L’impartialité est l’une des marques d’une bonne couverture électorale et cette question est reliée de près à celle de l’exactitude. Une couverture exacte est une condition préalable, mais non suffisante, de l’impartialité. Une couverture électorale partiale est une couverture rapportant uniquement la position d’un parti ou d’un candidat privilégiés sans faire écho aux autres positions. La présentation de différents points de vue est un gage d’une plus grande solidité et d’un plus grand équilibre de la couverture.
Il est parfois difficile pour les médias d’établir un équilibre à l’intérieur d’un même reportage. Par exemple, un journaliste qui est assigné à couvrir la campagne d’un parti n’a pas nécessairement la possibilité d’obtenir des commentaires des autres partis. Dans ce cas, il appartient aux rédacteurs en chef de s’assurer que les positions de différents partis sur la même question sont couvertes, soit en les réunissant dans le cadre d’un même reportage, soit en les présentant sous forme de reportages parallèles présentant différentes positions.
Un des éléments de l’impartialité dans la couverture électorale est la distinction entre les faits et le commentaire. En d’autres termes, si un journaliste ou un rédacteur en chef exprime son opinion, il convient de l’indiquer, même lorsqu’il s’agit de journalisme engagé. Un média peut prendre position en faveur d’un parti, d’un candidat ou d’un principe politique, mais il a encore l’obligation de fournir une couverture électorale impartiale et exacte, même si cette exactitude peut être défavorable vis-à-vis de ce soutien. Cette obligation éthique relève de la responsabilité du journaliste individuel, du rédacteur en chef et aussi de la haute direction du média concerné.
Par conséquent, est-il éthique que les journalistes et les rédacteurs en chef expriment leurs opinions ? De manière générale, les journaux crédibles – dans leurs versions au format papier et en ligne – comprennent souvent des éditoriaux de leurs rédacteurs en chef et d’autres sections réservées aux commentaires d’autres intervenants, qui sont la plupart du temps ouvertement favorables à un parti ou à un candidat particulier. Selon un manuel de monitorage des médias du NDI, « [d]ans de nombreux pays, il existe un grand nombre de journaux et de magazines privés qui présentent une grande variété de points de vue politiques. Les partis politiques peuvent même imprimer et distribuer des journaux pour présenter leurs opinions. » [i] Aucune de ces pratiques n’est fondamentalement contraire à l’éthique dans la mesure où la source du contenu est indiquée aux lecteurs ainsi que différentes options et perspectives. Par exemple, The Economist, un magazine d’actualités internationales éminemment respecté, apporte souvent son soutien en faveur d’un candidat particulier, par exemple Barack Obama aux États-Unis en 2008 et Nicolas Sarkozy en France en 2012.
Les attentes en matière d’impartialité ne sont pas les mêmes vis-à-vis des médias publics (notamment les chaînes de télévision et les stations de radio publiques) et de la presse écrite. En règle générale, on s’attend à ce que les radiodiffuseurs publics proposent une plus grande diversité de points de vue et moins de contenus éditoriaux. Cela s’explique par le fait que ces médias relèvent de la propriété publique, sont souvent suivis par une grande partie de la population du pays et peuvent exercer une influence très importante, notamment dans les contextes où le public bénéficie de choix limités tout en ayant un accès restreint aux nouveaux médias.
Enfin, une marque importante de l’impartialité d’un journaliste est le fait qu’il n’occupe pas un poste d’importance au sein d’un parti ou d’un mouvement politique. Les journalistes ont le droit, autant que quiconque, à leurs croyances et à leurs loyautés politiques, mais toute affiliation politique professionnelle compromettrait la crédibilité d’un journaliste en tant que chroniqueur impartial des événements.
Il va sans dire qu’un journaliste impartial et responsable se doit de refuser les pots-de-vin. Néanmoins, la corruption mérite une attention toute particulière en raison de son caractère répandu dans les processus électoraux et dans le journalisme en général. Le versement d’argent en espèces en échange d’une couverture médiatique est une forme traditionnelle de corruption, mais il existe d’autres formes de corruptions sans contreparties financières. Celles-ci peuvent être subtiles, comme la fourniture d’un service de transport, de ressources ou de cadeaux.
Voici quelques exemples de corruption des médias qui ont été extraits d’un rapport du Center for International Media Assistance (CIMA), qui est intitulé « Cash for Coverage: Bribery of Journalists Around the World » :
En Afrique du Sud, un journaliste a déclaré sous serment qu’il avait fondé avec d’autres personnes une agence de relations médias qui apportait de l’aide, en échange de paiements en espèces, à un représentant de l’ANC pour faire face aux rivaux du parti. Il a déclaré avoir reçu entre 5 000 et 10 000 rands sud-africains et savait qu’il « ne pouvait pas rédiger d’articles négatifs à propos de ce candidat ou de ses alliés. »
[…] Au Liban, « il est toujours courant d’offrir des « cadeaux » aux journalistes […] Certains responsables politiques prévoient des lignes budgétaires pour les pots-de-vin. Selon votre position hiérarchique et le média dans lequel vous travaillez, on peut vous offrir une voiture ou un ordinateur portable. » [ii]
Les journalistes qui acceptent une forme de contrepartie en échange de la rédaction d’articles bienveillants à propos d’un responsable politique ou d’une personnalité de premier plan nuisent à leur profession. Il est tout aussi contraire à l’éthique de promettre de couvrir de manière négative des adversaires politiques ou de ne leur consacrer aucune couverture médiatique. Des organes d’information qui se trouvaient dans une situation financière difficile ont essayé, par exemple, de surmonter le problème des récompenses à l’aide des approches suivantes : en appliquant des règles strictes de recrutement et de licenciement qui interdisent aux journalistes de percevoir des gratifications illicites ; en proposant des formations sur le thème de l’éthique à tous les membres du personnel ; en appliquant des mesures d’incitation de nature non salariale pour compenser la faible rémunération des journalistes (par exemple des programmes de formation et d’autres formes d’activités de perfectionnement professionnel) ; en plaidant en faveur d’investissements et de financements de bailleurs pour les médias et leur développement. De plus, les conseils et les médiateurs de presse peuvent adhérer à un code de bonne conduite qui comprend des mesures sanctionnant les journalistes qui acceptent les pots-de-vin. Les parties prenantes commencent à plaider davantage en faveur d’une transparence des salaires dans le secteur des médias. Globalement, le plaidoyer et la reconnaissance à l’échelle internationale de la gravité et de l’omniprésence de la corruption des médias ont nettement progressé ces dernières années.
[i] Robert Noris, « Media Monitoring to Promote Democratic elections: an NDI handbook for citizen organizations », Washington DC : Institut national démocratique pour les affaires internationales, 2002, p. 3
[ii] Bill Ristow, « Cash for Coverage: Bribery of Journalists Around the World », Washington DC : National Endowment for Democracy, 2010, p. 9