Les médias comme les élections reposent sur un certain nombre de droits de l’homme fondamentaux et interdépendants. Ces droits sont détenus par les électeurs, les candidats et les médias eux-mêmes[i]. Ils sont énoncés dans des conventions internationales et régionales relatives aux droits de l’homme, y compris l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies (1948), qui protège la liberté d’expression à tout moment, et l’article 21, qui protège la participation à la vie politique et le vote. Ils sont repris dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les interdictions de discrimination à l’encontre des femmes, des personnes handicapées et des groupes vulnérables énoncés dans la législation relative aux droits de l’homme sont par ailleurs implicites dans ces droits.
Si l’on considère les relations avec les médias du point de vue des organismes de gestion électorale, deux principes importants entrent en jeu : la transparence et la confidentialité.
- La transparence signifie que les activités des organismes de gestion électorale (OGE) peuvent faire l’objet d’un examen public et que ces organismes doivent par conséquent rendre des comptes.
- La confidentialité signifie que la sécurité des activités des OGE est protégée contre ceux qui n’ont pas le droit d’avoir accéder à des informations non autorisées et qui pourraient nuire à l’intégrité du processus électoral.
Il est clair qu’en pratique ces principes peuvent entrer en conflit. Une complète transparence est de toute évidence incompatible avec la confidentialité. Toutefois, dans un cas précis, établir le degré de priorité de ces principes peut s’avérer moins difficile qu’il n’y paraît à première vue. Presque toujours, les plans et activités des organismes de gestion électorale doivent pouvoir faire l’objet d’un examen public. Mais dans tous les cas, le vote lui-même doit être secret. Les cas limites entre ces deux situations sont probablement peu nombreux.
La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) impose des obligations à tous les membres de la communauté internationale. Mais cette déclaration constitue seulement ce que l’on appelle le droit international coutumier. En d’autres termes, elle n’est pas contraignante en soi mais représente une « pratique générale acceptée comme étant le droit », tel que défini par la Cour internationale de justice. Avec l’adoption du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) en 1966, ces mêmes dispositions ont été élargies et rendues contraignantes et exécutoires dans l’ensemble des États qui l’ont ratifié[ii]. L’article 19 du PIDCP stipule entre autres :
Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.[iii]
L’article 25 du PIDCP précise notamment :
Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 [sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation] et sans restrictions déraisonnables :
(b) De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs.[iv]
Conjointement, ces deux dispositions ont été interprétées comme imposant aux gouvernements l’obligation d’assurer la diversité et le pluralisme des médias pendant les périodes électorales.
Il existe également des restrictions du droit à la liberté d’expression, dans des circonstances très particulières :
La grande majorité des activités [c’est-à-dire l’échange d’idées ou d’informations, protégé par la liberté d’expression] sont totalement inoffensives, mais il est clair que la notion de « rechercher, recevoir et répandre des informations ou des idées » comprend aussi des expressions que peu de sociétés peuvent tolérer, telle l’incitation au meurtre, des graffitis non autorisés sur les murs ou la vente de matériels pornographiques à des enfants.[v]
Un « triple test » est utilisé pour décider si une restriction particulière du droit à la liberté d’expression est acceptable :
Premièrement, cette entrave doit être fixée par la loi ; deuxièmement, la restriction autorisée par la loi doit protéger ou promouvoir un objectif considéré comme légitime par le droit international ; et, troisièmement, la restriction doit être nécessaire pour la protection ou la promotion de l’objectif légitime.[vi]
Les principaux instruments régionaux relatifs aux droits de l’homme – la Convention européenne des droits de l’homme, la Convention américaine relative aux droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples[vii] – contiennent des garanties similaires du droit à la liberté d’expression et d’information et du droit à la participation politique sans discrimination.
Les documents adoptés par la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) vont encore plus loin. Dans le Document de Copenhague de 1990, les États participants à la CSCE se sont engagés à veiller à ce que :
aucun obstacle d’ordre juridique ou administratif ne s’oppose au libre accès aux médias sur la base de la non-discrimination pour tous les groupes ou groupements politiques et toutes les personnes désirant participer à des élections.[viii]
Les documents de la CSCE ne sont pas des traités, dont ils n’ont donc pas le caractère contraignant. Ils ont cependant été acceptés comme faisant partie du droit international coutumier et imposent par conséquent des obligations aux États participants.
Les décisions des tribunaux nationaux et internationaux donnent plus de détails et de substance à ces grands principes sur les médias et les élections. Ils peuvent être résumés comme suit :
- Les médias jouent un rôle vital de surveillant en tenant les gouvernements responsables de leurs actes et en veillant au bon fonctionnement de la démocratie.
- Les gouvernements doivent garantir l’existence d’une démocratie qui assure le pluralisme des médias, en particulier durant les élections.
- La liberté du débat politique est un droit fondamental.
- Les partis politiques et les particuliers disposent d’un droit d’accès aux médias gouvernementaux durant les campagnes électorales.
- Les médias gouvernementaux sont tenus de publier les points de vue de l’opposition.
- Il existe un droit de réponse, de correction ou de rétraction en réponse à une fausse déclaration des médias gouvernementaux.
- Il peut exister des limites quant à la responsabilité légale des médias s’ils reproduisent des déclarations illégales.
- L’expression politique ne peut être restreinte que pour des motifs extraordinaires.
- Les critiques à l’encontre des politiciens et du gouvernement jouissent d’une protection accrue.
- Les opinions politiques jouissent d’une protection accrue.
- Ceux dont les droits ont été violés ont droit à un recours utile.
Les gouvernements sont tenus de protéger la sécurité des médias.
[i] « Handbook on Media Monitoring for Election Observation Missions » (Pologne : Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, 2012), p. 13, http://www.osce.org/odihr/92057?download=true
[ii] En 2012, 167 pays avaient ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
[iii] « Déclaration universelle des droits de l’homme », UN.org, consultée le 27 août 2012, http://www.un.org/fr/documents/udhr/history.shtml
[iv] « Pacte international relatif aux droits civils et politiques », site Internet du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, consulté le 27 août 2012, http://www2.ohchr.org/french/law/ccpr.htm
[v] « À quelles restrictions le droit à la liberté d’expression peut-il être soumis », ARTICLE 19, consulté le 21 août 2012, http://www.article19.org/pages/fr/limitations.html
[vi] Ibid
[vii] Au moment de la rédaction de cet article, il est prévu que la Déclaration des droits de l’homme de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) pour l’Asie du Sud-Est sera achevée en 2012. Cette déclaration devrait comporter des dispositions similaires à celles examinées dans la présente section.
[viii] « Document de la réunion de Copenhague de la Conférence sur la Dimension humaine de la CSCE » (1990), p. 8, http://www.osce.org/fr/odihr/elections/14304