante :
En raison de la nature récente de ces événements, les discours théoriques et universitaires sont toujours en cours d’élaboration et les données et les analyses portant sur le rôle des réseaux sociaux pendant le printemps arabe sont très limitées. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas d’information à ce sujet. La nature des sources d’information en constitue un élément distinctif : pour une des premières fois dans l’histoire, les soulèvements du printemps arabe ont été couverts par des citoyens ordinaires via Twitter, Facebook, des blogs en ligne et des vidéos sur YouTube et cette couverture a été plus importante que celle des médias traditionnels. Selon un rapport sur les réseaux sociaux arabes de 2011, 94 % des Tunisiens et 88 % des Égyptiens s’informent via des réseaux sociaux. « Dans ces deux pays, la population s’informait également en consultant au moins un média soutenu par l’État (40 % de la population en Tunisie et 36 % en Égypte). » Il est tout aussi important de noter que le nombre d’utilisateurs de Facebook en Égypte est désormais plus important que le nombre d’abonnés à la presse écrite. En dehors de Twitter, de Facebook et de YouTube, les blogs personnels ont permis de véhiculer une vision « de l’intérieur » du déroulement des révolutions. Le fait que ces outils de réseaux sociaux, qui étaient réputés auparavant pour leur rôle exclusif de socialisation, sont désormais utilisés en tant que sources d’informations et de données constitue un élément extrêmement révélateur de leur pertinence à l’égard des mobilisations politiques contemporaines[ii].
L’analyse des nouveaux médias porte habituellement sur leur utilisation en tant qu’outils ayant facilité ces révolutions et les mobilisations politiques de manière générale, mais il est également important de reconnaître leur rôle essentiel vis-à-vis de la transparence des élections qui ont suivi. Les élections législatives égyptiennes qui ont commencé en novembre 2011 ont été les premières véritables élections organisées dans le pays depuis le renversement de la monarchie en 1952. Pendant ces élections, les nouveaux médias ont participé à la surveillance du processus et aux débats.
Les fondations de ces initiatives ont été posées moins d’un an avant le début des révolutions par une organisation militante, U-Shahid (« Vous êtes un témoin » en arabe), qui a créé un réseau de citoyens spécialisés dans les réseaux sociaux pour observer les élections législatives de 2010 – qui ont été entachées d’incidents et au cours desquelles l’opposition a été opprimée, les médias indépendants ont été muselés et les résultats ont été truqués[iii]. Dans cette vidéo YouTube, l’organisatrice et célèbre activiste égyptienne, Esraa Abdel Fattah, explique à Human Rights First les motivations du groupe à propos de l’utilisation des nouvelles technologies pour réclamer des réformes : http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=ANkpNSVplDs#!
Cette organisation a été confrontée à de nombreux défis concernant l’observation de ces futures élections avant la révolution. Cependant, cette expérience a permis aux militants de mettre leurs méthodologies à l’essai, de perfectionner leurs techniques et leurs approches et de recueillir des soutiens. Après la révolution, qui a entraîné le renversement du régime de Moubarak, U-Shahid s’est retrouvé dans un nouvel environnement où les nouveaux médias étaient en plein essor, tandis que les médias locaux traditionnels ainsi que les groupes d’observateurs électoraux éprouvaient des difficultés à trouver leur place dans ce contexte de liberté caractérisé par des changements et des fluctuations.
Voici un extrait d’un article du Christian Science Monitor à propos des intentions du groupe avant ces élections :
« Malheureusement, la situation est globalement catastrophique, extrêmement délétère et très préoccupante, notamment en ce qui concerne les pressions exercées à l’encontre des médias indépendants », déclare Bahey el-Din Hassan, directeur de l’Institut du Caire pour l’étude des droits de l’homme.
Tout cela est de mauvais augure vis-à-vis de l’annonce de M. Moubarak qui a promis d’organiser des élections sans irrégularités, mais des blogueurs et des militants se sont associés pour révéler au grand jour les abus des autorités à l’aide d’une méthodologie de surveillance fondée sur l’utilisation d’Internet et des téléphones portables et sur la mobilisation des citoyens.
