Les journalistes comme les politiciens sont préoccupés, à juste titre, par la question de la diffamation. Dans quelle mesure les médias sont-ils légalement responsables s’ils rapportent des propos de politiciens qui, par la suite, s’avèrent diffamatoires?
Dans son rapport de 1999, le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression des Nations Unies s’est clairement prononcé en faveur de l’idée d’exempter les médias de toute responsabilité légale pour la diffusion de propos illicites tenus par des politiciens dans le contexte d’une élection. Ces propos peuvent notamment être diffamatoires ou inciter à la haine. Cela ne veut pas dire que personne ne serait tenu responsable de ces propos – la personne qui les aurait tenus aurait à répondre de ses actes – mais les médias pourraient diffuser toute déclaration ou publicité de politicien dans le cadre d’une élection sans avoir à en vérifier le contenu avant sa diffusion.
« Le rapporteur spécial offrait une directive claire sur une question qui jusque-là restait floue et controversée. Par exemple, l’Autorité de transition des Nations Unies au Cambodge, dans ses directives, prenait exactement le contre-pied en affirmant que les médias seraient tenus juridiquement responsables des propos « incitant à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence au moyen d’une haine nationale, religieuse, raciale ou ethnique »[1]. »
La position du rapporteur spécial reflétait une tendance croissante dans les tribunaux et les parlements de différents pays. Le Parlement danois a adopté une loi exemptant les médias de toute responsabilité pour la publication de propos incitant à la haine raciale ou nationale, pourvu qu’ils n’aient pas voulu eux-mêmes encourager la haine. Cette loi faisait suite au procès d’un journaliste condamné à l’amende pour avoir diffusé une interview télévisée avec un gang raciste. Le journaliste s’était adressé à la Commission européenne des droits de l’homme, qui avait jugé sa requête recevable[2].
La Cour constitutionnelle d’Espagne a aussi jugé qu’un journal ne pouvait pas être tenu légalement responsable pour la publication des propos d’une organisation terroriste :
« Le droit du journaliste à informer et le droit des lecteurs à une information complète et exacte constituent, en dernier ressort, une garantie institutionnelle objective qui empêche d’imputer une intention criminelle à ceux qui ne font que transmettre l’information[3]. »
Ce raisonnement est important parce qu’il souligne que la non-responsabilité des médias en de tels cas se fonde principalement sur la protection du droit du public à l’information.
[1] L’Autorité de transition des Nations Unies au Cambodge, Directives pour les médias au Cambodge (1992).
[2] Jersild contre Danemark, App. no 15890/89, décision de recevabilité rendue le 8 septembre 1992.
[3] Cas Egin, STC 159/86, Bulletin de jurisprudence constitutionnelle 68, 1447 paragr. 8.