Le rôle de Twitter sur la scène électorale
Les signalements d’irrégularités électorales seront consignés sur une carte d’Égypte interactive et accessible à partir du site Internet U-Shahid.org, qui signifie « vous êtes témoin ». Les citoyens pourront signaler ces abus à l’aide de SMS, de Twitter ou de courriels en envoyant une photo ou une vidéo à des fins de vérification. Les organisateurs espèrent que cette initiative incitera les citoyens ordinaires à jouer un rôle politique.
« Nous pensons que ce nouvel outil d’observation électorale sera plébiscité par un plus grand nombre de personnes », déclare Esraa Abdel Fattah, une militante et organisatrice du projet qui a été arrêtée après avoir utilisé un site de réseau social pour participer à l’organisation d’une grève nationale en 2008. « Nous voulons qu’ils comprennent que quelque chose se passe en Égypte et qu’ils devraient s’investir pour constater les irrégularités. Ces élections ne sont que de la poudre aux yeux pour montrer au monde que nous organisons des élections et que nous sommes en démocratie en Égypte. En réalité, nous ne sommes pas en démocratie, ceci est un leurre. »
Un rôle vacant rempli par 125 bénévoles
Le groupe a recruté 125 bénévoles dans tout le pays, qui ont utilisé eux-mêmes leurs propres réseaux pour recruter et former d’autres bénévoles. Selon Kamal Nabil, directeur du Centre d’appui à l’institutionnalisation et au développement, l’organisation non gouvernementale égyptienne à la tête de ce projet, la plupart des personnes impliquées sont des citoyens ordinaires et non pas des militants expérimentés.
Il y a peu de temps, près de 35 bénévoles se sont réunis pour participer à une formation d’une après-midi. Alors que les rayons du soleil filtraient à travers la fenêtre en cette fin de journée, ils apprenaient à utiliser la technologie de cartographie et à publier des photos et des vidéos à l’aide de Twitter pour signaler les irrégularités électorales.
Ces bénévoles joueront un rôle qui était alors vacant. Selon les groupes locaux de la société civile, leurs opérations d’observation ne se feront pas sans difficulté alors que les observateurs électoraux internationaux ont eux-mêmes été exclus. Le gouvernement a récemment fermé un grand nombre de stations satellitaires et a restreint la diffusion de programmes de télévision en direct et l’envoi groupé de SMS[iv].
Le jour du scrutin, U-Shahid a mis à profit son expertise en dépêchant des journalistes citoyens dans les bureaux de vote de l’ensemble du pays afin d’être en mesure de communiquer leurs observations en toute liberté et en temps réel. Ces observations ont été compilées et téléchargées sur le site Internet de U-Shahid. D’après les 600 rapports des bureaux de vote de l’organisation qui ont été transmis via les réseaux sociaux, seulement 5 % des lieux de scrutin n’ont été le théâtre d’aucun incident. La majorité des rapports ont fait état de problèmes de scrutin mineurs, tels que des horaires d’ouverture tardifs des centres de vote (même si des retards importants de plus de six heures ont été signalés dans certains cas) ou un manque de matériel (tampons officiels, etc.). Dans 35 % des cas, des problèmes majeurs ont été signalés, tels que l’organisation de campagnes illégales, et dans 4 % des cas, des actes de violence ont été constatés. Un rapport récapitulatif en anglais est accessible à l’adresse suivante, http://www.u-shahid.com/?p=3986, et une version complète du rapport (ainsi que des données supplémentaires en arabe) est accessible ici : http://www.u-shahid.com/
[i] Citoyens qui utilisent de manière active les sites Internet communautaires, comme les blogs et les réseaux sociaux.
[ii] Madeline Storck, « The role of Social Media in Political Mobilisation: A Case Study of the January 2011 Egyptian Uprisings », thèse de doctorat à l’Université de St Andrews, Écosse, 20 décembre 2011, p. 5-6
[iii] Voir par exemple le rapport suivant de la BBC du 28 novembre 2010 : http://www.bbc.co.uk/news/world-middle-east-11855691
[iv] Kristen Chick, « Volunteers go hi-tech to map Egypt election irregularities » :
« Le régime du Président Hosni Moubarak a rejeté les appels des États-Unis à autoriser les observateurs étrangers à participer aux élections égyptiennes ce week-end, mais les bénévoles, qui possèdent des logiciels innovants, restent déterminés. »
Christian Science Monitor, 22 novembre 2010, http://www.csmonitor.com/World/Middle-East/2010/1122/Volunteers-go-hi-tech-to-map-Egypt-election-irregularities